Le confinement est un révélateur. La bien plus grande utilité sociale des premières de corvée que des premiers de cordée pousse à l’interdiction de rémunérations mensuelles inférieures à 1 700 euros net et à leur plafonnement, par exemple à 5 000 euros net.
L’inventivité de soignantes retrouvant la maîtrise de leur travail contre les gestionnaires, et de ce fait éprouvant une réelle satisfaction professionnelle malgré leur fatigue et leur désarroi devant des choix monstrueux imposés par le saccage organisé de l’hôpital, montre que la décision par les seuls travailleurs de ce qui est produit doit devenir le cœur de la mobilisation collective dans les entreprises et services publics. L’extrême précarité de l’aide et des aidés en matière d’alimentation ou de logement pousse à son remplacement par la multiplication de sécurités sociales, comme nous allons le voir. La large supériorité du salaire à la qualification personnelle des fonctionnaires sur le salaire d’emploi du privé et sur les revenus du travail indépendant rend évidente une généralisation à tous les adultes, de 18 ans à leur mort, d’un salaire attaché à la personne, compris entre les 1 700 euros du premier niveau de qualification attribué à chacun.e le jour de sa majorité et le plafond de 5 000 euros.
La décision par les seuls travailleurs de ce qui est produit doit devenir le cœur de la mobilisation collective dans les entreprises et services publics.
L’efficacité des solidarités de terrain comparée aux errements et à la nocivité de l’État capitaliste concentré sur l’organisation d’un confinement policier confirme l’urgence de généraliser, en plus grand et plus fort, la gestion par les travailleurs de toutes les fonctions collectives, comme l’a été le régime général de Sécurité sociale de 1947 à 1967. L’effervescence des initiatives de productions alternatives ici et maintenant et des appels à se fédérer exprime la possibilité et la nécessité d’en finir avec la rationalité folle des entreprises capitalistes, qui sont vouées à la prédation sur le vivant.
L’effervescence des initiatives de productions alternatives exprime la nécessité d’en finir avec la rationalité folle des entreprises capitalistes.
Multiplier les productions en sécurité sociale, en actualisant la conquête de la Sécurité sociale du soin des années 1960, est un chemin fécond dans toutes les directions que je viens d’évoquer. Le doublement du taux de cotisation à l’assurance-maladie entre la Libération et la fin des années 1970 a permis de subventionner largement l’investissement hospitalier, de créer une fonction publique hospitalière et de conventionner les soignants libéraux, bref de produire 10 % du PIB hors de la logique capitaliste de la propriété lucrative et du marché du travail. À l’exception notable du médicament, ce qui a permis au capital de revenir en force quand le taux de cotisation a été gelé (et il l’est depuis 40 ans !), d’autant que l’assurance-maladie lui fournit un marché public énorme : une leçon à méditer.
La proposition, travaillée avec d’autres à Réseau salariat, est la suivante. Déplaçons l’assiette des cotisations, de la masse salariale à la valeur ajoutée, afin d’opérer la solidarité entre branches à fortes et faibles valeurs ajoutées tout en soutenant la création d’entreprises. Faisons de tous les salaires et pensions un attribut de la personne versé par le régime général de Sécurité sociale géré par les seuls travailleurs et devenu caisse des salaires : les entreprises ne paient plus leurs salariés mais cotisent, les indépendants ne se paient plus sur leur bénéfice mais cotisent, et chacun perçoit un salaire qui ne peut ni baisser ni être supprimé, fondé sur sa qualification, c’est-à-dire sur son expérience professionnelle, sauf le premier niveau automatiquement attribué à tou.te.s. Portons à 1 700 euros net (soit l’actuel salaire médian) toutes les rémunérations et pensions inférieures, et augmentons en conséquence les autres salaires tout en ramenant à 5 000 euros les salaires et pensions supérieurs à ce plafond. Cela supposera une tout autre affectation des produits du travail : plutôt que de gaver des actionnaires et des prêteurs, les entreprises affecteront leur valeur ajoutée à des caisses de salaires et d’investissement gérées par les travailleurs.
Plutôt que de gaver des actionnaires et des prêteurs, les entreprises affecteront leur valeur ajoutée à des caisses de salaires et d’investissement gérées par les travailleurs.
Les caisses de salaires ne verseront pas tout le salaire en espèces : elles abonderont chaque mois notre carte Vitale de plusieurs centaines d’euros qui ne pourront être dépensés qu’auprès de professionnels conventionnés de l’alimentation, du logement, des transports de proximité, de l’énergie et de l’eau, de la culture (mais d’autres productions pourront être progressivement mises en sécurité sociale). Et ne seront conventionnées que les entreprises qui seront la propriété d’usage de leurs salariés, et donc gérées par eux seuls, qui ne feront pas appel au marché des capitaux, qui ne se fourniront pas auprès de groupes capitalistes, qui produiront selon des normes décidées par délibération collective de la convention.
Le montant du salaire inscrit sur la carte Vitale devra être tel qu’au moins le tiers de la consommation dans ces domaines échappe d’emblée au capital : les entreprises alternatives seront considérablement soutenues, les entreprises capitalistes seront mises en grande difficulté et leurs salariés se mobiliseront pour en prendre la direction et changer leurs fournisseurs et leurs productions de sorte qu’elles deviennent conventionnables elles aussi.