Jusqu’à ce confinement, cette Seine, source de vie, ramenait avec elle les bruits de la capitale. Ceux de la circulation bien sûr mais aussi et surtout ceux de la vie parisienne. Ces mots venus du monde entier de touristes émerveillés par Paris, qu’ils se baladent sur les berges ou naviguent sur un bateau-mouche. Les bruits de ces enfants jouant dans un square posé sur une rive, ceux des rames de métro l’enjambant sur le Pont de Bir-Hakeim, ceux de tous ses promeneurs se prenant en selfie sur l’un de ses ponts. Avec elle nous parvenait aussi le souffle des sportifs venus faire leur footing ou profiter des berges pour une balade à vélo ou sur des rollers. Personne alors ne leur jetait de regards réprobateurs. Au pire, de l’incompréhension voire parfois un peu de mépris. La Seine nous arrivait chargée d’images d’amoureux accrochant leur cadenas sur un pont ou se bécotant sur un banc public… « en s'foutant pas mal du regard oblique des passants honnêtes, en s'disant des "je t'aime" pathétiques » aurait ajouté Brassens. Mais depuis plusieurs semaines, la Seine est muette, vide de tous ces moments de vie. Sa traversée de Paris se fait dans le silence.
Sur notre droite, la rampe des Grottes récemment restaurée, et le mur des Lions sont les derniers vestiges du Château Neuf, créé à la fin du XVIe siècle à la demande de Henri IV. De nombreuses terrasses descendaient alors jusqu'à la Seine (une maquette située à l'accueil du Musée d'Archéologie permet de visualiser l'ensemble). La grotte de Neptune, celles des Orgues ou encore celle du Dragon amusaient le Roi Henri IV et sa cour.
La grotte du dragon (49 m de long et 10 m de haut) était animée par un dragon furieux qui battait des ailes en lâchant des torrents d’eau pendant que des oiseaux, eux aussi animés par l’eau, battaient des ailes. Dans la Grotte des Orgues, les doigts d’une nymphe étaient animés par la force de l’eau et faisaient sortir différentes mélodies d’un orgue. A la mort d’Henri IV, son successeur Louis XIII s’y divertit à son tour. Louis XIV fut en revanche moins fidèle.
Le souffle est court, le cœur s’est accéléré. Nous voilà en haut de la côte, place Royale. Construit au début du XIXe siècle, à l’emplacement de l’ancien jeu de Paume, le Manège Royal a accueilli des générations de cavaliers et d’écuyers. Le cheval fut longtemps roi dans les rues de ce quartier. Dès la fin du 17e siècle et pendant de nombreuses décennies, les casernes de Gramont et du Luxembourg résonnèrent aux bruits des sabots des différentes garnisons de la cavalerie royale installées dans leurs écuries.
Le footing se poursuit. Sur les trottoirs, sur les panneaux municipaux, des affiches annoncent encore des spectacles qui n’auront jamais lieu. La culture, une partie d’elle en tout cas, est elle-aussi confinée. Rue Giraud-Teulon (ophtalmologue membre de l’académie de médecine qui vécut dans cette rue au 19e siècle), rue Alexandre Dumas (il vécut plusieurs années au pavillon Henri IV), descente de la rue de la Rochejacquelain (Henri de la Rochejacquelain, chef de l’armée catholique et royale lors de la guerre de Vendée, à l’époque de la Révolution française) pour plonger dans la rue Victor Hugo et déboucher sur le Musée Maurice-Denis. Le peintre symboliste et nabi (mouvement postimpressionniste) du début du 20e siècle s’installa ici, dans les bâtiments de l’ancien hôpital général royal. En plus de ses œuvres et celles des peintres de son mouvement (notamment Paul Gauguin), les visiteurs peuvent y apprécier la chapelle. S’y recueillir aussi.
Allée du Buzot, Rue des Sources, Rue des marais. Un seul thème : l’eau. Sous nos pieds, coule le ru du Buzot. De Feucherolles au Pecq, cet affluent de la Seine s’écoule sur un peu plus de 9 km au cours desquels il traverse Aigremont, Chambourcy, Fourqueux et Saint-Germain bien sûr. Enterré dans les années 70 pour ne pas devenir un égout à ciel ouvert, il reste visible quelques rues plus bas, rue Saint-Léger notamment. A une autre époque, au 17e siècle, ses eaux ont alimenté les jets d’eau des automates des grottes des jardins du Château Neuf. Aux 18e et 19e siècles, son courant fut encore bien utile en permettant de faire tourner les moulins à aube et les tanneries, à commencer par la plus célèbre d’entre-elles, la Manufacture Royale, rue Schnapper, où l’on travaillait alors les peaux venues de Russie.
Sur notre chemin, se succèdent les rues baptisées en hommage aux maires de la ville. Gabriel-de-Mortillet (maire de 1882 à 1888), Jean-Paul-Lamarre (maire de 1944 à 1945), Raymond-Vidal (maire de 1945-1947), Camille Léon-Desoyer (maire de 1896 à 1904).
De l’autre côté de la Nationale 13, quand notre cercle s’agrandira au-delà du kilomètre, on pourra aller découvrir les rues Ernest-Baudin (maire de 1929 à 1938), Marcel-Aubert (maire de 1947 à 1949), Jacques-Mollard (maire de 1950 à 1959), René-Beon (maire de 1959 à 1965) et sans doute bien d’autres encore. Dans le nouveau quartier Pereire, à l’ouest, Michel-Péricard (maire de 1977 à 1999) a lui hérité d’une place.
Le footing se termine bientôt. La rue (Jacques) Boucher-de-Perthes (fondateur de la science préhistorique) nous ramène près du centre-ville. Ou plutôt du « centre-vide ». Dernières foulées dans le quartier Alsace. Dans les jardins, les tables de ping-pong ont été sorties des garages un peu plus tôt que les années précédentes. Les transats aussi. Pour ceux qui ont la chance de profiter d’un jardin, le soleil du confinement aura bruni les peaux avec un peu d’avance. Un paradoxe de plus de cette troublante période.