En cette période de quarantaine, les artistes de rue recréent du lien social avec des moyens ludiques pour atteindre leur public.
Comment exister lorsqu’on est acteur de rue et confiné à l’intérieur ? Comme pour les autres arts vivants, tout a commencé sur la Toile avec captation intégrale d’un spectacle, partage en vidéo des répétitions de création en devenir, qui déclinant son projet en cours en format numérique, etc. Mais, pour certains, comme le conteur, comédien et metteur en scène Olivier Villanove, de la compagnie Agence de géographie affective, le confinement est l’occasion de s’offrir un nouveau terrain de jeu : les pieds d’immeuble. Deux fois par semaine, et en duo avec un comparse, il présente aux spectateurs accoudés aux fenêtres et balcons des chansons, des morceaux d’histoires, des contes, des petites annonces et autres impromptus.
Ces rendez-vous, menés à l’initiative de la mairie de Bordeaux, sont orchestrés par Yohan Delmeire, responsable de la salle des fêtes du Grand Parc, une salle de concerts au cœur d’un quartier prioritaire, lequel avait remarqué que « la distanciation sociale a créé de la distanciation humaine ». La Compagnie Bougrelas et le collectif la Flambée sont aussi de la partie.
« Nous sommes des crieurs cyclistes, on fait un numéro de claquettes pour inciter les gens à regarder de chez eux ce qui se passe dehors, et on crie les messages que d’autres habitants nous ont partagés », explique Olivier Villanove. Lesdits messages sont envoyés par les habitants via une adresse mail (1) et un répondeur téléphonique mis en place pour l’occasion par la mairie et transmis sans filtre aux artistes de rue qui font leurs choix.
Les rires se répondent d’un appartement à l’autre
Ici la déclaration d’amour d’un homme confiné à Bruxelles écrivant à sa femme, enceinte et seule à Bordeaux. Là, un couple qui veut se réconcilier. Ou encore une petite fille qui dit à ses copines combien elles lui manquent. Et bien sûr des messages d’anniversaire en abondance. En prime, il y a la chanson du jour ; celle intitulée Naître et mourir pour la paix a fait un tabac l’autre jour, déclenchant les rires d’un appartement à l’autre, et est encore à écouter très attentivement (pour en saisir toute la saveur ludique et un rien grivoise) sur le Facebook du conteur.
Une expérience à poursuivre après le déconfinement
« On tricote des instants de bonheur aux gens qui, en ouvrant leur fenêtre, voient un visage ami dans un espace public aujourd’hui inexistant et anxiogène, raconte encore le conteur. C’est fabuleux ! C’est comme si on envoyait des bulles d’humanité ! » Les règles du confinement sont respectées et les habitants ne connaissent pas à l’avance les lieux de passage des crieurs. Quant aux compagnies, elles sont locales, ce qui permet aux artistes de faire leurs criées dans leur quartier de confinement et dans celui voisin.
Face au succès, l’initiative va se poursuivre et pourrait bien, une fois le pays déconfiné, trouver un ancrage pérenne dans le territoire bordelais. D’autant que des villes voisines se sont déjà emparées du concept. Il n’y a pas à dire, un spectacle sans écran, même vu de sa fenêtre, est bien ce qui contribue à faire société.
(1) crieurspublics@bordeaux-métropole.fr. Tél. : 05 33 89 46 04.