C'est très clair dès son " Prélude ", introduction qui fait face à une reproduction des Demoiselles d'Avignon de Picasso : " Les avant-gardes ont ceci de grandiose qu'elles durent. L'aventure de Tel Quel s'est poursuivie avec L'Infini. La révolution des salons initiée par Diderot se prolonge avec les textes de Sollers sur la peinture. Tous deux professent un même matérialisme athée. Le goût de l'expérimentation romanesque conduira l'un à écrire ce roman de la subversion des codes littéraires qu'est Jacques le fataliste et son maître ; et incitera l'autre à réintroduire dans le roman une dimension dialogique et polyphonique sans égale depuis Dostoïevski et Céline. "
Entrer en peinture comme on entre au bordel
Suivent 8 parties et, non pas une conclusion, mais une " Fugue "... Bien sûr Rachet s'intéresse aux livres que Sollers a écrit sur des peintres : Fragonard, Cézanne, De Kooning, Bacon, Picasso. Mais il veut surtout montrer comment, depuis ses œuvres de jeunesse, Sollers ne souhaite pas écrire sur la peinture, mais plutôt peindre en écrivant. Dès 1963, dans L'Intermédiaire, on peut lire : " D'instinct, pour répondre à la masse confuse et sans limites, étendue au monde entier, de son désir, l'enfant que j'étais à douze ans avait élu Olympia. " " L'adolescent que fut Sollers, commente Olivier Rachet, entre donc, comme par effraction, en peinture, comme on entre au bordel. Des demoiselles d'Avignon rejoindront la danse ; mais pour l'heure seuls les peintres de l'amour sont convoqués. De Titien à Manet il n'y a qu'un pas. De la Vénus d'Urbino à l'Olympia, il n'y a qu'une simple variation de l'angle de vue. "
Ouvert à lui au-delà de lui-même
Evidemment, ce livre, très bien écrit, d'une lecture enthousiasmante, n'a pas intéressé ce qu'on appelle encore à tort " la grande presse ". En dehors de lieux de liberté comme Les Lettres françaises, c'est une fois de plus sur internet qu'il faut aller chercher. Et on trouve sur le site de Poezibao un excellent texte du poète Pascal Boulanger (qui vient de publier Jusqu'à présent je suis en chemin. Carnets 2016-1018 , éd. Tituli) sur le livre de Rachet. Et il est agréable de lui rendre hommage, en le citant et en lui laissant le soin de conclure :
Josyane Savigneau" La peinture, qui, depuis ses premiers écrits, intéresse Sollers, est inséparable d'une poétique et d'une érotique. Elle est, avant tout, une lecture et un hommage à la voix de la lumière et du corps, à son entrelacs de visions et de mouvements. [...] Et s'il existe une légende tenace qui nous dit que Sollers serait dans une jouissance narcissique, l'essai médité de Rachet prouve l'inverse : Sollers a toujours été porté par-delà lui-même, ouvert à lui au-delà de lui-même. [...] Tous les écrits - les partis-pris - de Sollers, ses goûts, engagent une poéticité qui contredit les maladies du ressentiment, les images lisses d'un monde, ou encore la gratuité esthétisante. [...] Il y a eu, en 1983, la publication de La Peinture et le mal par Jacques Henric. Il y a aujourd'hui cet essai tout aussi déterminant et central d'Olivier Rachet qui prouve que l'on peut encore entendre la vérité du temps tel qu'il est traversé par ceux qui le dévoilent et entrent dans une gravitation légère, abondante, glorieuse. "
Oliver Rachet, Sollers en peinture. Une contre-histoire de l'art. Editions Tinbad, 224 pages, 21€