En file indienne au flanc de la colline, les phares falots rentrent au bercail, troupeau sans guide et sans berger, troupeau sans queue ni tête que seul mène le hasard d’un domicile et la perspective d’un lit froissé où déposer la fatigue d’une journée après avoir mangé. Il faut bien qu’ils mangent, une fois rentrés. Il faudra bien qu’ils disent, qu’ils racontent ce qui s’est passé, qu’ils bordent les enfants, et pour finir, une dernière cigarette avant de s’endormir.
Chaque soir, toujours pareils, les mêmes feux renaissent aux premières lueurs des crépuscules pendulaires. Grands phares, feux de position ou de croisement, il faut bien qu’ils se croisent sans s’éblouir pour traverser la nuit brillante et arriver sains et saufs de l’autre côté. À quoi pensent-ils dans la tiédeur de leur habitacle ? Veulent-elles vraiment sortir à la prochaine et s’engager sur une route secondaire ? Longer ensuite l’allée, s’engager à droite, prendre l’impasse et s’arrêter devant le garage. Couper le moteur. La lumière du salon brille au troisième étage et la télévision projette sur les murs les images de leur vie secondaire, de leur vie sans issue qui finira toujours dans une voie de garage.
À quoi rêvent-ils à ces heures régulières ?
Pensent-elles chaque soir qu’il suffirait de ne pas sortir à la prochaine, de continuer tout droit et de suivre le halo des phares qui percent les montagnes et traversent les plaines pour se retrouver au petit matin dans une chambre d’hôtel qui fait face à la mer ?