Oyster-bay
Tente de coutil et sièges de bambou
De loin en loin sur ces plages désertes on aperçoit une
hutte couverte de feuilles de palmier ou l’embarcation
d’un nègre pêcheur de perles
Maintenant le paysage a changé du tout au tout
A perte de vue
Les plages sont recouvertes d’un sable brillant
Deux ou trois requins s’ébattent dans le sillage du yacht
La
Floride disparaît à l’horizon
On prend dans le meuble d’ébène un régalia couleur d’or
On le fait craquer d’un coup d’ongle
On l’allume voluptueusement
Fumez rumeur fumez fumée fait l’hélice
.
Klaxons électriques
Ici on ne connaît pas la
Ligue du
Silence
Comme dans tous les pays neufs
La joie de vivre et de gagner de l’argent s’exprime par la
voix des klaxons et la pétarade des pots d’échappement
ouvert
.
Golden-gate
C’est le vieux grillage qui a donné son nom à la maison
Barres de fer grosses comme le poignet qui séparent
la salle des buveurs du comptoir où sont alignés les
liqueurs et les alcools de toutes provenances
Au temps où sévissait la fièvre de l’or
Où les femmes amenées par les traitants du
Chili ou du–
Mexique se vendaient couramment aux enchères
Tous les bars étaient pourvus de grillages semblables
Alors les barmen ne servaient leurs clients que le revolver
au poing
Il n’était pas rare qu’un homme fût assassiné pour un
gobelet
Il est vrai qu’aujourd’hui le grillage n’est plus là que
pour le pittoresque
Tout de même des
Chinois sont là et boivent
Des
Allemands des
Mexicains
Et aussi quelques
Canaques venus avec les petits vapeurs
chargés de nacre de copra d’écaillé de tortues
Chanteuses
Maquillage atroce employés de banque bandits matelots
aux mains énormes
.
Ligne télégraphique
Vous voyez cette ligne télégraphique au fond de la vallée et dont le tracé rectiligne coupe la forêt sur la montagne d’en face
Tous les poteaux en sont de fer
Quand on l’a installée les poteaux étaient en bois
Au bout de trois mois il leur poussait des branches
On les a alors arrachés retournés et replantés la tête en
bas les racines en l’air
Au bout de trois mois il leur repoussait de nouvelles
branches ils reprenaient racine et recommençaient à
vivre
Il fallut tout arracher et pour rétablir une nouvelle ligne
faire venir à grands frais des poteaux de fer de
Pitts–
Burg
.
Lettre-océan
La lettre-océan n’est pas un nouveau genre poétique
C’est un message pratique à tarif régressif et bien meilleur marché qu’un radio
On s’en sert beaucoup à bord pour liquider des affaires que l’on n’a pas eu le temps de régler avant son départ et pour donner des dernières instructions
C’est également un messager sentimental qui vient vous dire bonjour de ma part entre deux escales aussi éloignées que
Leixoës et
Dakar alors que me sachant en mer pour six jours on ne s’attend pas à recevoir de mes nouvelles
Je m’en servirai encore durant la traversée du sud-atlantique entre
Dakar et
Rio—de—
Janeiro pour porter des messages en arrière car on ne peut s’en servir que dans ce sens-là
La lettre-océan n’a pas été inventée pour faire de la poésie
Mais quand on voyage quand on commerce quand on est à bord quand on envoie des lettres-océan
On fait de la poésie