Tableaux de la Nature est une œuvre d’Alexandre de Humboldt.
« La vraie culture ne peut s’apprendre que dans l’espace… Culture dans l’espace veut dire culture d’un esprit qui ne cesse pas de respirer et de se sentir vivre dans l’espace, et qui appelle à lui les corps de l’espace comme les objets de sa pensée. » Antonin Artaud
« Nous pouvons maintenant mieux comprendre le sens de géo dans «géopoétique», Il ne s'agit pas d'un rapport de force entre les États (comme dans «géopolitique»), mais d'un rapport fécond à la terre et du surgissement éventuel, possible, d'un monde. Le travail géopoétique viserait ainsi à explorer les chemins de ce rapport sensible et intelligent à la terre, menant à la longue - peut-être? -à une vraie culture.. »
Kenneth White
Qui était donc cet homme que tout le monde scientifique a pleuré en 1859 sans limites de frontières ? Oui était-il vraiment? Était-il un génie qui s'ignorait ?, était conscient de sa valeur scientifique, et sa célébrité ne pouvait lui faire créa le contraire, il ne s'était jamais considéré comme un surhomme. Il doutait souvent de lui-même mais était profondément dans le vrai quand il écrivait qu'il avait a très utile par les idées qu'il avait éveillées chez les autres. N'était-il qu'un savant du XIXe siècle dont l'étonnante modernité réapparaît régulièrement et de plus plus souvent de nos jours ? Un génie unique en son genre comme le qualifient d'aucuns au point même de le surnommer « l'Aristote moderne »l ou un homme à l'esprit étroit, sans imagination, qui en imposa à beaucoup parce qu'il sut se faire valoir comme le pensent quelques autres ?
Mireille Gayet Alexandre De Humboldt .Le Dernier Savant Universel Vuibert.
On le tenait de son vivant pour un « prince des sciences ». Il était en relations, pas seulement épistolaires, avec la quasi-totalité des savants de son temps. Neuf minéraux, cent sept animaux et fossiles, deux cent soixante-sept plantes portent son nom, plus de soixante établissements scolaires et universitaires aussi. S’il semble aujourd’hui oublié en dehors des milieux universitaires , les idées d'Alexander von Humboldt imprègnent notre mode de pensée. Son nom est d’ailleurs toujours honoré de multiples façons : il a été donné à un courant marin des côtes du Chili et du Pérou, et à des dizaines de monuments, de parcs et de montagnes d'Amérique latine, dont la sierra Humboldt au Mexique et le pic Humboldt au Venezuela. Une ville d'Argentine, une rivière du Brésil, un geyser en Equateur, et une baie en Colombie portent aussi son nom*. on trouve un cap et un glacier Humboldt au Groenland, des chaînes de montagnes au nord de la Chine, en Afrique du Sud, en Nouvelle-Zélande et en Antarctique, des rivières et des chutes d'eau en Tasmanie et en Nouvelle-Zélande, de même que des parcs en Allemagne. Il y a une rue Alexandre-de-Humboldt à Paris, et en Amérique du Nord, pas moins de quatre comtés, treize villes, montagnes, baies, lacs et une rivière sont ainsi nommés, sans compter le Humboldt Redwoods State Park en Californie et les parcs Humboldt à Chicago et. « Et pourtant est-il bien connu, ne disons pas du grand public, mais même d'un public éclairé ? »(Mireille Gayet).
En Europe la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle est une époque de débats d’idées dans les domaines scientifiques et littéraires. Caractérisée par une confiance sans réserve dans la raison humaine chargée de rendre compte de tous les problèmes, cette période fut avant tout sous l’emprise d’une foi optimiste dans le progrès. Humboldt participa de cet enthousiasme .Comme le dirait Bachelard dans La Poétique De L’espace, Humboldt eut sa « maison onirique » de la cave au grenier unissant l’imagination créatrice née de l’enfance au lumières adultes de la raison. Il l’exprimera plus tard dans Cosmos :
« En énumérant les causes qui peuvent nous porter vers l'étude scientifique de la nature, nous devons rappeler aussi que des impressions fortuites et en apparence passagères ont souvent dans la jeunesse décidé de toute l'existence. Le plaisir naïf que fait éprouver la forme articulée de certains continents ou de mers intérieures sur les cartes géographiques, l'espoir de contempler ces belles constellations australes que n'offre jamais à nos yeux la voûte de notre ciel, les images des palmiers de la Palestine ou de cèdres du Liban que renferment les livres saints, peuvent faire germer au fond d'une âme d'enfant l'amour des expéditions lointaines. S'il m'était permis d'interroger ici mes plus anciens souvenirs de jeunesse, de signaler l'attrait qui m'inspira de bonne heure l'invincible désir de visiter les régions tropicales, je citerais : les descriptions pittoresques des îles de la mer du sud, par George Forster; les tableaux de Hodges représentant les rives du Gange, dans la maison de Warren Hastings, à Londres; un dragonnier colossal dans une vieille tour du jardin botanique à Berlin. Ces exemples se rattachent aux trois classes signalées plus haut, au genre descriptif inspiré par une contemplation intelligente de la nature, à la peinture du paysage, enfin à l'observation directe des grandes formes du règne végétal"
’Alexandre de Humboldt naquit à Berlin le 14 septembre 1769 au sein d’une famille noble prussienne mais vécut plus du quart de sa longue existence en France (il est mort en 1859, soit à 90 ans) et publia une grande partie de son œuvre en français. Il y noua des relations avec les hommes de science les plus éminents et y rencontra son futur compagnon de voyage Aimé Bonpland, un jeune médecin déjà célèbre comme naturaliste. Un père trop vite disparu, une mère d’origine française et huguenote élevant ses enfants à la dure mais leur donnant les meilleurs précepteurs ;il passa ainsi son enfance dans le triste château de Tegel. Après des études à l’université de Göttingen, il fut un temps directeur des mines et s’y illustra. La mort de sa mère en 1796 devait faire de lui un riche héritier, ce qui lui permit de dépenser entièrement sa fortune aux voyages d’exploration et en publications luxueusement illustrées à compte d’auteurs. (La fin de sa vie fut pénible matériellement pour cette raison). Ses travaux les plus renommés et les plus remarquables, concernent le continent hispano-américain Venezuela, Cuba, Pérou, Mexique, où il partit pour y étudier la pensée historique, le milieu social et la géographie
Il avait 30 ans, lorsque n’ayant pas réussi à se joindre à l’expédition de Bonaparte en Egypte, il reçut l’appui d’un ministre pour entrer dans les territoires espagnols interdits d’Amérique et s’embarqué avec Bonpland à La Corogne. Il partait sillonner l’Amérique méridionale et centrale dans des conditions qu’on n’imaginerait pas aujourd’hui quant à l’équipement.
"Quel bonheur… ma tête en tourne de joie… Quel trésor d'observations vais-je pouvoir faire pour enrichir mon travail sur la construction de la terre… Je collectionnerai des plantes et des fossiles et je pourrai faire des observations astronomiques, avec des instruments excellents… Mais tout cela n'est pas le but principal de mon voyage. Mon attention ne doit jamais perdre de vue l'harmonie des forces concurrentes, l'influence de l'univers inanimé sur le règne animal et végétal."
Dans sa "Maison Onirique", le voyage d’Alexandre de Humboldt en Amérique hispanique a été préparé par de nombreuses œuvres littéraires.
« En haut du Chimborazo, épuisé par l'ascension, Humboldt se pénétra de la vue. Les zones de végétation s'étageaient sur la pente. Dans la vallée, il avait trouvé des forêts humides où poussaient des palmiers, des bambous, des orchidées extraordinaires accrochées aux arbres. Plus haut, il avait rencontré des conifères, des chênes, des aulnes, des épines vinettes, des arbres et des buissons semblables à ceux des forêts d'Europe. Ensuite venaient des plantes alpines ressemblant énormément à celles qu'il avait récoltées dans les montagnes suisses, puis des lichens rappelant des spécimens rapportés du cercle arctique et de Laponie. Personne avant Humboldt n'avait considéré ainsi les plantes, non pas selon les catégories étroites de leur classification, mais selon des types déterminés par leur localisation et le climat qui leur était favorable. Ainsi, pour lui, la nature devait être envisagée globalement, et selon des zones climatiques réparties à travers les continents : idée révolutionnaire pour l'époque, et qui influence encore aujourd'hui notre conception des écosystèmes ».
Andrea Wulf. L’invention De La Nature Les Editions Noir Et Blanc.
« Des milliers de kilomètres , bardé d’instruments scientifiques, levant les cartes, notant tout de la nature et des hommes, des faits historiques et de la géographie, donnant les premiers éléments de la formation géologique du continent et en esquissant le premier tableau démographique.
Humboldt passe le plus souvent sous silence les conditions du voyage : il est pourtant impossible difficile de comprendre l'homme et son esprit, sans décrire ce que fut sa vie pendant ces cinq ans de voyage. Le fait qu’il s’agit d’une expédition scientifique bien plus qu’une exploration rendit les conditions encore plus difficiles ; il abordera en effet le périple rationnellement, avec minutie. Il s'intéressera à toutes les disciplines qui lui permettront d'observer ou de récolter. Plantes, animaux et paysages sont croqués avec soin, sur place;il avait un réel talen pour le dessin.
« Captivé par cette forêt vierge, Humboldt ne se laissait pas impressionner. La nuit, il aimait écouter le concert des singes, et apprenait à les reconnaître à leurs cris.
Il n'y avait pas meilleur endroit pour observer les animaux et les plantes. Humboldt découvrait les merveilles de ce monde foisonnant de vie dont il devait dire plus tard : « Rien n'est plus propre à faire sentir à l'homme l'étendue et la puissance de lu vie organique. » Fasciné, il voulait étudier un à un les fils de ce grand réseau du vivant. Tout montrait la force et la tendresse de la nature. Humboldt décrivait dans ses lettres avec la même fierté le boa constrictor capable d'«avaler un cheval», et l'oiseau-mouche perché au bord d'une fleur délicate. Sur ces rives riches de diversité où «l'homme n'est rien», disait Humboldt, on s'accoutumait à le regarder «comme n'étant pas essentiel à l'ordre de la nature»
Andrea Wulf. L’invention De La Nature Les Editions Noir Et Blanc.
L’ensemble du périple d’Alexandre de Humboldt en Amérique espagnole est un témoignage majeur , non seulement parce qu’il est parvenu à accomplir dans les différentes régions visitées un travail scientifique d’une grande envergure, mais aussi parce qu’à travers ses étapes urbaines il a présenté un tableau assez exhaustif de la société coloniale, sans oublier le commentaire pertinent qu’il a fait au sujet des prétentions des créoles à un moment particulièrement capital de l’histoire de l’Amérique, les révolutions de Simon Bolivar.
"C'est ce voyage-là que je qualifie de "pérégrinations géopoétiques". Je vais essayer de dire la raison d'être de ce voyage, toutes ses raisons d'être – autrement dit, je vais essayer de dégager sa logique totale. Je dirai aussi la raison pour laquelle Je l'appelle "géopoétique". Mais un mot d'abord quant à l'usage respectif du singulier et du pluriel dans mon titre et dans mon texte. En disant "pérégrinations géopoétiques" au pluriel, je pense moins à d'autres voyages effectués par Humboldt (notamment en Asie Centrale) qu'aux prolongations de ce même voyage en Amérique Équinoxiale – aux pistes diverses qu'il ouvrit dans l'esprit de Humboldt. En effet, le voyage américain parcourt toute la vie de Humboldt, à l'instar de la grande cordillère continentale qui s'étend entre l'Alaska et la Terre de Feu. Humboldt allait passer trente ans à en publier les résultats, en une trentaine de volumes. Dans ces livres, ainsi que dans quelques autres (Tableaux de la nature, Cosmos), il allait tenter, à partir de l'expérience du voyage dans le nouveau continent, d'ouvrir un nouveau champ intellectuel et poétique, disons, un nouveau monde."
White Kenneth. Les pérégrinations géopoétique d'Alexander Von Humboldt. In: Le Globe. Revue genevoise de géographie, tome 159, 2019
À son retour en Europe, En 1807, il s’installa principalement à Paris et Il y publia l’essentiel de son œuvre. Gay-Lussac et Arago, parmi bien d’autres, devinrent des amis fidèles. Il participe aux réunions de l’Institut comme aussi de la « Société d’Arcueil » de Berthollet. En dehors de la vie mondaine, il écrit abondamment, en particulier pour des mémoires à l’Académie des sciences. Humboldt assista à la chute de l’Empire napoléonien et ira jusqu’à représenter la Prusse à Paris.
. L’édition de ses ouvrages, richement illustrés, le ruina. Sa manière y est celle d’un géographe attiré par les rapports entre tous les sujets observés : ceci fait de lui, dans les diverses sciences naturelles, l’ethnologie, la sociologie et même la linguistique, un pionnier que l’on ne peut ignorer, ses observations et réflexions étant à l’origine de diverses disciplines, qui naîtront vraiment après sa mort.
En 1827, il retourna vivre à Berlin auprès du Roi de Prusse qui lui demandait de rentrer. Il ne vivait plus que de la pension que celui-ci lui versait. Peu après, le tsar Nicolas Ier l’invita pour des raisons de prospection minière. Il parcourut alors en calèche et à vive allure (15 000 km en 8 mois) la Russie et l’Asie centrale, traversa l’Oural, en recueillant des minéraux et atteignit la frontière chinoise. Il en tirera un ouvrage descriptif des mines, des reliefs et des données physiques enregistrées. De retour à Berlin, il joua à contrecœur au courtisan, comme lecteur des rois de Prusse, tout en poursuivant l’écriture de son œuvre majeure Cosmos ou La Description Physique Du Monde, immédiatement traduit en français. Il n’achèvera pas totalement cette entreprise, à la fois scientifique et philosophique. Les tomes successifs vont recueillir un énorme succès. Humboldt était alors au zénith de la gloire lorsqu’il mourut .
Ce qui frappe, c’est que ce schéma cumulatif n’est pas circonscrit uniquement au domaine des sciences et de la technique. Il est à l’œuvre à une échelle plus vaste, comme le propose Alexandre de Humboldt dans les premières pages de l’Examen Critique :
« En étudiant le progrès de la civilisation, nous voyons partout la sagacité de l’homme s’accroître avec l’étendue du champ qui s’ouvre à ses recherches. L’astronomie nautique, la géographie physique (en embrassant sous ce nom jusqu’aux notions des variétés de l’espèce humaine et de la distribution des animaux et des plantes), la géologie des volcans, l’histoire naturelle descriptive, toutes les branches des sciences ont changé de face depuis la fin du quinzième siècle et le commencement du seizième. Une terre nouvelle offrait aux marins un développement de côtes de 120° en latitude ; aux naturalistes, de nouvelles familles de végétaux et de quadrupèdes difficiles à classer d’après les types et les méthodes connus ; au philosophe, une même race d’homme diversement modifiée par une longue influence des aliments, de la température et des mœurs, passant (sans franchir l’état intermédiaire de nomades pasteurs) de la vie de chasseur à la vie agricole, divisée par une infinité de langues d’une structure grammaticale bizarre, mais modelée sur un même type ; au physicien et au géologue, une chaîne immense de montagnes soulevée par des feux souterrains, riche en métaux précieux, renfermant sur sa pente rapide et ses plateaux en gradins, dans un petit espace, les climats et les productions des zones les plus opposées »
En équilibre entre deux siècles, entre philosophie des Lumières et le romantisme du" Sturm und Drang allemand", il a allié la richesse d'une culture encyclopédique à un esprit rationnel et constructeur.
Andrea Wulf. L’invention De La Nature. Les Editions Noir Et Blanc.
Mireille Gayet Alexandre De Humboldt .Le Dernier Savant Universel Vuibert.
Notes : le concept de géopoétique est dû à Kenneth White. : le terme géo insiste sur l’appartenance à la terre de l’ensemble des êtres y compris humains. Le terme poétique, dans son étymologie grecque, montre la dynamique de la pensée mobilisant toutes ses ressources, sensations, imagination aussi bien que réflexion.
A SUIVRE