Magazine Culture
Bernard-Henry Lévy a dû vivre des semaines difficiles en
philosophe tout-terrain soucieux d’aller prendre la température du monde là où
les conflits menacent les populations les moins favorisées. Voyez-le arpenter
la planète alors qu’elle allait être parcourue, en moins de temps qu’il n’en
faut à BHL pour boucler un « bloc-notes » destiné au Point, par Ce virus qui rend fou – titre de son nouveau (petit) livre de
circonstance, à paraître le 10 juin seulement chez Grasset mais disponible
depuis quelques jours dans sa version numérique.
Non, je ne surveille pas son agenda, je me contente de lire
ce qu’il en dit. Du Nigeria, il avait « rapporté,
quelques semaines plus tôt, un reportage sur des massacres de villages
chrétiens par des djihadistes peuls ». Au moment où l’épidémie se
déclarait, il était « en mission sur
l’île de Lesbos, en Grèce, dans un camp prévu pour 2 000 réfugiés
mais où ils étaient 20 000, souvent venus de Syrie, puis chassés de
Turquie par Erdogan, à s’entasser dans des conditions sanitaires qui défient l’imagination. »
Quelques heures avant l’entrée de la France dans le confinement et la fermeture
des frontières, il était en reportage au Bangladesh : « on y mourait de la dengue, du choléra, de la peste, de la rage,
de la fièvre jaune et de virus inconnus ; mais voilà que l’on y détecte
quelques cas de Covid et lui aussi, comme un seul homme, se sangle dans le
confinement. »
Non, BHL n’est pas homme à aimer le confinement, même s’il s’y
plie en citoyen respectueux des lois. Heureusement pour lui, quand il est
enfermé, c’est l’extérieur qui vient à lui. Il reçoit des vidéos « de Kiev et de Milan, de New York et
de Madrid, mais aussi de Lagos, d’Erbil ou de Qamishli », heureux
homme qui n’a pas, comme nous, à surfer sur la toile pour savoir comment les
choses se passent ailleurs. Il est le réceptacle de toutes les situations
critiques, l’oreille où s’écoulent les plaintes.
Son œuvre parle pour lui. Voyez comment il la cite sans
fausse modestie. Ses convictions profondes remontent à ses débuts, « au temps de La Barbarie à visage
humain ». Ce qu’il pense, il l’a
« toujours pensé » et il a écrit
des livres sur toutes les convulsions de nos sociétés, afin que ses lecteurs en
prennent la juste mesure et ne se laissent pas contaminer par la pensée
superficielle de commentateurs qui ne citeraient pas à tout bout de champ
Virgile, Pascal, le Talmud, Foucault, Lacan, La Boétie, on en passe (pas Botul,
soyons sérieux, on n’est pas là pour se moquer).
Car BHL pense, et sa pensée est aussi souple que ses
convictions sont arrêtées. Il est capable d’envisager, sur ce qui s’est passé
avec ce foutu virus dans la tête des gens (qui n’ont pas pris, comme lui, le
temps de la réflexion), une possibilité, puis son inverse, puis l’inverse de l’inverse
– qui n’est pas, comme les esprits simples auraient pu le concevoir, le retour
au point de départ mais plutôt une sorte de tournis philosophique aux points de
repère assez flous.
Dans le même registre, il s’inquiète de ce que l’on n’avait
jamais vu, « sur tous les écrans de
la planète, l’image de ces éditorialistes cédant la place à des commentateurs
hospitaliers ». Au moins, reconnaît-il, ceux-ci savent-ils de quoi ils
parlent, au contraire d’un quelconque « opinioniste
professionnel ». Parlerait-il de lui-même, qui a un avis sur tout ?
On se gardera d’avancer cette hypothèse absurde. Il n’est pas fait du même bois
que les « sachants » dont
la communauté est traversée par des fractures qui la dévalorisent. Tandis que
BHL est en droit d’affirmer, à trois reprises : « je sais », sachant sachant savoir grâce à l’épistémologie,
à Kant, à sa perception de la « pétarade
perpétuelle » produite par les scientifiques.
BHL est en colère, il
conduira le front de la résistance « à
ce vent de folie qui souffle sur le monde. » Et ne croyez pas que
cette colère vient de naître. Elle a grandi, sous les yeux des lecteurs du Point, dans son « bloc-notes »
déjà évoqué et que Ce virus qui rend fou
reprend en partie, réécrit pour d’autres pages, complète un peu.