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Écouter du Wagner peut-il rendre homosexuel ? Un conte de l'homophobie ordinaire à Paris en 1887.

Publié le 21 mai 2020 par Luc-Henri Roger @munichandco

Lohengrin fut le premier opéra de Richard Wagner à être représenté à Paris après la guerre franco-prussienne de 1870. Le 3 mai 1887, Charles Lamoureux en dirigeait la représentation à l'Éden-Théâtre. L'annonce de cet événement allait alimenter la hargne des anti-wagnériens, qui s'empressèrent de la déverser dans les journaux parisiens.

Ce fut le cas d'Aurélien Scholl (1833-1902), un journaliste et romancier virulent qui signa le rès en 1861 aux répétitions du Courrier de Paris du journal à la une du journal Le Matin du 23 avril. Scholl s'attaque d'emblée au personnage même de Wagner auquel il trouve " quelque chose de monstrueux, de fantastique et de repoussant. Il ressort de tout ce qu'on sait de lui que c'était un maniaque, sinon un fou. " Le chroniqueur dit avoir vu Wagner de p Tannhäuser: "Il arrivait en colère, s'emportait toute la journée et partait en vociférant. Il en avait après tout le monde: le chef d'orchestre, les musiciens, les chanteurs, les choristes, le souffleur, le directeur avaient chacun leur tour, jusqu'au moment où Wagner les confondait dans une imprécation générale. Il gesticulait, il frappait du pied, il poussait des rugissements, portant à chaque instant la main à ses lunettes qui bondissaient sur son nez de hibou. "

Non content de cette diatribe, Scholl va ensuite s'attaquer aux wagnériens et aux wagnériennes français en avançant que la seule audition de la musique de Wagner pourrait bien les faire changer d'orientation sexuelle. C'est que, dès 1877, la presse française avait largement fait écho aux lettres de Wagner à sa faiseuse de mode que la presse viennoise venait de publier ( Voir notre article). Le goût immodéré du compositeur pour les soieries coûteuses et pour les robes de chambre aux tons variés et cousues d'or ou pour les pantoufles brodées avait fait dire à plusieurs journalistes que Richard Wagner aimait à s'habiller en femme. C'est aussi que la mort tragique du roi Louis II (13 juin 1886) était encore dans tous les esprits et que l'homosexualité du roi n'était plus un secret pour personne. Wagner pédéraste!* ( - on ne disait pas encore homosexuel à l'époque - ), ce Wagner qui avait entretenu une liaison amoureuse avec le roi ! D'ailleurs la correspondance amoureuse des deux hommes était connue. Scholl a l'humour menaçant : les wagnériens et les wagnériennes qui iront entendre Lohengrin pourraient bien virer leur cuti... À bon entendeur, salut ! Voici la fin de son article, un texte à verser aux archives de l'homophobie :

" [...] À propos des étranges correspondances échangées entre le roi de Bavière et l'auteur de T ristan et Iseult, à propos surtout du plaisir que prenait Wagner à s'babiller en femme, comme vient de le révéler une revue allemande, on me met sous les yeux une lettre de Gasperini, critique musical bien connu, qui fut l'un des premier Wagnériens français.

" Cette musique, écrivait A. de Gasperini, qui tend à l'imagination toute sa liberté, qui brise les entraves coutumières, qui transformera les sexes de ceux qui la comprennent, qui donnera aux hommes le charme et les larmes des femmes, aux femmes la fièvre et les ardeurs des mâles, à tous les jouissances des champs-Elysées !

Des Champs-Elysées? A quelle heure?

Il est remarquer que la plupart des wagnériens et des wagnériennes semblent appartenir plutôt à l'autre sexe que le leur.

Cette transformation, superficielle en France, est complète en Allemagne. Les wagnériens et les wagnériennes perdent les goûts naturels et recherchent l'extase dans des transports d'exception.

Par ce temps d'hypnotisme et de suggestion, la chose n'étonnera personne.

D'ailleurs, le point de départ est connu. Le roi de Bavière prenait le costume de Tristan et le hideux Wagner celui d'Yseult. On l'a vu en robe bleue, décolletée, avec une rose dans les cheveux. C'est dans ce costume qu'il se mettait au piano et qu'il roucoulait des duos avec ce pauvre fou qu'on a noyé sans lui attacher même une pierre au cou.

Vers 1350, la danse de Saint-Guy éclata avec une effroyable vigueur. Michelet raconte que les malades, comme emportés d'un même courant électrique, se saisissaient par la main, formaient des chaînes immenses, tournaient, tournaient à mourir. Les spectateurs riaient d'abord, puis, par une contagion, se laissaient aller, tombaient dans le grand courant, augmentaient le terrible choeur.

Que fût-il arrivé si le mal eût persisté, comme fit longtemps la lèpre dans sa décadence même ? C'était comme un premier pas, un acheminement vers une épilepsie générale. Si cette génération de malades n'eût été guérie, elle en eût produit une autre, décidément épileptique. Effroyable perspective ! L'Europe couverte de fous, de furieux, d'idiots !

À ceux qui vont subir l'épreuve dangereuse de la musique de Wagner, je dis avec inquiétude : " Prenez garde ! étudiez bien sur vous-même l'effet de ce concert délétère. Jeune homme, si après deux actes, tu trouves Got* plus joli que Mlle Reichenberg* ; s'il te semble que Germain* a de plus beaux yeux que Rachel Boyer*, fuis, il n'est que temps ! "

Et vous, madame, s'il vous venait l'idée de passer un pantalon de drap, d'endosser un veston et d'aller chanter une romance sous le balcon de Léonide Leblanc, faites ouvrir votre loge à la hâte, traversez la rue Auber en courant et leur moyen d'échapper à la contagion. Et surtout que chacun reprenne bien son sexe au vestiaire. On peut se tromper à l'étiquette puisque, par une ironie du sort, le directeur de la propagande wagnérienne s'appelle " l'amoureux " ! "

Sans doute Aurélien Scholl ignorait-il que Lohengrin avait été le premier opéra que le roi Louis II entendit alors qu'il était encore adolescent. L'eût-il su qu'il en aurait sans doute tiré des conclusions...

* Les archives de la préfecture de police de Paris conservent les traces d'un chantage organisé sur Charles Lamoureux : un placard intitulé L'Anti-Wagner ayant pour sous-titre W agner pédéraste devait être distribué à Paris si une rançon n'était pas versée.

** Acteurs et actrices de théâtre célèbres à Paris en 1887.


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