Carlos Drummond de Andrade – La nuit dissout les hommes

Par Stéphane Chabrières @schabrieres

La nuit est descendue. Quelle nuit !
Je ne distingue plus mes frères.
Moins encore les rumeurs
qui autrefois me dérangeaient.
La nuit est descendue. Dans les maisons,
dans les rues où l’on se bat,
dans les campagnes évanouies,
la nuit a répandu la peur
et l’incompréhension totale.
La nuit est descendue. Épouvantable,
sans espérance… Les soupirs
accusent la noire présence,
qui paralyse les guerriers.
Et l’amour n’ouvre pas de chemin
dans la nuit. La nuit est mortelle,
complète, sans réticence,
la nuit dissout les hommes,
dit qu’il est inutile de souffrir,
la nuit dissout les patries,
elle a éteint les amiraux
scintillant ! dans leurs uniformes.
La nuit a tout anocturné…
La nuit n’a pas de remède…
Les suicidés avaient raison.

Aurore,
cependant je te pressens, timide encore,
inexperte des clartés que tu vas allumer
et des biens qu’entre les hommes tu vas dispenser.
Sous l’humide voile des colères, des plaintes et des humiliations,
Je te devine qui montes, rosée vaporeuse, chassant la ténèbre nocturne.
Le triste monde fasciste se décompose au contact de tes doigts,
tes doigts froids, qui point encore n’ont été modelés
mais qui progressent dans l’obscurité comme un signal vert et péremptoire,
Ma lassitude en toi rencontrera son terme,
ma chair tressaille dans la certitude de ta venue.
La sueur est un doux onguent, les mains des survivants se joignent,
les corps rigides acquièrent une fluidité,
une innocence, un pardon simple et caressant
Nous allons faire jour. Le monde
se teint des teintes d’avant-jour
et le sang qui se répand est sucré, tant il le faut
pour colorer tes pâles joues, aurore.

*

A noite dissolve os homens

A noite desceu. Que noite!
Já não enxergo meus irmãos.
E nem tão pouco os rumores
que outrora me perturbavam.
A noite desceu. Nas casas,
nas ruas onde se combate,
nos campos desfalecidos,
a noite espalhou o medo
e a total incompreensão.
A noite caiu. Tremenda,
sem esperança… Os suspiros
acusam a presença negra
que paralisa os guerreiros.
E o amor não abre caminho
na noite. A noite é mortal,
completa, sem reticências,
a noite dissolve os homens,
diz que é inútil sofrer,
a noite dissolve as pátrias,
apagou os almirantes
cintilantes! nas suas fardas.
A noite anoiteceu tudo…
O mundo não tem remédio…
Os suicidas tinham razão.

Aurora,
entretanto eu te diviso, ainda tímida,
inexperiente das luzes que vais acender
e dos bens que repartirás com todos os homens.
Sob o úmido véu de raivas, queixas e humilhações,
adivinho-te que sobes, vapor róseo, expulsando a treva noturna.
O triste mundo fascista se decompõe ao contato de teus dedos,
teus dedos frios, que ainda se não modelaram
mas que avançam na escuridão como um sinal verde e peremptório.
Minha fadiga encontrará em ti o seu termo,
minha carne estremece na certeza de tua vinda.
O suor é um óleo suave, as mãos dos sobreviventes se enlaçam,
os corpos hirtos adquirem uma fluidez,
uma inocência, um perdão simples e macio…
Havemos de amanhecer. O mundo
se tinge com as tintas da antemanhã
e o sangue que escorre é doce, de tão necessário
para colorir tuas pálidas faces, aurora.

***

Carlos Drummond de Andrade (1902-1987)Sentimento do mundo (1940) – La machine du monde (Poésie/Gallimard, 2005) – Traduit du portugais (Brésil) par Didier Lamaiso.