Il l'a tant regardée qu'il ne sait plus s'il doit admirer le génie de celui qui l'a peinte ou maudire le destin qui lui a fait croiser la route de cette tête de femme bizarre avec cette énorme main en premier plan.
Cette toile, en couverture, de Pablo Picasso, qui date de 1921, est, dans le roman de Daniel Monnat, le corps de La faute commise au début des années 1940 par son jeune protagoniste Michel Suter.
En 1939, originaire de La Chaux-de-Fonds, où son père est horloger, celui-ci étudie la médecine à Genève. Ses parents ont fait des sacrifices pour qu'il se rende dans la cité de Calvin où le verbe est roi
En effet, à Genève, les troupes des idéologies totalitaires de l'époque - nazisme, fascisme et communisme - s'y affrontent à coups de slogans et d'injures, mais pas seulement, également à coups de poings.
Michel n'est attiré par aucune. D'origine ouvrière et jurassienne, il devrait être proche de la gauche, mais il a surtout l'ambition de s'intégrer dans la bourgeoisie locale et a des vues sur la fille d'un banquier.
Bien malgré lui Michel va se trouver au coeur de ces affrontements, d'autant que son frère aîné Alain est un adepte de l'idéologie nazie et que le père de sa dulcinée n'y est pas hostile, par opportunisme.
Sa rencontre avec Daniel, sa femme Judith et leur fille Sarah, Munichois de confession juive, lui donne l'occasion de commettre la faute qu'il n'aura de cesse pendant le reste de la guerre de vouloir réparer.
Avant de partir pour Paris, les Tauchner lui confient le Picasso, qui a une grande valeur et qui leur servira en cas de besoin pour rebondir s'ils doivent revenir en Suisse, ce qui ne manque pas de se produire.
Seulement, entre-temps, Michel, étudiant pauvre, a mis en gage le tableau pour avoir les moyens d'offrir une bague de fiançailles à sa promise. Aussi Michel ne sait-il pas comment se dépêtrer de la situation.
Michel a le tort d'en parler à son frère, qui ne recule pas devant les grands moyens pour résoudre le problème: il s'occupe de refouler les Tauchner quand ils traversent la frontière et les livre aux Allemands.
Dès lors Michel change. L'exempté de service militaire paye de sa personne pour retrouver les Tauchner dans l'enfer de cette guerre atroce où les Juifs sont exterminés, ce qui le conduit à Smolensk et à Minsk.
Ce que Michel voit là-bas, en Russie et en Biélorussie, l'auteur le raconte avec force détails et le lecteur doit s'accrocher parce que, si nombre de personnages sont fictifs, les faits sont bien réels et documentés.
Le prologue se passe à Genève en 1959 et précède l'épilogue dans le temps. Le lecteur sait donc dès le début la fin de l'histoire. Mais le roman à rebondissements lui apprend ce qui s'est passé de 1939 à 1944.
Francis Richard
La faute, Daniel Monnat, 320 pages, Slatkine