Patrick Beurard-Valdoye publie Le purgatoire irlandé d’Artaud aux éditions Au coin de la rue de l’Enfer.
ses yeux ne cessaient de le circonscrire
en un tour du propriétaire
qui inclut le soi scrutant
avec égarement à la pleine lune
l’arbre sa future canne dont le prototype
est celle de Saint Patrick en mieux
or cette porte arrière qui avait donné sans clef
ni serrure sur l’extravague
s’avère être aval à terre
quand les portes closes du souvenir rémanent
celle-là soudain se déferme
abouchée avec nombre de réalités
sans d’habituels chevaux de frise en croix
est-ce le seuil ouvrant à cet état d’incréé
déclenchant les phénomènes contre
quoi lutte Artaud depuis
la maison du poème
lui qui veut faire un livre en
guise de porte ouverte
: À force de pousser hors l’écrit avec l’écrit
j’ai fini par accrocher dans le langage une porte
par décrocher un mur
par remuer une paroi
et cette paroi ce plan
neuf où j’ai fini par déboucher
à corps perdu
a été
la mort que j’ai vraiment connue m’y aidant.
vraie tête brûlée Patrick piétine de vieilles
ronces et récalcitrantes mûres
franchit le seuil en hâte pour
passer au langage
vêtu de sa veste de tricot au rai de miel
des fantômes d’Aran
portant au cœur son stylo Cross
protecteur selon la prophétie d’Artaud
genre de bâton qui peut toucher
en entrant à tâtons en la demeure morte
ses yeux oscillant sus et jus de noms en noms
de choses qui sonnent en inchoses qui trébuchent
ne s’emboîtant dans aucune autre
mais qui meublent la psychose de l’espace
enveloppé et sillonné d’immobile
aux aguets quelque peu peureux
il appelle Isabelle farouche
le vaisselier cyan et le papier peint de cuisine
sentent et suintent l’ancien sous
le plafond bleu en curragh inversé
dans le petit séjour le poêle à tourbe
Waterford violacé sur carrelage rose
a dû fasciner feu Artaud fixant
l’oragérouge de turf derrière
la vitre aux cinq rais de fonte
séduit par la pâleur de la cendre
Artaud frappant du pied droit pour éloigner
les êtres de l’âtre tout un théâtre
COHEDIR TARF
A COEDIRA
avec bruit de cendre en bouche
quand la langue dépose le TAU dans les lèvres
car il va falloir brûler brûler
ce qui représente les choses
sous peine d’être brûlé tout entier
ou clapi dans le trou de la cheminée
faire qu’au lieu d’être les choses
se mutent en idées
iront-elles plus loin
que l’arbre et le toit de la maison
(...)
Patrick Beurard-Valdoye, Le Purgatoire irlandé d’Artaud, dessins de Jean-François Demeure, éditions Au coin de la rue de l’Enfer, pp14-17, 2019, 70 p., 13€.