Crise du coronavirus oblige, ce film (qui était en sélection à Cinéma du réel) a une sortie originale, en partenariat avec Télérama, Médiapart et France Culture : dans une vingtaine de salles mais en VOD. Il faut donc habiter à proximité d’une salle pour pouvoir le visionner en exclusivité sur réservation sur www.25eheure.com. Des débats en ligne avec la réalisatrice Lucie Viver et Bikontine (protagoniste du film, depuis le Burkina) seront organisés aux séances de 20 h 30 toute la semaine du 29 avril au 5 mai 2020.
« J’allais partir, mais un jour l’espoir se planta dans mon rêve ». Bikontine, la trentaine, autodidacte, écrit des poèmes sur des blocs de papier. Il s’apprêtait à « partir à l’aventure » en Europe lorsque la révolution burkinabè d’octobre 2014 lui donne l’espoir d’une vie meilleure. Lucie Viver, assistante de réalisation et scénariste, avec qui il avait beaucoup échangé, lui propose de suivre la seule voie ferrée du Burkina Faso (Ouagadougou-Abidjan) pour explorer son pays et y voir plus clair. Pour son premier long métrage, elle l’accompagne seule, fait la caméra et la prise de son, et les voilà partis sur une grande diagonale de 600 kilomètres, de Beregadougou à Kaya, du Sud-Ouest vers le Nord. Les paysages changent, d’abord verdoyants puis sahéliens et arides, à l’image de Bikontine mais aussi du Burkina qui va d’espoirs en désillusions. A chaque gare une halte, des rencontres improvisées.
Mais le train, c’est aussi la colonisation française qui le construisit, c’est-à-dire la main d’œuvre locale. Beaucoup y laissèrent leur vie, comme pour ce pont de 1932 proche de Beregadougou. Le film épouse donc cette progression historique vers l’émancipation prônée par le militant anti-impérialiste qui disait que « malgré le peu qu’on a, on peut s’en sortir nous-mêmes ». Dans la classe surchargée d’une école, les élèves apprennent que le rouge du drapeau burkinabé fait référence aux martyrs de la lutte anticoloniale, le vert à l’agriculture et l’étoile jaune à « la lumière qui nous guide ».
C’est surtout aux travailleurs que s’intéressent Bikontine et Lucie qui met en scène sans apparaître à l’écran. A chaque fois, une mise en perspective : les brûleurs et ramasseurs de canne, puis les sacs de sucre entassés à la raffinerie, puis Sankara qui demande l’annulation de la dette. Ou bien les orpailleurs : certes la caméra ouvre les choses mais lorsque Bikontine descend dans la mine aussi, il établit un contact qui permet tous les échanges.
A Bobo-Dioulasso, place de la femme, un monument où une femme tient un flambeau. Les balayeuses de rue commentent. Les femmes sont présentes, jusque dans un planning familial ou à travers « A ma mère », le poème de Camara Laye que Bikontine essaye de redire à un jeune. Là aussi, une référence à l’exigence de Sankara d’une égalité homme/femme.
C’est cette confrontation avec le vide que capte Lucie Viver : la vertigineuse déception d’une société maintenant confrontée aux agressions djihadistes autant qu’aux assauts continus de la précarité (et aujourd’hui du covid-19 !). Elle filme avec sensibilité Bikontine dont « la route glisse sous les pieds ». Il est un corps errant, ouvert et incertain, fort de ses mots mais qui n’en fait pas des discours. Il tente simplement de trouver le fil d’un espoir qui tienne. Il est à l’unisson, excellent choix, de la guitare mélancolique de Rodolphe Burger mais aussi de ses coups de rage qui rappellent ceux de Bled Number One de Rabah Ameur-Zaïmeche.
Dans son épreuve initiatique, Bikontine, lonesome cow-boy qui brave le vertige, hésite encore à tenter le voyage vers l’ailleurs mais s’appuie sur Sankara pour trouver son ancrage, et avec lui toute une société.
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