J'ai singulièrement manqué de temps depuis mon installation à Paris il y a une semaine pour reprendre un rythme de publication régulier. Cela fait d'ailleurs depuis mon retour de Shanghai que je n'y suis plus parvenu. Je remarque cependant que les quelques billets publiés, abordant des thèmes sujets à controverse, ont provoqué d'intéressants et polycentriques débats dans les commentaires. Parmi ces commentaires toutefois, il en est un qui m'a passablement énervé car il remet en cause la raison d'être même des blogs. Tel commentateur hargneux a en effet cru bon de m'intenter un procès en incompétence, lorsqu'en citoyen épris de politique et passionné des questions sociales, j'ai voulu exprimer une opinion sur un phénomène que l'on qualifiera sans originalité d'« actuel ». Comme s'il fallait être un expert d'un sujet donné pour avoir le droit d'en débattre publiquement. Non, je ne suis pas un expert de ce dont je parle. Hormis dans le domaine des médias où j'ai une légitimité pour établir des faits - fussent-ils déplaisants à certains comme le rappel de l'appartenance majoritaire des journalistes à la gauche -, je ne sais pas plus sur les sujets que j'aborde que ce qu'un citoyen impliqué peut savoir au moyen des nouvelles technologies de recherche d'information. Cette précision étant faite, je n'ai jamais, au cours des 214 billets précédents, fourni une seule information erronée. J'ai donné de faits objectifs des interprétations parfaitement subjectives et assumées comme telles. Et, lorsque j'ai eu le plaisir d'avoir des contradicteurs, je leur ai répondu en fonction des convictions que je juge nécessaire d'affirmer ici. C'est ce à quoi servent les blogs, et je m'étonne que certaines personnes, lorsqu'une interprétation leur déplaît, demandent des comptes à celui qui l'a formulée. Si seuls les experts ont droit de cité, c'en est fait de la démocratie. L'expérience des dernières décennies montre d'ailleurs, dans l'ordre politique, que le gouvernement des experts n'est pas forcément celui des meilleurs. Plus loin dans le temps, le régime le plus fécond de l'histoire de France, la Troisième République, était gouverné par des enseignants, des journalistes, des avocats, des médecins, et non par des hauts fonctionnaires ou des experts auto-proclamés comme c'est le cas aujourd'hui. Le principe vaut pour les blogs. Un blog n'est pas un média, et les articles publiés ici n'ont pas plus de valeur que les débats qu'ils provoquent. Mais c'est bien parce que ces débats font cruellement défaut aux médias traditionnels que les blogs existent et doivent exister. L'actualité ne peut être traitée sur le seul mode informatif, ou c'est le sens même de l'information qui est menacé. Sans opinions, sans interprétations divergentes des mêmes faits, il n'est pas de compréhension des enjeux de société possible. Que mon commentateur agressif m'excuse donc de ne pas prétendre dire la vérité ici, mais de simples et basses opinions. Je remarque simplement qu'il est commode de reprocher aux blogueurs d'avoir tort - quand ils ne font qu'interpréter librement un fait -, tout en étant intellectuellement incapable de fournir soi-même une vision originale du monde.
Roman Bernard
Criticus est membre du Réseau LHC.