53 jours qu’elle nous était interdite. 53 jours à la frôler, à la toucher, à la sentir, à l’entendre même. 53 jours, si peu et si long à la fois. Aujourd’hui, la forêt nous est à nouveau ouverte. Bien sûr, durant ces deux mois, la vie ne s’y est pas arrêtée. Éternelle, elle n’a jamais eu besoin des hommes pour s’épanouir. Bien au contraire. Sans doute a-t-elle même profité comme rarement d’une liberté que nous, confinés, devions regarder de derrière nos fenêtres, "prisonniers" de notre cercle de jeu réduit à un rayon de 1 km. Dans cette forêt, pendant notre absence, les oiseaux y ont interprété leur plus beau récital. Les petites fleurs bleues qui tapissent son sol chaque année au début du printemps et lui donnent des allures de décor d’un film de Tim Burton, ont cette année éclos sans témoin. Elles reviendront l’an prochain. Et nous, coureurs à pied, vététistes ou simples promeneurs, en profiterons à nouveau. C’est certain.
La Fêtes des Loges, plus de trois siècles d'histoire
Peut-être parce que la période est propice à la réflexion et qu’elle fut l’occasion de se questionner sur la vie, cette première sortie VTT d’après confinement se fera sur les traces du passé religieux de la forêt. Au fil des chemins, de petites croix bleues accrochées aux arbres nous guident vers des oratoires. Le plus souvent accrochées suffisamment haut pour que l’on ne puisse les atteindre, des petites statues rendent hommage à des Saints (et des Saintes) honorés au fil des siècles. Les plus croyants y verront le symbole du lien entre la Terre et le Ciel, les plus pragmatiques y verront une façon de lutter contre les dégradations.
Chemins de croix
On change le braquet pour s’engouffrer à nouveau dans les petits chemins. A quelques mètres des sentiers, des cabanes attendent depuis bientôt deux mois que des enfants viennent à nouveau s’y inventer des histoires. Demain, après-demain, le prochain weekend, ils reviendront avec leurs parents. Ils ramasseront des branches pour consolider cette maison, ce tipi, ou peut-être même ce château-fort. Personne ne peut confiner l’imagination d’un enfant.
Au bout d’un chemin, parfois posées à la vue de tous, parfois plus discrètes au cœur de la forêt, plusieurs croix témoignent également du passé très religieux de la ville. La plus ancienne est la croix Pucelle. Situé entre Poissy et Saint-Germain, à quelques mètres de la piste cyclable qui elle aussi a retrouvé ses habituels coureurs, le monument date de 1456 et fut érigé par Jean Dunois, compagnon d’armes de Jeanne d’Arc ! La croix Dauphine fut elle posée par Henri II en 1540 encore dauphin du roi. La balade nous mène aussi vers la croix Saint-Germain, érigée en 1857 par le curé d'Achères, l’abbé Duport, pour remercier Dieu d’avoir épargné le village du choléra en 1852. Enfin, à mi-chemin vers Conflans, pas très loin de la gare Achères-Grand Cormier (du nom du lieu-dit où se situe la gare), la croix Saint-Simon fut commandée en 1635 par le marquis de Saint-Simon pour commémorer les victoires du roi.
Aux origines du Paris-Brest
Juste à côté, au sud-est, à l’ombre de quelques arbres, un banc de pierre est peu à peu envahi par la mousse. A l’automne, les feuilles mortes viennent s’y poser. Idéal pour un petit ravitaillement. Il est dédié à Pierre Giffard, né en 1853 et décédé en 1922 à Maisons-Laffitte. Ce nom ne dit probablement pas grand-chose aux promeneurs, coureurs ou cyclistes qui passent devant. Certains ne l’aperçoivent sans doute même pas.
Pourtant, ceux qui prennent le temps de s’y arrêter en apprennent davantage grâce à une inscription taillée dans la pierre. "Journaliste, homme de lettres, auteur dramatique, eut l'intuition de la vie moderne et se consacra tout entier à en répandre les bienfaits, écrivit dès 1890 "La bicyclette c'est autre chose qu'un sport, c'est un bienfait social". Créa les premières compétitions sportives : Cyclisme : Paris Brest, 1891. Course à pied : marathon de Marly le Roi, 1893. Automobile : Paris - Rouen, 1894. Colombophilie : Rallye de pigeons au-dessus de la mer, 1895. Des vacances pour tous. Campagne des petits trous pas chers. » (un "petit trou pas cher" était une station de vacances, pas chère. Jean Ferrat en a aussi fait une chanson.)
Pierre Giffard était ainsi un pionnier des événements sportifs. A commencer par la célèbre épreuve cycliste Paris-Brest. A chaque passage devant ce banc, j’y vois un symbole sur le chemin qui je l’espère me conduira en 2023 au départ de ce Paris-Brest-Paris et de ses 1200 kilomètres à accomplir en moins de 90 heures (l’épreuve n’a lieu que tous les 4 ans). Mon prochain grand projet, celui qui comme l’EmbrunMan, jusque l’an dernier, alimente mes fantasmes, me fait vibrer. Presque une évidence. Depuis toujours le Paris-Brest est mon gâteau préféré. Ce ne peut pas être un hasard. Amusant en effet de savoir que l’origine de ce dessert est liée à cette course, quand, en 1910, Pierre Giffard, toujours lui, demanda à un ami pâtissier de Maisons-Laffitte, Louis Durand, de créer un gâteau en hommage à sa course. La forme ronde du gâteau est là pour symboliser une roue de vélo (la pâtisserie familiale existe toujours, 9 avenue de Longueil).
Miroir, mon beau miroir
Bientôt deux heures que la balade a commencé dans ces sentiers tracés entre les chênes (l'arbre le plus présent), les hêtres, les pins sylvestre et noir d'Autriche et de multiples autres espèces. Pendant des siècles, les rois de France et leur cour y ont chassé. Seuls les sangliers y sont aujourd'hui abattus. Mesure rendue indispensable par leur prolifération. Retour vers la ville en faisant un petit tour de la Mare aux Canes. L’endroit est paisible, propice à la contemplation. Les promeneurs ne s'en privent jamais. Les vététistes ou coureurs fatigués non plus. Effet miroir où ciel et arbres viennent se refléter et nous offrir une étonnante symétrie de formes et de couleurs. Dernier passage par le Chêne des Anglais et son oratoire dédié à Sainte-Marie des Hirondelles. Au 17e siècle, Jacques II, dernier roi d’Angleterre de la maison des Stuarts, et d’Irlande, de 1685 à 1688 (également roi d’Ecosse sous le nom de Jacques VII), contraint à l’exil au château de Saint-Germain-en-Laye (Louis XIV était son cousin), venait y prier. A cinquante mètres à peine, la grille de la demi-lune est encore fermée. Zone rouge oblige, le parc du Château reste fermé. Encore quelques jours, quelques semaines peut-être. Pour nous faire patienter, une certitude née de cette sortie VTT. Le plaisir de la redécouverte peut être aussi intense que celui d’une première fois.