de Guy Hocquenghem
Roman - 310 pagesEditions Albin Michel - août 1987Editions Livre de Poche - 1987
Adam est un romancier connu, homosexuel souffrant alors déjà du terrible Vih. Lorsqu'il voit Ève, sa jeune nièce de 20 ans qu'il ne connaît pas, il y a soudainement une attraction, une liaison sulfureuse qui fera le mécontentement notamment d'Anne, sœur d’Adam et mère d’Ève, qui vit éloignée dans le Berry avec son amie Judith. Rejetés, les amants qui se ressemblent comme deux gouttes d'eau, vont fuir, errer aux Antilles, en Argentine, en Afrique, où leur ressemblance frappera quiconque les croisera, et leur amour sulfureux intriguera, jusqu'à ce que la maladie d'Adam le condamne a rester hospitalisé à la Pitié Salpêtrière.
Ce roman reste, près de 35 ans après sa parution, sulfureux en ayant planté le récit dans une époque et un milieu aux mœurs libérés, et en frôlant les problématiques pédophiles pour lesquelles les écrivains sont longtemps restés impunis. Mais Ève n'est pas seulement cela. C'est un roman remarquablement bien écrit, où l'intelligence de l'auteur paraît à chaque page, où la lucidité et la dénégation côtoient l'assurance fière du narrateur. L'histoire est plus que cela, elle bouscule effectivement les codes de l'inceste, en révélant peu à peu des liens qui ne sont pas ceux de simples oncle-nièce, en mettant en lumière des origines que l'on doit aussi aux premiers progrès et recherche en génétique.
Extrait :"Je n'ai plus d'amant régulier depuis des années. Au début, ça s'est simplement espacé. Ils se faisaient rares. Comme dans les changements écologiques, je ne me suis rendu compte de rien. Le paysage amoureux était déjà aux trois quarts stérile autour de moi, quand j'ai pris conscience que les pluies acides de la désillusion avaient exterminé les bosquets de l'amour.Je ne vois ni ma famille, trop dispersée, ni mes collègues écrivains. Je vis si seul que je pourrais bien finir assassiné, comme les vieilles dames du quartier, par un type qui m'aurait suivi, avec mon accord, depuis le boulevard ; et personne ne s'apercevrait de rien avant des semaines, quand l'odeur s'étendrait en nappes fétides dans l'escalier."
Au delà de l'attirance scandaleuse, il y a aussi chez ce personnage homosexuel, une attraction qu'il explique par davantage qu'une gémellité, un double reconnu, un miroir, l'Autre qui est Soi, sa moitié.Enfin, la maladie est le deuxième aimant, tirant lui vers la finitude, la décrépitude, l'ôtant à la jeunesse retrouvée dans le double. Le personnage d’Ève, jeune femme indépendante, mystérieuse, ayant plusieurs vies derrière elle que le mensonge ne nous donne pas à lire très facilement. L'histoire nous embarque dans la quête d’identité, les vertiges des inséminations et protocoles génétiques, les trafics illicites...Un livre dur et lumineux à la fois, un texte fascinant, en puissance et en audace.
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