A l’heure du thé avec Chika

Publié le 14 mai 2020 par Paristonkar @ParisTonkar

Il est 16:00, nous sommes sur le quai, notre livre à la main, notre ticket de train en marque page et sous notre chapeau nous pouvons sentir la chaleur du soleil niçois haler notre peau. Le train arrive et nous servant une rasade de notre thé bio bien au chaud dans notre thermos, on se prend un panel de Chika dans les chicos. 

Hello Chika, peux-tu te présenter en quelques mots ?
Salut, moi c’est Chika : mes crews 156 CKW VSO NOFX. J’ai 35 ans, je suis née au Mexique et je suis arrivée en France à l’âge de 3 ans. Pour le moment j’ai dû faire une pause dans ma vie professionnelle : j’étais RH dans la vente de produits beaux-arts et maintenant cela fait 3 ans que je peins.

Tu ne peins pas depuis très longtemps mais en si peu de temps tu es l’heureuse détentrice d’une collection de train à faire pâlir le plus aguerri des writers. Peux-tu nous citer quelques modèles qui  y figurent ?
J’ai des TER simple porte, TER double étage, Autorails, aux ETR 1000, ETR 500, Interregio E et ALN. Je suis constamment à la recherche de nouveaux modèles et je ne m’arrête pas forcément sur le fait que ce soit un train casse, un fret ou un train voyageurs.


Quel est le modèle plus rare dans ta collection ?
Sans hésiter l’Intercity E414, il n’est pas rare par son année de fabrication ou de mise en circulation, ni pour le modèle, mais j’ai eu la chance de pouvoir le taper même pas 1 mois après sa mise en circulation.

Et celui que tu préfères ?
Mon modèle préféré est l’Autorails ALn 668, livrée XMPR : ils représentent une grande famille d’automotrices ferroviaires légères, construites à partir du début des années 1950 jusqu’en 1981 pour les chemins de fer italiens, les FS-Ferrovie dello Stato.


Peux-tu nous dire quelles sont les motivations qui t’ont poussées à collectionner les peintures sur trains quand la plupart des collections sont plutôt composées de flacons de parfum, ou de tableaux, livres, pins… ?
J’aime collectionner les peintures sur trains pour leur côté éphémère, je sais que suivant la région où nous tapons le train, il ne tournera au final qu’une ou 2 semaines suivant le trafic du moment. Du coup, pour en garder une trace permanente, il est important pour moi de pouvoir prendre les photos. Au final c’est l’ensemble du processus que j’affectionne. Je collectionne aussi les caps, les panneaux signalétiques (métalliques, pvc…) les markers et tout ce que je peux récupérer lors de mes escapades nocturnes. 

Est-ce que tu avais une affection pour la photographie avant de peindre des trains ou cette passion est venue avec ?
J’ai toujours été attirée par cet univers artistique : au lycée, j’ai étudié l’histoire de l’art et nous avons approfondi l’histoire de la photographie en retraçant les étapes qui jalonnent l’évolution du procédé photographique depuis son invention jusqu’à nos jours. Aujourd’hui les appareils sont devenus plus petits, tout en offrant des possibilités techniques et une souplesse très supérieures à celles de leurs prédécesseurs argentiques pour un niveau de qualité équivalent, bien que le rendu soit différent (le grain n’est pas le même, les effets de moiré ne sont pas rendus de la même façon…). Mais il est vrai que depuis que je peins j’ai pu faire évoluer ma façon de saisir l’image. Je me surprends à prendre énormément de photos d’ambiance.

Tu vas également faire les repérages, peindre toute seule et probablement bencher toute seule, en retires-tu une certaine fierté ?
Oui, je vais régulièrement faire mes repérages toute seule parce que je n’aime pas avoir de mauvaises surprises quand je rentre dans un dépôt et aussi parce qu’il est indispensable de vérifier si les entrées et les sorties sont toujours ouvertes. Je passe également beaucoup de temps sur Google earth pour trouver de nouveaux spots. Je benche toute seule et je suis fière d’être autonome. J’ai eu la chance de pouvoir effectuer les repérages avec d’autres personnes mais il est pour moi nécessaire de le faire par moi même (rires)… Surtout quand on est une fille et que l’on arrive dans ce milieu « graffiti vandale » essentiellement macho et masculin.

Est-ce que tu penses qu’il est impressionnant de voir une fille peindre dans un milieu essentiellement composé d’homme et encore plus dans le cercle très fermé des trainistes ?
En France oui, il m’est arrivé d’emmener des gars faire des trains dans ma région et qu’on me dise c’est la première fois qu’une fille me paie un plan. Beaucoup restent sans voix quand je fais le tour du yard seule pour m’assurer qu’il ny ai pas de sécu ou de worker ; il est plus commun que ce soit les hommes qui prennent les risques pour les repérages et les entrées dans les dépôts. Du coup je mets un point d’honneur à être aussi carrée, voir même plus, dans mes préparations, mes priorités quand on va sur un de mes plans c’est que tout le monde peigne en tranquillité d’esprit et rentre à la maison sans encombre. En Italie, il est beaucoup plus courant de rencontrer des filles dans l’univers des trainistes et ça fait plaisir à voir. 

C’est vrai que c’est impressionnant de t’imaginer aller répérer toute seule. Est-ce une façon pour toi de prouver que premièrement, en tant que femme, tu peux être l’égale d’un homme et deuxièmement, en tant qu’être humain, tu peux t’émanciper de lois axées autour de l’économie plus que du social en passant par dessus elles d’une façon artistique ? 
Oui, c’est une façon pour moi de leur prouver que les filles sont tout aussi capables qu’eux. Il m’est arrivé de rencontrer des personnes pour qui il était inconcevable que je puisse avoir fait autant de modèles étant donné que je ne suis qu’une fille. C’est à ce moment que je me fais un malin plaisir de peindre avec eux, de finir mon panel avant eux et de « tcheker » jusqu’à ce qu’ils aient fini leur pièce. Je leur démontre qu’il ne faut jamais juger un graffeur par sa taille, son âge ou encore son sexe mais par sa détermination. J’ai toujours occuper des postes à responsabilité, j’ai une vie de famille rangée, le fait d’avoir cette deuxième vie me permet de passer au-dessus de ces lois d’une manière soft et artistique. Ces actes me procurent une certaine émancipation mais je garde à l’esprit que c’est totalement interdit et répréhensible par la loi. Ce n’est pas parce que je suis une graffeuse que je suis automatiquement une délinquante.

Est-ce une façon artistique d’apporter une modification là où les entreprises imposent leur point de vue à la nation ? D’autant qu’il n’est pas anodin de choisir des trains qui sont fait pour relier les gens à leur lieu de travail, de loisir… La révolution industrielle n’a été possible qu’avec l’arrivée du chemin de fer, est-ce une façon de dire : ne nous oubliez pas, un peu comme si tu plantais du myosotis ?
Inconsciemment certainement, le chemin de fer permet de garantir des déplacements rapides et sûrs pour les personnes comme pour les marchandises. Il a contribué ainsi puissamment à la révolution industrielle, à la capitalisation et au développement du secteur financier et du commerce. Il a pris ainsi une importance majeure tant sur le plan économique que sur le plan social. Néanmoins, pour moi, le train ne reste qu’un support mouvant, il me permet de diffuser le fruit de mes recherches et de surtout me faire connaître des autres writers : mon but premier et de faire toujours plus grand, toujours plus fort. (top to bottom, end to end, whole-car, whole-train).


Est-ce que comme certains trainistes, tu entraînes ta condition physique de façon à pouvoir courir vite, sauter, escalader ?
Depuis le confinement, je me suis mise à faire beaucoup plus de sport, je muscle mes jambes, mes bras, afin de pouvoir me mouvoir comme bon me semble. Il est très important pour moi de pouvoir escalader seule un grillage, sauter un mur ou courir lorsque la sécurité et la « ferro » arrive. Que l’on soit un homme ou une femme dans ce monde « graffiti vandale », nous nous devons d’avoir un minimum d’entretien physique. Pour ma part, j’ai plusieurs projets qui nécessitent un bon état physique et une meilleure hygiène de vie. Du coup, je profite de cette période atypique et un peu singulière pour me remettre en forme.

As-tu des projets quand la quarantaine sera finie ? 
Effectivement, j’ai plusieurs projets pour la fin du confinement.  Je vais monter à Paris, bouger sur Marseille, aller avec mon binôme à Vienne, en Espagne, en Allemagne, en Suisse et passer un peu de temps en Hollande. D’ailleurs j’en profite pour remercier mes Partenaires in Crimes : Opinel, Fams, Yene, Dexter, Aïko.  Et merci à toi Lady K pour cette interview.

Je t’en prie, merci pour ce mot de fin, Chika. 

Crédit photographies © Chika

Instagram : https://www.instagram.com/chi_ka_una