Pour le 75ème anniversaire de la victoire de 1945, le gouvernement avait d’abord opté pour une annulation totale des commémorations. Il avait été annoncé que l’ensemble des cérémonies locales organisées laisseraient place à une seule et unique cérémonie d’envergure nationale. Cependant la décision n’a pas fait l’unanimité. Les maires, les associations et l’opposition ont réclamé un maintien. "Alors que chacun peut aller acheter des croquettes pour nourrir ses chiens ou chats, (...) la France ne pourrait pas honorer ses morts ? " s’est indigné Philippe Gosselin, député Les Républicains, dans une lettre envoyée à l’Elysée. Ils auront bien fait d’exprimer leur désaccord puisque quelques jours après la première annonce, le gouvernement a fait marche arrière.
Les maires sont finalement autorisés à procéder à un dépôt de gerbe au pied des monuments. Cependant ce dépôt s'est fait dans des conditions très strictes. Un communiqué publié par le ministère des Armées apporte plus de précisions. Il y est indiqué que "compte-tenu de la situation exceptionnelle liée à l’état d’urgence sanitaire et aux mesures de confinement une cérémonie, présidée par le Président de la République, a lieu ce matin à Paris, à l’Arc de triomphe, en présence d’un nombre restreint d’autorités civiles et militaires ". Cette cérémonie nationale, fermée au public, a néanmoins été retransmise en direct à la télévision.
En plus de la cérémonie parisienne, d'autres célébrations se tiendront donc au niveau local. Dans le communiqué gouvernemental il est indiqué que "dans l’ensemble des départements ainsi que dans les territoires d’outre-mer, une cérémonie au monument aux morts de la commune chef-lieu dans un format restreint et en respectant strictement les mesures de distanciation [peut être organisée]. Dans les communes, les maires peuvent procéder, en format très restreint et en respectant strictement les mesures de distanciation, au dépôt de gerbe au monument aux morts". Là aussi, ces cérémonies se sont déroulées à huis clos, sans public. Néanmoins, des clichés immortalisant l’instant, seront réutilisés par de nombreux médias notamment les presses quotidiennes régionales. Une manière de montrer que malgré la situation exceptionnelle, on prend le temps de se souvenir de ceux qui sont tombés.
Malgré cette autorisation, tous les maires n’ont pas décidé de suivre les directives du gouvernement.
Pour que la Mémoire soit honorée en temps et en heure, sans dépôt de gerbe, d’autres maires ont opté pour des cérémonies virtuelles. C’est le cas de David Queiros, maire de Saint-Martin-d’Hères, qui avec 38 755 habitants est la deuxième ville du département de l’Isère. Sur cette commune, fin avril et mai représente une période riche en commémoration. Le 24 avril le Génocide Arménien, le 25 avril la Révolution des Œillets, le 25 avril (mais cette année le 26) la journée nationale du souvenir des victimes et des héros de la Déportation, et rassemblement un peu plus politique, le 1er mai, la fête des travailleurs. Pour tous ces rendez-vous, bien avant que le gouvernement n’évoque la restriction des cérémonies, le maire a tenu à prendre la parole via l’outils vidéo.
"On s’est rapidement rendu compte et on a dû se faire à l’idée que cette année nos commémorations allaient être différentes. Pour nous il était inconcevable de mettre nos concitoyens en danger en organisant des cérémonies aussi restreintes soient-elles. Nous nous devions de montrer l’exemple et de respecter les règles autrement dit nos déplacements sont réduits au stricte nécessaire. Si l’on prend l’exemple du dépôt d’une gerbe, le geste a du sens mais n’est pas indispensable. Reste que ne pas se rendre au monument ne veux pas dire ne pas se souvenir. Ici nous sommes très attachés au devoir de mémoire, et nous sommes conscients que les moments de commémoration sont collectifs. Il a donc fallu trouver une solution alternative pour se souvenir ensemble sans être au contact les uns des autres, la vidéo nous a paru être la meilleure solution" explique le représentant martinérois.
En ce 8 mai, une vidéo de quelques minutes où sont dénoncées les horreurs du nazisme et du fascisme et où un hommage à ceux qui sont morts pour la France est rendu, a donc été publiée. Mais le maire l'avoue, "ce n’est pas pareil". "C’est frustrant de pas avoir la relation humaine et les symboles représentatif de l’événement. S’adresser à une caméra ce n’est pas comme s’adresser directement à des hommes et des femmes, c’est beaucoup plus froid, on ressent cette distance " a-t-il précisé, avant de poursuivre sur le fait que la relation au public arrive a posteriori autrement dit au moment de la diffusion et surtout lorsqu’elle est partagée. "Quand on voit que la vidéo est partagée alors on sait que le message a été reçu et qu’il a eu l’effet escompté à savoir le souvenir (…) donc même dans le virtuel il y a de l’humain" insiste-t-il.
Que ce soit sous une forme traditionnelle mais restreinte ou sous une forme virtuelle, le maintien des commémorations a été salué par de nombreuses associations d’anciens combattants mais aussi par les personnes qui sont attachées à ces cérémonies. D’ailleurs le confinement, a conduis à de nombreuses manifestations individuelles du devoir de Mémoire.
L’action individuelle a été évoquée dans le communiqué du ministère des Armées. Dans celui-ci il est indiqué qu’"afin de manifester leur participation à cette journée nationale, le Président de la République demande aux Françaises et aux Français qui le souhaitent de pavoiser leur balcon aux couleurs nationales". Certains ont joué le jeu comme cette famille martinéroise qui a estimé "qu’il ne faut pas sortir les drapeaux que quand la France gagne la coupe du monde, il faut aussi le faire lorsqu’il s’agit de se souvenir que certains se sont battus pour qu’on en arrive là où on en est".
A Saint-Martin-d’Hères, certains sont même allés plus loin à l’instar de Charles Rollandin, féru d’histoire et membre du conseil d’administration de l’association SMH Histoire. Avec son épouse, ils ont l’habitude d’assister à toutes les cérémonies commémoratives. Pour lui, "il est important de rappeler et de se souvenir ensemble des événements pour éviter qu’ils se reproduisent et surtout pour rendre hommage à ceux qui y ont laissé leur vie ". Avec le confinement, pas de rassemblement. Mais il était essentiel pour eux de faire autrement.
L’homme ne manque pas d’exemples qui illustrent la mobilisation de certains individus qui ont osé commémorer en tant de guerre et sous l’occupation. Alors il n’a pas peur de dire que "ce n’est pas un virus qui doit nous arrêter". Il a tenu à saluer les initiatives des autorités politiques tout en précisant que pour sa part, il a déposé une gerbe au pied du monument aux morts situé à quelques pas de chez lui. Ces amis ont fait de même car tous considèrent qu’"en additionnant les actions individuelles ça donne quelque chose de très intéressant (…) pour entretenir une mémoire collective il faut déjà qu’individuellement on agisse". La portée de l’individuel n’est peut-être pas aussi importante que lorsqu’il y a des rassemblements mais pour M. Rollandin "ce n’est pas grave, en déposant la gerbe on a pris le temps de se recueillir, et surtout elle va rester quelque temps donc les passants eux aussi se souviendront et prendront peut-être le temps de s’arrêter…le message est alors passé". Un message qui selon lui doit être transmis au quotidien, notamment auprès des jeunes générations puisqu’"un jour les anciens ne seront plus là et c’est eux qui prendront le relais pour faire en sorte que la Mémoire collective soit infinie ".
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