par Serge Rouleau
On dit qu’après cette crise de la COVID-19, rien ne sera
plus pareil. Est-ce un défi lancé pour faire mentir l’adage : chassez le
naturel et il revient au galop ?
Les optimistes anticipent que le collectif aura finalement
raison de l’individualisme. Ils entrevoient un monde meilleur où l’humanisme
guidera l’élaboration des politiques publiques. À plus long terme, ils rêvent
d’un gouvernement universel qui imposera les conditions essentielles à la vie
et au bien-être des humains. Le COVID-19 ne nous oblige-t-il pas à réaliser que
les virus ne respectent pas les frontières ? Le même raisonnement vaut pour
l’environnement.
Les pessimistes entrevoient plutôt un monde de dictatures où
les individus seront de plus en plus contrôlés. À plus long terme, ils
craignent que le modèle chinois fasse école. Ce modèle n’a-t-il pas démontré
toute son efficacité face à la pandémie de COVID-19 ? Trump, Poutine et bien
d’autres ne rêvent-ils pas de s’approprier tous les pouvoirs ? L’urgence
sanitaire leur donne un avant-goût des avantages du pouvoir absolu.
Je ne suis pas devin. Historiquement, ceux qui se sont
aventurés à prédire l’avenir, à l’exception de quelques auteurs de romans de
fiction, se sont grossièrement trompés. Il est possible qu’il y ait un
mouvement vers des gouvernements plus sociaux-démocrates dans certains pays.
Mais, ici comme ailleurs, l’urgence de rembourser nos dettes privées et
publiques, la nécessité de créer des emplois, la résistance naturelle aux
changements risquent de repousser nos belles résolutions aux calendes grecques.
Il est aussi possible que quelques gouvernements adoptent
temporairement des politiques plus autoritaires. Mais au fur et à mesure que la
peur générée par la pandémie du COVID-19 s’estompera dans nos mémoires, l’intrusion
des gouvernements dans notre train-train quotidien sera de moins en moins
acceptable. Le goût de liberté reprendra ses lettres de noblesse.
Dans l’immédiat, c’est un mauvais moment à passer.
Nous naissons avec le logiciel de base nécessaire à notre
survie. Notre jolie frimousse et nos gazouillis attendrissants de bébé ont pour
but d’émouvoir maman et papa pour qu’ils veillent à nous procurer nourriture et
soins. La période terrible two témoigne
de l’agressivité inhérente de l’être humain pour obtenir ce que nous
considérons comme nécessaire à notre survie. Ensuite, heureusement, nous
acquérons les logiciels d’application fournis par nos parents, nos professeurs,
nos employeurs. Nous sommes sociables. Nous contrôlons notre impulsivité. L’éthique
guide nos comportements. Mais confronté à un danger éminent, le logiciel de survie
prend le contrôle de notre cerveau. Il ne reste plus qu’à espérer que nos
logiciels d’application agissent comme courts-circuits pour éviter le pire.
La société reflète les valeurs dominantes des individus qui
la composent. Devant le danger, la société active aussi ses mécanismes de
survie. C’est le chacun pour soi. Dans les cas extrêmes, la loi du plus fort
est le modus operandi. Le vol des masques destinés aux Français par les
Américains est un exemple patent de ce comportement du pire. À court terme, les
réflexes de survie des individus et des sociétés créent des situations au mieux,
désagréables, au pire, dangereuses. Les médias relatent des exemples du
meilleur et du pire quotidiennement.
Quoiqu’il arrive, il y aura des milliers d’experts qui
analyseront l’avant, le pendant et l’après-pandémie. Ils publieront des
chroniques, des analyses savantes et des
livres. Certains nous permettront de mieux comprendre, plusieurs feront des
lectures divertissantes. La plupart tomberont rapidement dans l’oubli.
Plus près de nous
Je sais par expérience que pour changer une organisation il
faut la déstabiliser au préalable. Sinon, l’inertie tue dans l’œuf les efforts
de changement. L’hécatombe dans nos CHSLD à l’effet d’un choc déstabilisant. Est-ce
que les drames vécus seront suffisants pour qu’on accepte des changements significatifs
dans l’organisation et la gestion de notre système de santé?
Je suis un sceptique de nature, mais qui ne demande qu’à
être confondu.
Depuis une vingtaine d’années, les Québécois ont perdu confiance
dans leurs institutions : santé, éducation, sécurité, justice. Cela
n’augure rien de bon pour le futur.
Malgré le fait que la plupart des politiciens soient
honnêtes, leur réputation stagne au fond du baril. Lors de sondages populaires,
ils se retrouvent dans la même catégorie que les vendeurs d’autos usagers. La commission
Charbonneau avait comme objectif de redonner confiance aux Québécois en notre
système politique et judiciaire. Mais l’UPAC et le système de justice peinent à
accuser et condamner celles et ceux que le tribunal populaire a déclaré
coupables. C’est frustrant, mais il faut s’en réjouir. Le tribunal populaire a
la mèche courte. Il condamne à tort et à travers tout ce qui bouge. Mais cette
situation a pour conséquence de miner la confiance populaire envers les élites
politiques. Il faudra bien un jour trouver le moyen de redorer leur blason,
notre bien-être futur en dépend.
Les derniers politiciens qui nous ont fait faire un bond en
avant significatif sont Jean Lesage et René Lévesque. Jean Lesage a mis fin au duplessisme et au conservatisme religieux.
Il représente la modernisation d’un Québec replié sur lui-même et un peu
arriéré. René Lévesque a jeté les fondations de la sociale-démocratie à la
sauce québécoise. Ils ont, l’un comme l’autre, bénéficié d’un environnement
social et économique propice aux changements : une population jeune en mal
de défis, des finances publiques équilibrées offrant une marge de manœuvre
salutaire.
François Legault doit composer avec une société plus âgée et
plus conservatrice, une dette qui sera gonflée à l’hélium à la fin de la
pandémie. Ce qui n’arrange rien, les transferts de péréquation, plus de 10
milliards de dollars par année, risque de fondre comme neige au soleil. Comme
si cela ne suffisait pas, le Québec compte de nombreux groupes de pression
capables de monopoliser l’attention populaire. Ils n’hésitent pas à descendre
dans la rue dès qu’une menace de changement, même hypothétique,pointe le bout du nez.
Grâce à sa gestion exemplaire de la pandémie, le premier
ministre jouit présentement d’unepopularité qui permet tous les espoirs. Réussira-t-il à conserver sa
cote de popularité? Est-ce que ce sera suffisant?
Croyez-vous vraiment qu’au lendemain de la pandémie les
syndicats et les ordres professionnels vont abandonner leurs intérêts
corporatistes? Croyez-vous que les cadres des trop nombreux niveaux
hiérarchiques vont soudainement tous se responsabiliser? Qu’ils vont tout
bonnement accepter de remettre en question leur rôle et leur pouvoir? Combien
de fois ai-je entendu les responsables des CHSLD dire : « nous
n’avons pas de directives du ministère » ou « les directives du
ministère ne sont pas claires ». Faut-il des directives claires pour
protéger la vie et la santé des plus vulnérables? Pourtant, sans la
collaboration de tous, il ne sera pas possible de corriger les lacunes de nos
institutions publiques.
Nous nous sommes donné des institutions, au premier chef la
santé, hyper centralisée. La centralisation favorise les économies
d’échelle : achat groupé, convention collective commune, contrôle de l’offre,
sélection des interventions et des médicaments. Le mur à mur est sa force. Mais
est-ce le meilleur modèle?
« La grande maladie [du système de santé], c’est la
centralisation… On donne trop de pouvoirs aux mains [de décideurs] qui sont
loin d’où les services doivent être rendus » - Alain Bouchard
S’il existe quelqu’un qui s’y connaît en système de gestion
décentralisé c’est bien Alain Bouchard, ex-PDG de Couche-Tard. Je reconnais
qu’il existe une marge entre gérer un système de santé et des chaînes de
dépanneurs, mais n’y a-t-il pas matière à réflexion?
La décentralisation favorise l’efficacité et la créativité :
rapidité de décision, solutions locales aux problèmes locaux, responsabilisation
des cadres. Dans un système décentralisé, les intervenants de première ligne peuvent
plus facilement contribuer aux décisions. Ils connaissent la nature des
problèmes et les solutions appropriées. Mais qui dit décentralisation, dit
perte de pouvoir des politiciens et des hauts fonctionnaires. Ceux-là mêmes qui
prendront les décisions inhérentes à tout changement. Sauront-ils s’élever
au-dessus de la mêlée?
Les vents contraires seront forts et nombreux pour s’opposer
à tout changement significatif dans l’organisation et la gestion de nos
institutions publiques. Le premier ministre devra jouir d’une popularité à
toute épreuve. Seul le poids d’une popularité indéfectible peut amener les
divers intérêts particuliers à coopérer au succès des institutions dédié au
bien-être des Québécois. Est-ce que François Legault sera toujours ce chef-là
lorsque les menaces de la pandémie se seront amenuisées dans l’esprit des
Québécois?
Je nourris l’espoir que les institutions étatiques de demain
seront plus près des gens. Il ne faut plus que les enfants et les gens
vulnérables soient perçus comme un mal nécessaire pour justifier une
bureaucratie inhumaine et trop souvent inefficace.