16/05/2020 – LES 3 CHRONIQUES DE « LA MARSEILLAISE OCCITANIE »…Par Mathilde Kamal-Girard, Docteure en droit public, Enseignante-chercheuse à l’université de Nîmes, membre de la LDH – Michel Perraud Militant CGT, retraité de la métallurgie – Denis Lanoy...

Publié le 15 mai 2020 par Particommuniste34200

État d’urgence sanitaire : temporalités croisées devant le Conseil constitutionnel, temps mort pour les libertés

Le contrôle de constitutionnalité français s’organise en deux grands contentieux : le contentieux a priori, avant la promulgation de la loi, et le contrôle a posteriori, après son entrée en vigueur. L’un et l’autre sont limités dans le temps : un mois pour le contrôle a priori, voire huit jours si le Gouvernement fait valoir l’urgence ; trois mois pour le contrôle « QPC ». Or, dans cet état d’urgence sanitaire, que remarque-t-on ?

D’un côté, le Conseil constitutionnel a accepté que le Gouvernement suspende le délai de jugement des QPC. Ce faisant, il verrouille le contrôle a posteriori en faisant en sorte que les justiciables ne puissent remettre en cause l’état d’urgence sanitaire pendant sa mise en œuvre. D’un autre côté, il est particulièrement rapide à juger des lois a priori. Par conséquent, il rend possible la promulgation et l’entrée en vigueur des lois qui lui sont soumises. Et ce d’autant qu’il ne sanctionne pas – ou peu – les dispositions qui y figurent. C’est ainsi qu’il a largement validé la loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, le 11 mai 2020.

Le Conseil constitutionnel a ainsi validé l’extension de la responsabilité des maires et des employeurs. Il en va de même des dispositions permettant à des agents assermentés des services de transport de constater certaines contraventions aux interdictions et obligations en vigueur pendant l’état d’urgence sanitaire.

Au final, deux des mesures les plus disproportionnées au regard des droits et libertés – avec celles relatives aux mesures de mise en quarantaine et de placement en isolement – sont considérées comme constitutionnelles par le Conseil. C’est d’ailleurs sur ce point que tout se joue : le Conseil constitutionnel qui avait, pendant un temps, pris le pli d’exercer un contrôle de la proportionnalité dans son office, évite de tenir une balance trop précise pour juger de l’état d’urgence sanitaire.

Le seul moment où un bilan est recherché concerne l’atteinte à la vie privée, le Conseil constitutionnel faisant primer, au final, la protection de la santé. Il ne sanctionne en effet qu’à la marge les dispositions relatives aux conditions dans lesquelles les données médicales des personnes atteintes par le covid-19 et de celles ayant été en contact avec ces dernières sont traitées.

Pour synthétiser, le Conseil considère que seul le partage des informations médicales aux « organismes qui assurent l’accompagnement social des intéressés » est contraire à la Constitution, acceptant en conséquence une surveillance généralisée de la population.

Mathilde Kamal-Girard

Après la pandémie, la demande déterminera le niveau de l’emploi

On ne rappellera pas les errements du gouvernement et de sa majorité dans la conduite de la lutte contre la pandémie du covid-19. Au fur et à mesure qu’on avance dans le temps vers un déconfinement, les « Gourous de l’économie qui nous prennent pour des imbéciles », les « experts » des médias du CAC40 et les éditorialistes nous préparent le terrain : on les entend nous dire que pour remettre l’économie à l’équilibre, il faudra prendre des mesures drastiques : travailler plus longtemps, accepter une baisse de pouvoir d’achat, etc. Bref, les mêmes politiques d’austérité qui nous ont conduit à la crise systémique de 2007-2008, dont les conséquences désastreuses ne sont toujours pas résorbées.

Ainsi, avec la caution évidente du patronat, on entend Christian Jacob, président de LR, Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat et tous les gourous libéraux revenir à la charge pour « revaloriser » la valeur du travail en supprimant la loi des 35 heures afin de « travailler plus pour gagner plus ».

Mais cette position est à pleurer : d’abord, la loi des 35 heures ne fixe pas la durée réelle du travail, elle dit simplement que les heures à partir de la 36ème heure hebdomadaire sont majorées, et que la limite maximum était, avant les lois Macron, El Khomri et Pénicaud, de 44 heures en moyenne sur 12 semaines consécutives, et qu’elle pouvait monter jusqu’à 60 heures en cas de circonstances exceptionnelles. De plus, la loi Aubry comporte des modalités qui ont donné satisfaction aux employeurs : les forfaits annuels en heures et le forfait annuel en jours. Le patronat souhaite-t-il la disparition de ces dispositions ?

La loi Aubry n’empêche pas l’employeur de fixer la durée hebdomadaire de travail. La preuve ? Les années précédentes, la moyenne observée était de 39 heures pour les temps pleins. Mais alors, que cherchent les patrons ? À supprimer les majorations d’heures supplémentaires, c’est-à-dire à baisser la rémunération des salariés.

En exigeant cela, les patrons savent qu’ils diminuent la demande globale. Et Keynes a démontré que cela augmenterait le taux de chômage. Macron et Philippe veulent-ils réellement le leur accorder ?

Michel Perraud

Tellement je souhaiterais ne plus parler et écrire qu’avec mes mots, nos mots, et non plus ceux qui sont dictés, non par les circonstances mais par celles et ceux qui fabriquent les circonstances, les faiseurs de story, les fabricants de langues de marché ultra libéralisé, mots assourdissants de communicants.

Parler et écrire non pas forcément avec des mots simples ou simplifiés, mais avec des mots qui conservent toute leur part d’humanité, des mots qui nomment avec acuité, créativité et poésie. Non plus ces mots d’hostilités, ces mots néo-libéraux, financiarisés, économiquement connotés, ces mots qui sont humiliations répétitives. Cette langue violente qui témoigne de la faillite morale et politique de celles et ceux qui l’inventent, heure après heure, pour mieux asservir et mieux intimider, cette langue vulgarisée qui est reprise par celles et ceux qui l’utilisent sans plus faire attention à leur propre humiliation, je n’en peux plus, je n’en veux plus, et je m’évertue à en éviter l’utilisation malgré moi. Éviter le prononcé qui m’écorche la gueule et la pensée.

Deux exemples en courant. Un qui dure depuis quelques décennies, un qui est de pure immédiateté.

D’abord, celui qui dure : « directeur des RESSOURCES HUMAINES ». Donc, « directeur du personnel » ne suffisait plus dans le contexte post-humanité que suppose la langue néo. « Personnel » renvoie trop à « la personne », à l’identité forcément complexe que suppose l’individualité de la personne, complexité que le « directeur du personnel » se devait, inconsciemment, de prendre en compte dans toute entreprise digne de ce nom.

Mais l’inventeur décomplexé de langue néo pose d’abord dans sa recherche linguistique l’absolue nécessité pour lui d’humilier toute notion d’humanité, toute notion « d’humaine condition ». Il faut, souci d’efficacité comptable, ambition de gestionnaire des matières premières, faire passer l’ouvrier, l’employé, le salarié, dans la rubrique des choses à stocker ou à déstocker selon les besoins immédiats. Apparence de rationalité de la langue nouvelle. Pour faire fonctionner l’entreprise nouvelle, la femme, l’homme, deviennent « ressources » au même titre que la machine ou la matière première. Transformation de la langue, humiliation de la langue, transformation des mots, humiliation des mots, transformation de l’humanité, humiliation de l’humanité.

Et puis, dans notre actualité covid-19, l’invention du concept de « distanciation sociale » est un exemple flagrant de volonté de triturer le sens des mots afin d’aboutir à un message qui correspond à une vision très particulière des choses. Disons-le nettement, en l’occurrence la « distanciation sociale » est un terme qui plaide mal sa cause, mais qui dit bien la volonté de celui qui l’a inventé.

La « distanciation sociale » est un phénomène bien connu, particulièrement humiliant, qui consiste à tenir éloignées, l’une de l’autre, deux personnes de conditions sociales différentes. Le riche du pauvre. Le bourgeois du prolétaire. Le noble du serf. Le pluri-milliardaire du petit-bourgeois. Pour dire les choses justement et en rapport tout à fait raisonnable avec le risque sanitaire, il eût suffi de nommer simplement la chose : « éloignement physique ». Mais c’était là ne pas ajouter la « plus-value » humiliante à l’œuvre actuellement dans les inventions de langue « des dominants ». (Ceci étant dit, reconnaissons-leur qu’ils nomment très précisément leurs intentions. Leur langue n’est plus masquée, mais elle est, au contraire, tout à fait adaptée à leur conception du monde, à leur volonté dévoilée. Il s’agit donc bien de « distanciation sociale ». Ils œuvrent à cela, y compris au ras des mots. « Distanciation sociale » car celui qui n’a d’autre moyen que de monter dans métro, bus, R.E.R, T.E.R, ne sera, de fait, pas au contact de celle ou celui qui aura le moyen d’éviter ce mode de transport.)

Se situer avec acuité et précision dans la langue, les mots, c’est nommer très précisément son projet culturel, social et politique. Et cela n’empêche en rien la poésie. Ce que je réfute est la LANGUE HUMILIANTE, LES MOTS D’ORDRE HUMILIANTS. Je m’impose donc une vigilance totale pour redonner sens d’abord à la langue pour qu’enfin cette interminable nuit nous soit brève.

Denis Lanoy

16/05/2020