Quand on lit en sous-titres qu’il s’agit de « fragments authentiques – suivis d’apocryphes – adaptés du copte par Daniel Biga », on comprend vite que le nom de l’auteur est une anagramme. Et que Daniel Biga en l’occurrence est davantage qu’un adaptateur du copte… D’ailleurs le titre lui-même est bien dans sa manière avec deux oppositions frontales en quelques mots. En tout cas, la titraille induit une atmosphère spéciale propre à entrer dans le volume comme dans un livre oriental, philosophique et religieux. Et le contenu est bien à la hauteur de ce qu’on attend, des pensées, des aphorismes, des apophtegmes, des sortes de sourate à la sauce Biga. Toujours précédée par un Abed a dit, Abed dit ou Abed disait, avant l’ouverture des guillemets qui solennisent la phrase, laquelle peut être apparemment sacrée, étrange, voire banale. « Le vide est l’origine comme l’aboutissement ».
On peut suivre d’ailleurs une ligne dans ce jeu d’oppositions : Abel a dit : « Commencez avant d’avoir fini ! », dès la deuxième citation. Plus loin, page 13 : Le Maître à l’Impatient juvénile dit : « N’espère pas finir avant d’avoir commencé ! ». Puis page 31 ; Le Maître avoua : « Il n’y a ni fin ni commencement. » Enfin page 43 ; Un jour Abed dit : « La fin est mère du commencement. »
Le Maître fut successivement Abbé père ermite chrétien, Abed musulman soufi, Rabbi l’hébreu… comme le porte-parole de toutes les religions réunies, et il est ajouté : dans l’œcuménisme libertaire d’un temps non historique… Son nom ne vient-il pas d’une propension enfant à rire et à être gai… On voit bien que Daniel Biga s’amuse avec son personnage, au-dessus des contingences et des cultes, et que ses préceptes sont néanmoins tout empreints de sagesse. On l’imagine, philosophe de rue, ou ermite des campagnes, prêchant à des disciples parsemés et admiratifs la bonne parole qu’on se rapportera de bouche à oreille avec recueillement. Loin du bruit des blogs.
Il dit : / « Tout est objet. Tu es l’unique sujet. »
Abed Nil Gai, Dits & médits, Éditions Unes, 2020, 80 pages, 16 €.
Jacques Morin
Extrait :
«Maître, lui demanda Farid, comment peux-tu rester serein
et ne pas te révolter contre toutes les horreurs que l'homme
fait subir à l'homme ? »
Le silence régna. Puis Abed parla:
«Que ta révolte, mettant des œillères sur ton regard, ne te
conduise pas à la soif de vengeance et à l'injustice.
Car il n'y aurait alors plus de différence entre leur conduite
et la tienne et tu deviendrais semblable à ceux qui sont
aujourd'hui objet de ta réprobation ... »
Et il conclut :
« Rajoute à l'amour, non à la haine. »
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