En attendant le papier sur mon déconfinement (on ira refaire un tour dans la forêt) sur la même idée que mes papiers confinement historico-sportifs (dans les news précédentes), je vous glisse le portrait du paratriathlète Alexis Hanquinquant largement inspiré du papier que j'avais rédigé l'an dernier, environ à cette époque, pour le kiosque SFR. Le service étant sur abonnement, pas certain que beaucoup aient pu le lire. Ce site ayant depuis disparu, je me permets de vous le rééditer ici dans une version légèrement actualisée.
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Lame d’un guerrier
Triple champion du monde et d’Europe en titre de paratriathlon, Alexis Hanquinquant, amputé fémoral, est une grande chance de médaille pour les Jeux Paralympiques de Tokyo. Ses performances de très haut niveau dans les trois disciplines de son sport lui permettent même d’aller défier les « valides ». Un moyen pour le Normand de crédibiliser son sport.
« Dis papa, quand est-ce que j’aurai ma prothèse ? » Alexis Hanquinquant, 34 ans, évoque régulièrement le jour où son fils Enzo, 7 ans, lui a posé cette question. Comme un enfant interrogeant son père sur son futur cadeau de noël. Champion de France de full-contact en mai 2010, la vie d’Alexis, originaire d’Yvetot (Seine-Maritime) a basculé trois mois plus tard, sur un chantier où il travaillait, le jour où un engin a broyé sa jambe droite. Trois ans de souffrance avant la décision d’amputer ce membre au niveau du tibia pour sortir de cet enfer. Le Normand n’est pas de nature à regarder derrière. La vie continue alors autant la rendre belle… et intense. Le triathlon l’a vite attiré. « J’ai toujours su que j’avais des prédispositions pour le sport de haut niveau, raconte-t-il. Après l’amputation, j’ai cherché un sport pour dépasser mes limites. Le triathlon est un sport génial pour ça. » Avec des similitudes avec son ancien sport. « On pourrait penser que ce sont des sports éloignés. Mais ils sont proches que ce soit dans la préparation ou dans la compétition. J’aborde les courses comme je le faisais avec les combats. Le full-contact m’a aussi appris à gérer le stress et à garder le self-control. Il y a le même goût de l’effort et puis un peu aussi le même goût du sang dans la bouche. »
Une progression fulgurante
Rapidement, Alexis Hanquinquant affiche un énorme potentiel. « Son ascension fut très rapide, témoigne Nicolas Becker, entraîneur national en charge du paratriathlon. En 2016, pour son premier championnat de France, il a terminé vice-champion dans sa catégorie, derrière Yannick Bourseaux (figure du paratriathlon, quadruple champion du monde) mais devant Maxime Maurel sélectionné aux Jeux paralympiques de Rio. Il a tout de suite été impressionnant et nous a fait halluciner sur sa volonté. Un mois plus tard nous l’avons emmené sur sa première Coupe du monde. Il finit à une belle septième place dans une catégorie où figuraient alors des athlètes avec un handicap moins pénalisant. Il a ensuite gagné sa première course au championnat du monde Open à Rotterdam, en juillet 2016. La refonte des catégories et sa requalification en PTS4 (handicaps modérés où les athlètes peuvent utiliser des prothèses approuvées en vélo et course à pied) a été une formidable opportunité pour lui. À partir de là, il a écrasé la concurrence (17 victoires sur ses 19 dernières courses internationales). »
La saison 2019 l’a à nouveau consacré champion du monde et d’Europe de sa catégorie, loin, très loin devant tous les autres. « Il a progressé très vite dans tous les domaines, souligne l’entraîneur national. En natation, on l’appelle la pelleteuse parce qu’il vient des chantiers d’une part mais surtout parce qu’il tracte de grosses masses d’eau. Ce n’est pas très académique mais c’est très efficace. C’est encore un jeune athlète qui est loin d’avoir tout vu. Il veut toujours aller plus vite. Il est exceptionnel. Mentalement, il vient pour gagner et rien d’autre. Cela vient sans doute de son passé en full-contact où si tu ne gagnes pas ton combat, il n’y a pas de deuxième ou troisième chance, c’est une défaite. Il affiche ses ambitions et parfois, en France, c’est mal interprété. Mais il est aussi très humble. »
« Le paratriathlon, c’est pas la fête à neuneu »
Archi dominateur en paratriathlon, ce grand gaillard de 1,95m n’hésite pas à prendre le départ de courses « grand-public ». En février 2019, il a ainsi terminé deuxième de la corrida de Yerville, dans sa Normandie (6,5km). En janvier 2019, il avait bouclé le 10 km de Nice en 34’10’’ (!) avec à la clé une 158e place sur 9500 participants. Impressionnant. « Je me vois plus comme un triathlète que comme un paratriathlète, poursuit le sociétaire du Rouen Triathlon. J’arrive à faire oublier à tout le monde le handicap. D’ailleurs je ne me considère pas comme handicapé, mais comme différent. Et mes performances permettent de gommer cette différence. Cela montre aussi le très haut niveau du para en triathlon. Les gens ne se rendent pas toujours compte. Le paratriathlon, ce n’est pas la fête à neuneu. Quand je cours le 10 kilomètres en 34’, ça commence à parler. En vélo, j’ai une PMA (Puissance maximale aérobie) de 475 Watts alors que je pédale à 62% de la jambe à gauche et seulement à 38% de la droite. En natation, je suis en 5’ au 400m. C’est pas mal... » « Alexis est capable de gagner une course avec les valides comme Yannick Bourseaux ou Gwladys Lemoussu (médaillée de bronze aux Jeux paralympiques 2016) l’ont déjà fait par le passé sur des courses régionales, avance Becker. L’an dernier, à Yokohama, il est même parti rouler avec Vincent Luis (le leader du triathlon tricolore) sans problème. Il crédibilise le paratriathlon. Il ne se plaint jamais. Il dit d’ailleurs souvent que son plus gros handicap… c’est de ne pas bien parler anglais. »
6000 euros, le prix de chacune de ses prothèses
Au milieu de son programme avec l’équipe de France de paratriathlon, il glisse régulièrement quelques incursions dans des courses « valides » comme sur le triathlon de Deauville, où en 2017, il avait terminé 11e sur 1600 concurrents. Une façon de faire tomber quelques barrières aussi et de changer les regards. Certains ne font déjà plus attention à cette prothèse. « Mes enfants se foutent de ma jambe en moins. Ils ont compris que je ne suis pas moins fort qu’un autre papa. Voire même que je suis un peu plus fort. Ils ne me voient pas comme handicapé mais comme amélioré. Je leur prouve que dans la vie tout est possible, même quand on a un problème. On ne s’arrête pas à une petite misère. Ok, tout n’a pas été rose notamment la période où les douleurs étaient très fortes. Mais c’est le passé, j’en ai fait abstraction. Je regarde devant et aujourd’hui, c’est le kiff. »
Un kiff qui pourrait être encore bien plus grand sans quelques contraintes. « C’est un sport qui coûte très cher. Une prothèse c’est environ 6000 euros et il en faut une pour chaque discipline. Et elle n’a qu’une durée de vie de 5 ans. Il n’y a pas de prise en charge ni de primes de course. Il faut donc se débrouiller et aller chercher des partenaires. J’ai la chance d’être soutenu par mon entreprise Bouygues Bâtiment Grand Ouest et de disposer du statut d’athlète de haut niveau Elite. C’est une superbe reconnaissance de mon investissement. Ça m’a aussi permis de démarcher des partenaires plus facilement. J’aimerais aussi que cette pratique soit davantage médiatisée. Je joue le jeu et ne refuse jamais une sollicitation des médias. J’essaie aussi d’être présent sur les réseaux sociaux et de partager mes entraînements par exemple. Mais il reste encore beaucoup de chemin et je me demande parfois quoi faire pour faire avancer les choses plus vite. »
Une structure professionnelle à ses côtés
Pour l’épauler, le champion a su mettre en place toute une structure. « Le triathlon est un sport individuel mais les résultats sont le résultat d’un travail d’équipe. Avant tout, il y a d’abord ma famille, ma femme Eva et mes enfants Enzo et Lola qui me donnent la pêche. J’ai mes deux entraîneurs, Nicolas Pouleau dans mon club, et Nicolas Becker en équipe de France qui sont aussi très précieux. Tout comme mon orthoprothésiste Gérard Baskakoff. Ils sont tous très importants car ils amènent des ondes positives et ça génère de la sérénité. Je m’entraîne dans des conditions difficiles car c’est le moyen de rendre les courses plus faciles. En moyenne, j’atteins un total de 25 à 30 heures d’entraînement par semaine avec deux disciplines par jour et parfois même les trois. Cela représente environ 20 km de natation, 300 km de vélo et 40 km de course pied hebdomadaires. J’ai une vie active avec mes deux enfants et je n’ai pas trop de périodes de repos. J’enchaine mes séances. C’est plus dur mais ça doit m’aider. » Atout numéro 1 des Bleus pour les Jeux paralympiques 2020… en 2021, il est évidemment suivi de très près par la Fédération. « Il se donne les moyens de réussir, insiste Becker. Il a professionnalisé son organisation. A la FFTRI, nous essayons de le mettre dans les meilleures conditions possibles car c’est évidemment notre grosse cote pour Tokyo. C’est une locomotive. Son entraîneur du Rouen Triathlon est intégré au staff de l’équipe de France par exemple et il dispose d’une structure d’entraînement de haut niveau. Ce qu’il aime, c’est la compétition, pas l’entraînement, justifie Becker. Et puis il veut faire passer le message à ses adversaires qu’ils iront à Tokyo pour faire deuxièmes. »
A Tokyo pour une médaille… au minimum
Tokyo et ce rêve de faire retentir La Marseillaise pour la première fois dans la courte histoire paralympique du triathlon, entrée au programme en 2016, à Rio. « Si on regarde les dernières saisons, je suis le favori, consent-il. Je suis concentré sur mon objectif, c’est-à-dire obtenir une médaille. L’or serait évidemment le rêve, mais même un autre métal me rendrait heureux. Cela concrétiserait tout ce parcours. Mais ça reste la course d’un jour. » Un jour pour faire à nouveau basculer sa vie.
Photos ITU