Hommage à Edoardo Sanguineti
Valérie T. Bravaccio
Comment rendre hommage* à l’un des écrivains les plus connus en Italie quand il n’est pas autant connu en France ? L’on pourrait écrire des lignes et des lignes interminables pour le présenter, présenter son œuvre littéraire (poésies, romans, pièces de théâtres) au risque de se perdre et de perdre le lectorat francophone.
Né le 9 décembre 1930 et décédé le 18 mai 2010, Edoardo Sanguineti fut avant tout un intellectuel. Dans son testament, il a écrit qu’il souhaitait donner à sa ville natale, Gênes, les 24 000 livres de sa bibliothèque personnelle. Depuis 2014, un fonds lui est réservé à la Bibliothèque Universitaire de Gênes, Magazzino Sanguineti, que l’on peut consulter en cliquant sur ce lien. Ce fonds rassemble non seulement toutes les premières éditions de ses œuvres mais aussi de nombreux liens vers des vidéos inédites. Edoardo Sanguineti aimait aussi les dictionnaires et les encyclopédies, les livres d’art, les littératures étrangères et, bien entendu, la littérature italienne. Vingt-quatre mille livres lus tout au long de sa vie, c’est le témoignage d’un amour hors du commun pour la littérature et les sciences humaines.
Pour lui rendre hommage, une image m’est revenue en tête : il s’agit des derniers photogrammes du film néo-réaliste de Roberto Rossellini, Rome ville ouverte (1945) qui montrent un groupe d’adolescents de dos, marchant vers leur avenir où tout est à reconstruire. Edoardo Sanguineti fait partie de cette génération qui a connu la deuxième guerre mondiale pendant l’adolescence. On pourrait imaginer sa silhouette d’adolescent de 15 ans à la fin de ce film mondialement connu, mais en le positionnant un peu à l’écart des autres car son projet est de construire une vision du monde de l’après.
Cinq années plus tard, Edoardo Sanguineti a 20 ans. Il commence à écrire son œuvre la plus connue en janvier 1951 qui va être partiellement publiée dans la revue florentine intitulée Numero en 1952 et 1953 sous le titre Laszo Varga. Puis, en 1956, sa première œuvre est publiée dans son intégralité chez l’éditeur Magenta à Varese sous le titre Laborintus – Laszo Varga 27 poesie (1951-1956). D’après le titre, sa première œuvre est un recueil de vingt-sept poésies. Mais à quoi ressemblent-elles ? Pour le savoir, il suffit d’aller à la page 5 de ce document indiqué par le lien pour y lire l’incipit de Laborintus.
Au lieu d’un titre en lettres, un numéro, puis de longues lignes d’écriture sans signes d’assise (virgules, point, majuscules), avec des décrochements, écrites en italien et en latin (les 26 autres ont sensiblement la même configuration avec aussi du grec, du français, de l’anglais et de l’allemand). Il est vrai que la typographie des lignes décrochées pourrait évoquer celle du célèbre Coup de dés de Stéphane Mallarmé. Sauf qu’historiquement, entre l’œuvre de Mallarmé et l’œuvre de Sanguineti, il y a eu la bombe nucléaire. Ce phénomène très destructeur pour l’humanité est également source de nouveauté artistique pour Edoardo Sanguineti.
Il est alors possible d’imaginer qu’en 1951, il a l’idée d’aller de l’avant en proposant une œuvre qui naît d’une forte déflagration du paysage littéraire depuis sa création (d’où l’insertion du grec, du latin, etc.) faisant retomber dans Laborintus des morceaux de pages déchirées, des citations, des mots, des graphèmes, des particules de sons. Cela dit, Laborintus n’est pas un terrain vague sur lequel sont retombées çà et là des bribes de la littérature de l’Humanité. Edoardo Sanguineti crée un nouveau procédé d’écriture très structuré et solide avec l’espoir qu’un lecteur ou qu’une lectrice saura, comme lui, construire un nouveau monde référentiel. Car Laborintus est un formidable terrain de jeu pour celles et ceux qui aiment déceler des surplus de communication créés par l’arbitraire de la Langue, rechercher les auteurs des citations, analyser la grammaire, les figures de rhétorique, la métrique, le rythme, qui font éclore des réverbérations référentielles. Les lignes écrites en « laborintese » comme Edoardo Sanguineti aimait à définir son écriture, projètent le lectorat dans de nouveaux horizons. Impossible donc de lire Laborintus « comme avant », il faut le lire « en avant ».
Sa nouvelle vision du monde n’a d’égal dans La Littérature, même en ce début du XXI° siècle. Traduire en français Laborintus serait idéal pour transmettre sa « chanson méthodologique » au delà des Alpes et, pourquoi pas, donner un souffle nouveau à la création. Voici, avec l’aimable autorisation des enfants de Edoardo Sanguineti, Federico, Michele & Giulia, un extrait de ma traduction inédite de Laborintus :
Valérie T. Bravaccio propose ici une traduction inédite de Laborintus 1, 22, 25, 27. Elle est proposée au format PDF à ouvrir d'un simple clic sur ce lien.
Image : source
*Dans quelques jours, ce lundi 18 mai, cela fera dix ans qu'Edoardo Sanguineti est mort.