On nous as forcé à ralentir. Bizarrement, ma vie en accélérée l'est restée pas mal. Ma conjointe, ma fille beaucoup aussi. Mais on m'a soustrait bien des choses. À moi personnellement, à ma fille, plus encore. C'est extrêmement agaçant, inutile de le préciser à nouveau. Ça pourrait être pire.
J'y trouve encore bien des bons côtés.
À l'épicerie, j'ai maintenant pris l'habitude d'y traîner mon livre en cours, que j'avance dans la lignée où on se tient cordés dehors distanciés de 2, un-demi ou 8 mètres l'un de l'autre, c'est toujours selon. Une fois, en dedans, j'ai manqué la rangée de la moutarde de Dijon. J'y suis revenu. Puis, le pot de sauce à poulet à beurre en pot. Revenu sur mes pas aussi. Une femme m'a fait remarqué que je la croisais toujours "à contre-courant du trafic". C'était un reproche, je crois. Je n'ai pas mordu du tout. Je lui ai souri tendrement. Son inquiétude faisait trop pitié à voir. J'avais mes écouteurs et Jethro Tull dans les oreilles. Elle me décrivait bien sans me connaître. Je suis toujours contre le trafic. Je le guide. J'ai fait fi d'absolument toutes les flèches. Cessez de gérer ma vie. Il y a deux mois, pour aller faire mon épicerie, je comptais parler à la personne à la caisse, c'est tout. Peut-être à celle du comptoir des viandes. Pas plus. J'ai encore cette envie de ne m'entretenir qu'avec le strict minimum de personnes quand je fais des commissions. Ça semble un caprice aux yeux de certain(e)s.
J'appelle ça vivre libre. Ma liberté commence là où la tienne s'arrête.
Je lui ai souri. Et ai espéré la recroiser à chaque bout d'allée. Que son angoisse carbure un peu. Qu'elle n'ait pas peur pour rien.
Le holligan de l'épicerie.
Déjà que je devais composer avec le fait que j'avais oublié mon coupon rabais de 6$ de mon épicier dans la voiture. Ça aussi c'est nouveau. Oublier quelque chose dans la voiture, après une heure et demie d'épicerie qui prenait avant moins d'une demie-heure, c'est condamner cette chose. Pas question que j'aille le rechercher et qu'ensuite je négocie avec tout le monde qui peuple les entrées.
En sortant, deux commis me redisaient quelque chose mais je n'écoutais encore que Ian Anderson, sa flûte et ses amis. J'ai souri. C'est devenu rare un sourire avec tous ses masques.
Dehors j'ai été surpris de la météo d'octobre en mai. La petite neige en octobre fait d'une telle journée une météo que j'adore. Mais en mai...ça faisait tout drôle. Parfumé en plus d'un vent de cannabis qui, y a moins de deux ans, était aussi d'un autre univers. Encore, ça m'a spatio-temporellement un peu donné le vertige.
On nous demande de vivre la vie d'un aîné. Lentement.
J'expliquais à ma fille récemment qu'à son âge, s'informer de la disponibilité d'un(e) ami(e) pouvait légitimement, et était presque tout le temps, un processus qui pouvait prendre plus de 7 heures dans une même journée. Fallait trouver un téléphone. Fallait appeler au bon moment. Fallait que le frère, la soeur, le parent te laisse le téléphone disponible. Fallait que la personne en ligne, ailleurs, raccroche à un moment donné. Fallait qu'il/elle fasse le message correctement à la personne que vous vouliez rejoindre. Et vous n'aviez encore rien dit. De nos jours, tout ça peut se faire en 9 secondes par un texto lancé et répondu. Pour nos parents, c'était pire, avec des lignes partagées entre différentes familles dans les villages et une répartitrice comme entre-metteuse.
La vie s'est beaucoup beaucoup accélérée en 60 ans.
L'âge où on ne sait toujours pas si on devrait travailler au Québec, sans inquiéter tout le monde autour.
La locomotive de la vie était devenue TGV. L'est encore pour certains.
Ralentir est la clé d'une vie saine.
Pour bien gérer ses poumons, gérez en le souffle.
Personne ne devrait vous donnez des directives là-dessus.
Pas même moi.
Surtout pas une dame inquiète du trafic dans une épicerie.
Roll with it, baby. I lead the trafic.
Je suis le capitaine de cette locomotive, et je traverserai cette tempête.