Revalorisation de ceux qui font réellement tourner l’économie et qui font face au virus, services publics et de santé à renforcer, relocalisations indispensables… Ce vendredi, les syndicats poussent pour changer les priorités économiques et sociales.
Après avoir obtenu deux condamnations pour défaut d’évaluation des risques sanitaires liés au coronavirus, les syndicats CGT, SUD et CFDT d’Amazon étaient, ce mercredi encore, à l’offensive, proposant un modus operandi pour organiser une reprise d’activité progressive. À l’image de cette bataille syndicale et judiciaire devenue emblématique de cette période de travail sous confinement, l’irruption de l’épidémie en France a bouleversé nombre de strates de notre quotidien, y compris au sein du monde du travail. Certes, pas suffisamment pour inverser durablement les rapports de forces. Mais des mobilisations ont payé pour faire respecter la santé et les conditions de travail, comme à La Poste, FedEx ou dans l’industrie. Des schémas de pensée ont aussi été sévèrement bousculés. Si bien que les organisations représentatives des travailleurs entendent pousser leur avantage ce 1er Mai, journée internationale des travailleurs, pour acter des évolutions majeures dès le « jour d’après », qui débute le 11 mai.
« Le Covid-19 met au jour les limites du néolibéralisme »
Si la persistance du coronavirus bannit des rues les traditionnels défilés (lire par ailleurs), elle n’empêche pas les modes d’action inventifs pour faire vivre les très nombreux mots d’ordre. Les services publics s’y tailleront la part du lion, hospitaliers et Ehpad comme tous les secteurs qui ont assuré la continuité des activités de base (énergie, propreté, eau et assainissement, sécurité…). « Il est dommage que l’on ait attendu une épidémie pour qu’on constate leur utilité, sourit Anne Guyot-Welke, secrétaire nationale de Solidaires finances publiques. Le Covid-19 a démontré leur importance ainsi que celle des amortisseurs sociaux et économiques mis en place grâce aux fonds publics. En contrepoint, il met au jour les limites du néolibéralisme, qui a asséché les budgets publics, imposé des coupes dans le secteur de la santé, dont la conséquence a été la mise en danger de la santé des populations. Il va falloir très vite donner des moyens en cons équence aux services publics, notamment en adoptant une autre politique fiscale, avec plus d’équilibre entre les contribuables, les plus riches échappant facilement à leurs contributions. Sinon, la crise de 2008 nous a montré la suite : les précaires et les fragiles seront les premiers touchés. »
Si Emmanuel Macron a lui-même reconnu à de multiples reprises ces dernières semaines l’importance de ces services publics dans la pandémie, les agents publics, territoriaux et hospitaliers peuvent se prévaloir d’un soutien plus assuré sur la durée. Celui de la population, qui, selon le dernier baromètre annuel Kantar-Paul Delouvrier sur « les services publics vus par les Français », relevait dès décembre dernier un changement de paradigme : « La préférence pour améliorer la qualité des services publics plutôt que diminuer les impôts. »
« Un rapport de forces nouveau doit être préparé »
« Nous avons l’opinion publique derrière nous », acquiesce Natacha Pommet, de la CGT services publics. Mais pour l’heure, souligne-t-elle, « aucune inflexion en ce sens n’est venue du gouvernement. Ses récentes ordonnances lui permettent de prendre dans nos jours de congé. La prime aux personnels en première ligne s’avère très aléatoire, alors que ça fait dix ans que le point d’indice est gelé et que nos salaires n’ont pas évolué. Et le ministère de l’Action et des Comptes publics s’apprête à reprendre le cours de sa réforme de casse de la fonction publique ».
Partout les luttes à venir s’avèrent serrées. Il faudra revaloriser tous les métiers des « premiers de cordée » face au virus. À ce propos, la sociologue Dominique Méda soulignait récemment dans l’Humanité Dimanche : « Les mieux payés sont ceux qui parviennent à imposer une telle situation, fruit donc d’une logique de pouvoir et de domination. Il faudrait évidemment que nous sortions de cette crise avec la ferme intention de faire cesser cette divergence entre la création de valeur pour la société et l’échelle des rémunérations. (…) Mais cela suppose un rapport de forces nouveau qui doit se préparer pendant le confinement. » C’est bien là encore l’intention des syndicats.
Si le gouvernement en est déjà à déployer son plan de reprise d’activité, la page n’est pas tournée des déclenchements de droits d’alerte, de retrait ou même de grève pour la sauvegarde de la santé des travailleurs. Et les discussions entre directions et représentants des salariés quant au retour à la production s’annoncent difficiles pour ces derniers, tant les dernières ordonnances et décrets offrent des armes aux premières pour imposer la cadence. « En rouvrant les crèches, écoles et collèges, on voit bien que la priorité du gouvernement est de répondre au patronat en renvoyant tout le monde au travail tout en essayant de diviser les salariés, entre ceux en télétravail et ceux obligés de revenir sur les lignes de production, s’insurge Frédéric Sanchez, de la CGT métallurgie. La période impose de tout revoir de fond en comble : les conditions de travail, le partage du temps de travail, les salaires, l’augmentation du Smic et des aides au logement, mais aussi une vraie politique industrielle, de relocalisation. »
L’épidémie et le confinement ont démontré l’inanité de la réforme des retraites, suspendue sine die mi-mars. La seconde phase de la réforme de l’assurance-chômage vient d’être repoussée, elle qui durcissait encore l’accès à l’indemnisation. Combien de temps la ministre du Travail résistera-t-elle à la pression sur les mesures du 1er novembre dernier ? « La solution ne viendra pas de ceux qui font partie du problème, faisait récemment valoir Solidaires. Organisons-nous ! »
30 avril 2020