
Disparues ? Pas totalement, car Alberto Giacometti a laissé des indices derrière lui, des précieux témoignages documentés qui ont permis de présenter, à l’Institut Giacometti, des œuvres méconnues et inédites.
A l’aide de croquis, carnets de notes et photographies d’archives, des œuvres déterminantes ont ainsi pu être reconstituées pour être présentées dans les salles d’exposition, face à des pièces authentiques de la même période.
La visite n'est pas très aisée car l'Institut Giacometti est installé dans une maison de ville étroite, mais si belle, si typique de l'art déco que la contrainte est surmontable.
On remarque d'abord, sur la droite de l'entrée, une reconstitution exceptionnelle de l'atelier du sculpteur, lequel n'a jamais vécu ici, mais qui a été transportée dans son intégralité avec l'autorisation de sa veuve, Annette Giacometti, qui avait conservé l’ensemble des éléments.



Il s'est créé, mais était-ce intentionnel ... un personnage d’éternel insatisfait, en proie à un drame existentiel quotidien qui transparait dans de multiples entretiens donnés principalement à partir des années 1950.

La légende voudrait qu'il ait détruit au fur et à mesure qu'il produisait. Il va de soi que tout ne subissait pas ce sort, sinon qu'aurait-il resté de son immense oeuvre ? Et je repense à la formidable exposition organisée au Musée Maillol fin 2018.
Il est sans doute vrai que Giacometti était -comme beaucoup d'artistes- hanté par le doute et en recherche de perfection. La question qui se pose pour nous, spectateurs, est de mesurer en quoi il a eu raison de supprimer certaines sculptures. Au fil de la visite, on tentera de comparer la posture de l'artiste, avec d'autres comme par exemple Jean Tinguely pour qui la destruction était jouissive ou Francis Bacon pour qui elle était punitive.
Cette exposition apporte des éléments de réponse car la commissaire s'est appuyée sur l'examen minutieux des archives qui témoigne qu'il était loin de détruire systématiquement ses œuvres. Elle présente le fruit d'un travail de deux ans de recherche, parmi les lettres que Giacometti adressa à sa famille, dans lesquelles il évoquait ses œuvres en cours, les listes de sculptures qu’il recensait dans ses nombreux carnets et les innombrables photographies d’archive. L'exposition dresse ainsi les prémisses d’un catalogue raisonné des œuvres réalisées par Giacometti entre 1920 et 1935.
Il ne subsiste qu'une seule sculpture de ses années de formation à l'Académie de la Grande Chaumière à Paris. Il s'agit de cet Autoportrait (1925) acquis par un ami suisse, ce qui explique que l'artiste n'ait pas pu la jeter au moment de son départ de l'Académie comme il a fait pour tout le reste. On apprend que trois autres plâtres sculptés sont connus grâce à des photographies et que par la suite Giacometti ne détruira plus jamais la totalité des créations d'une période de travail.
Giacometti a utilisé la photographie pour transmettre ses oeuvres à sa famille (n'oublions pas que son père était sculpteur lui aussi) et à ses proches. Cependant il se méfiait de l’effet trompeur de celle-ci : ça m’ennuie de devoir envoyer ces petites photos parce qu’elles ne rendent pas compte des choses comme elles sont.
Et pourtant, le plâtre Le Petit Homme (1926-1927) dont la reproduction fait la couverture du catalogue est désormais tout ce qu'il nous reste de l'oeuvre, une photo encadrée, prise par un anonyme au demeurant, et de taille plutôt modeste. Je me suis interrogée sur son actuel succès, imputable à ce qu'on devine de l'oeuvre, ou à la mise en scène du cliché, avec la place si particulière du visage de l'artiste.




Mannequin est un corps féminin stylisé, qui est une des variantes de la célèbre Femme qui marche (1932-1936) longiligne sans tête ni bras, inspiré de l'art égyptien. Mannequin s'inspire plus directement des mannequins de vitrine qu'affectionnent les surréalistes. Dans cette version on remarque une tête constituée d'une hampe de violon, et de longs bras s'achevant par une fleur ou des plumes. Il fut montré en 1933 à la galerie Pierre Colle.

Oiseau silence (1930-1933, détruit), exposé au VI° Salon des Surindépendants de 1933, occupe une place centrale dans la pièce principale de l'appartement. Il a été réalisé en trois dimensions d'après photographie 3D.


Le bâtiment est en lui-même, comme je l'ai mentionné plus haut, d'un grand intérêt, et parfois d'une beauté intrigante ... comme la présence de cette main gantée de noir au-dessus de l'Oiseau.







Si l'artiste a effectivement traversé de nombreuses phases de doute, au cours de sa carrière, qui l'ont poussé à remettre inlassablement son travail en question, chacune de ses œuvres connait sa leur propre histoire, qu'elles aient été perdues, vendues ou endommagées.

L’institut Giacometti est un lieu permanent inédit consacré à l’exposition, la recherche en histoire de l’art et la pédagogie et un lieu de référence pour l’œuvre de Giacometti. Il est présidé par Catherine Grenier, directrice de la fondation Giacometti depuis 2014.A la recherche des oeuvres disparues d'Alberto Giacometti
A l'Institut Giacometti
5, rue Victor Schoelcher - 75014 Paris
Commissaire : Michèle Kieffer
Depuis le 25 février, et prolongée jusqu'au 21 juin 2020
Du mardi au dimanche, fermé le lundi
Malgré le coronavirus, la réouverture des portes a été annoncée le vendredi 15 mai 2020. L'exposition a bien entendu été prolongée. Pour fêter ce déconfinement, du 15 au 18 mai, l'institut est gratuit pour les habitants du XIVe arrondissement, à Paris. Pour pouvoir visiter l'exposition il faudra en revanche réserver votre place sur le site internet de la Fondation, le gouvernement imposant une limite de rassemblement de dix personnes maximum dans les lieux publics.
Les visites s'effectueront par groupe de dix, toutes les 20 minutes. Ces groupes seront repartis au sein de l'établissement pour éviter de se croiser. Il est aussi demandé aux visiteurs de porter un masque et de respecter les consignes de sécurité. Et concernant la gratuité de l'exposition, celle-ci est également élargie aux étudiants et personnes de moins de 18 ans.
A noter aussi que pour préparer et accompagner votre visite, vous pouvez télécharger directement le livret de l'exposition sur le site de l'Institut. Il existe aussi un audioguide avec les commentaires de la commissaire de l'exposition. Chaque podcast pourra se télécharger sur votre téléphone en cliquant sur l'icône après avoir lancé la lecture.