Magazine Asie
Derrière la baie vitrée, un cimetière de pétales blanc et rosée est apparu en une nuit. Les dépouilles gisent par dizaine sur les lattes encore mouillées du bois grisé de la terrasse. Au soleil du matin, tout brille. En contrebas, dans l’impasse, les détritus repoussés par les bourrasques de la nuit s’amoncellent. Les pavés, blasés, ont l’habitude. À chaque coup de vent, c’est la même ritournelle. Les saletés du monde s’entassent ici, sans personne pour oser les ramasser. Je me houspille intérieurement, culpabilise, et pourtant, je n’ai jamais le courage de descendre avec un sac pour collecter. La consolation cependant vient des flaques d’eau sur les pavés. Plus loin, dans la rue où les voitures reprennent le pouvoir, l’orage aura lavé l’odeur d’urine rance. Dans les caniveaux, masques en papier et gants en plastique prennent le relais des mégots, espèce en voie d’extinction depuis plus de cinquante jours.
En attentant que leurs voisins humains ne s’agglutinent au comptoir pour le même rituel, les oiseaux viennent boire leur coup à l’eau débordante des coupelles des jardinières. Pauvres ignorants, bientôt, la ville ne sera plus à vous. Vos concerts journaliers s’éteindront, étouffés dans les klaxons et les pétarade des scooters. Les autres habitants des parcs perdront leur quiétude et l’amour sera, comme à chaque printemps, furtif et risqué. Les nuisibles, comme on les qualifie, retourneront à la nuit et aux interstices.
Après l’orage, le mois de mai jolie s’autorise une grande inspiration.
L’air soudain frais s’alourdit à mesure que le silence s’évapore. De la buée sur mes lentilles de contact et une démangeaison derrière mes oreilles. Je songe aux forêts. Aux déserts. À la liberté de la plume.
J’entame un nouveau cahier, un nouveau projet.
Copyright : Marianne Ciaudo