Demain, les librairies sortent, en ordre dispersé et avec
les moyens que chacune se donne pour répondre aux contraintes imposées par les
circonstances, de leur léthargie – semi-léthargie pour celles qui avaient
continué à assurer, tant bien que mal, les besoins en lecture de leurs clients.
Et l’on parle d’une autre rentrée littéraire, histoire de
mettre de l’ambiance là où il n’est pas si facile d’exciter l’appétit. On s’apprête
à mettre le feu aux éclairages laser, à lancer les bains de mousse et à inviter
des DJ. Non, je déconne. Encore que j’en devine qui sont capables de tout pour
se faire remarquer. Je leur pardonne : les temps sont durs, et ça ne va
pas s’arranger.
L’académie Goncourt, malgré tout, pour adoucir la peine des
libraires, participe au déconfinement à sa manière et attribuera, demain,
quatre prix d’un coup, d’un seul – c’était prévu pour le mois de juin, mais il
n’est pas question de manquer le premier jour de (prudente) respiration (l’annonce
étant faire par visioconférence, la contagion ne pourra être que virtuelle).
Nous apprendrons donc, dans vingt-quatre heures et des
poussières, qui sera cette année le lauréat du Goncourt de la poésie Robert
Sabatier, prix pour lequel aucune sélection n’a été annoncée, ce qui n’empêche
pas les jurés, j’imagine, d’avoir leur petite idée sur la question.
Les trois autres lauréats, pour le premier roman, la
nouvelle et la biographie, seront choisis dans des listes fournies il y a
quelques jours. L’une d’elles est maladroite, je vais vous expliquer pourquoi.
Au Goncourt du premier roman, Maylis Besserie (Le tiers temps, Gallimard), Anne Pauly (Avant que j’oublie, Verdier) et
Constance Rivière (Une fille sans
histoire, Stock) sont en lice. J’ai beaucoup aimé le livre d’Anne Pauly, je
n’ai pas lu les autres, je m’abstiendrai donc de commentaires vagues ou de
pronostic hasardeux.
Pour le Goncourt de la biographie Edmonde Charles-Roux, cinq
ouvrages sont retenus. Deux d’entre eux sont des biographies des frères
Goncourt, belle coïncidence et choix cornélien, à moins de partager la
récompense – ce qui serait injuste, car l’ouvrage de Pierre Ménard (Tallandier)
est à mes yeux supérieur à celui de Jean-Louis Cabanès et Pierre Dufief
(Fayard), bien que celui-ci donne dans l’exhaustivité. Les autres sujets des
biographies sont Chamfort, davantage connu pour ses maximes et pensées que pour
Manureva, ne confondons pas (par
Jean-Baptiste Bilger, au Cerf), Jacques Rigaut, suicidé magnifique (par
Jean-Luc Bitton, chez Gallimard), et Hugo Pratt (par Thierry Thomas, chez
Grasset), envers qui j’avoue un faible pour de bonnes et une mauvaise raisons
(les bonnes : son œuvre et une rencontre inoubliable ; la mauvaise,
quoique… mon restaurant préféré est le Corto
Maltese, dans ma bonne ville de Toliara).
Et puis, il y a le Goncourt
de la nouvelle. Trois livres… dont un seul est paru à ce jour : les Nouvelles, version intégrale, de Vincent
Ravalec (Au Diable vauvert). Le recueil d’Anne Serre, Au cœur d’un été tout en or (Mercure de France) ne sortira que le
28 mai. Celui de François Garde, Lénine à
Chamonix (Paulsen), le 2 juillet seulement. Ce serait une curieuse façon d’aider
les libraires si le Goncourt de la nouvelle allait à un de ces deux ouvrages
indisponibles !