Ces dernières années, l’attaque informationnelle des entreprises a pris une ampleur sans précèdent. Elle représente maintenant un défi central pour toutes entreprises soucieuses de leurs réputations. L’accès grandissant aux technologies de la communication dans le domaine économique, c’est la diffusion intentionnelle de connaissances (vraies, fausse ou déformée) dans le but délibéré de nuire à la réputation d’une entreprise afin de remettre en cause sa crédibilité auprès de ses clients et/ou partenaires
Cela peut venir aussi bien d’un client de l’entreprise, d’un concurrent ou d’un lobby. Le terme « fake news » qui a émergé ces dernières années est la parfaite illustration de l’attaque par le contenu des acteurs économiques entre autres.
Le cas Naval Group
En 2019, l’industriel français décroche un contrat de 50 milliards de dollars australiens sur 50 ans à l’issue d’un appel d’offre concernant le programme de sous marins australiens de la classe Attack. Dès janvier 2020, le journal The Australian accuse le constructeur d’avoir des retards de plusieurs mois, à la suite de la publication d’un rapport du bureau national d’audit australien, qui dénonce un « allongement » de 9 mois dans la conception des équipements de défense. Plusieurs médias australiens ont amplifié cette campagne de dénigrement du groupe français accusé de ne pas avoir respecté un contrat signé pour la livraisons de 12 sous-marins et le transfert de connaissance des technologies de conception et d’entretien. L’exemple d’attaque informationnelle dont a été victime l’industriel français Naval Group, spécialiste de la conception de sous-marin, démontre les multiples enjeux croisés qui sous-tendent ce type de rapport de force.
Naval Group ayant demandé 15 mois de délai supplémentaire pour raisons de spécificités de la phase de conception, le constructeur se retrouve au cœur d’attaques, de critiques et d’accusations qui mettent à mal sa crédibilité vis-à-vis du ministère de la Défense australien et de ses partenaires et clients. Peut-être est-ce une erreur d’interprétation, mais malgré les démentis et les ajustements, la nouvelle est vite relayée à l’étranger et dans le monde économique, obligeant les ministres de la défense des pays partenaires à faire cette déclaration commune :
« Aujourd’hui, nous avons examiné la mise en œuvre de l’accord de partenariat stratégique qui sous-tend le futur programme sous-marin de l’Australie. Nous avons tous deux réaffirmé notre plein attachement au programme, en particulier en ce qui concerne le calendrier et la capacité de l’industrie australienne. Nous nous sommes mis d’accord sur un processus en cours pour revoir, à notre niveau, la mise en œuvre du programme sur une base trimestrielle pour le reste de l’année, se réunissant à nouveau en France en avril et en Australie en milieu d’année. Nous reconnaissons que le futur programme sous-marin est essentiel à la fois pour nos pays et pour notre partenariat stratégique. Nous nous engageons à travailler ensemble pour en faire un succès. »
Les accusations ne s’arrêtèrent pas là pour autant. D’autres rumeurs firent leur apparition dans les rubriques économiques de la presse internationale. L’industriel français y était cette fois accusé de ne pas respecter les termes du transfert de technologie négocié et la proportion de sous-traitance qui fut actée, notamment celles concernant les opérations futures de maintenance prises en charge par plus d’une centaine de sociétés locales ainsi que la montée en compétences de celles-ci. Là encore, les médias ont omis de préciser que ce ne serait que quelques parties du sous-marin qui seraient construites dans l’hexagone, comme il a été spécifié dans l’accord, afin de former les ingénieurs australiens du chantier naval d’Adelaïde.
L’enjeu de la sous-traitance
De plus, John Davis, directeur de la branche pacifique du groupe, affirme publiquement que les objectifs de concéder 50% de contrat de sous-traitance à des entreprises australiennes pourrait être remis en cause, bien que la distribution de ces contrats ait déjà été amorcée et en voie d’atteindre ses objectifs, cette déclaration provoqua l’indignation. Le groupe se vit contraint, en guise de garantie, de revoir à la hausse, la sous-traitance devrait compter désormais 60% d’entreprises australiennes.
Enfin, les coûts initiaux estimés à 50 milliards de dollars sont revus à la hausse, avec des frais d’entretien d’environ 145 milliards pour les 60 prochaines années. Certains médias n’ont pas hésité à exagérer les chiffres, allant même jusqu’à annoncer que la partie australienne aurait envisagé d’annuler la collaboration de Naval Group. Par la suite, le gouvernement australien réfuta toutes ces informations calomnieuses et le PDG, Hervé Guillou qualifia « d’attaque » ces campagnes de désinformation, accusant des médias de relayer volontairement ces informations dans le but de nuire à leur réputation. Mais la transparence dont a fait preuve le gouvernement australien vis-à-vis du contrat, n’a pas facilité le processus. Dans ce cas de figure, l’influence de l’opinion publique locale, amplifiée par la résonance de la campagne médiatique, a fait peser une menace temporaire sur la fiabilité du contrat.
La difficulté de lecture des jeux cachés des parties prenantes
Malgré une notoriété et une expérience qui ne sont plus à démontrer, la position du géant industriel en Australie est fragile, car c’est sa première collaboration avec le gouvernement australien. L’américain Lockheed Martin, qui devra gérer la conception du système de combat de ces mêmes sous-marins, est implantée depuis longtemps en Australie. Cela rend l’exercice d’autant plus difficile pour Naval Group de prouver sa fiabilité, quand il doit collaborer avec une entreprise qui a déjà l’entière confiance du gouvernement. Lockheed bénéficie indirectement de ces attaques, car cela lui permet d’affirmer encore plus sa position dominante dans l’industrie militaire australienne. Le PDG de Martin Lockheed, ayant par ailleurs déclaré des propos similaires à John Davis sur l’importance qu’aura la sous-traitance australienne, n’a pourtant pas écopé du même scandale que le Naval Group dans la presse nationale.
La concurrence entre constructeurs européens a sans doute joué dans les retombées informationnelles de cette confrontation commerciale. En effet, Naval Group a devancé plusieurs groupes du vieux continent lors de précédents appels d’offres durant lesquels la concurrence fut acharnée entre Naval Group, BAE system au Royaume Uni, Navantia en Espagne, TKMS en Allemagne, Damen aux Pays Bas, et Kockum en Suède) notamment au Brésil et en Inde.
De son côté, le PDG de Jaycar Electronics, fabriquant de batteries australiennes, a commandé une étude (représentant un groupe de citoyens inquiets du programme actuel du gouvernement) qui mettrait en avant l’avantage à choisir le concurrent suédois de Naval Group, Kockum, dans la perspective d’un nouvel appel d’offre. Bien que rejetée par le gouvernement de Canberra, cette campagne de lobbying montre que les potentiels sous-traitants australiens ont eu aussi intérêt à déstabiliser l’industriel français. De plus, comme l’a prouvé la hausse de 50 à 60% la part de sous-traitance australienne lors de la mise en cause de Naval Group, le ministère australien de la défense a tout intérêt à tirer quelques avantages de la position délicate de son partenaire.
Hadia Privat
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