Déclaration du Premier Ministre Édouard Philippe le 28 avril 2020 devant les députés pour présenter le plan de levée du confinement (texte intégral)

Publié le 28 avril 2020 par Sylvainrakotoarison

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Pour en savoir plus :
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200428-deconfinement.html
Séance du mardi 28 avril 2020
Présidence de M. Richard Ferrand

Avertissement : version provisoire mise en ligne à 18:25
M. le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
Déclaration du Gouvernement relative à la stratégie nationale du plan de déconfinement dans le cadre de la lutte contre l'épidémie de Covid-19, suivie d'un débat et d'un vote
M. le président. L'ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement relative à la stratégie nationale du plan de déconfinement dans le cadre de la lutte contre l'épidémie de Covid-19, suivie d'un débat et d'un vote, en application de l'article 50-1 de la Constitution.
Monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues (M. le président s'exprime debout. - Mmes et MM. les députés et membres du Gouvernement se lèvent pour l'écouter), prononçant ces mots : " La séance est ouverte ", je dis aussi que la séance de ce jour est ouverte aux espoirs que nous partageons avec nos compatriotes et qu'elle est résolument tournée vers les lendemains heureux que chacun d'entre nous appelle de ses vœux.
Mes chers collègues, l'heure n'est pas en ces instants aux considérations secondaires, tant nous sentons, au plus profond de nous-mêmes, avec le peuple français, que nous traversons une épreuve qui marquera l'histoire de notre pays, l'histoire de l'Europe et celle du monde, avec son cortège de peurs, d'incertitudes et de doutes. En ces lieux empreints de l'histoire féconde et tourmentée de notre démocratie, nous savons tous combien nos valeurs de liberté, d'égalité, de fraternité ont pu être à plusieurs reprises mises à rude épreuve. Cet hémicycle, où la nation est représentée, a vécu des guerres, des drames, des pandémies, des catastrophes naturelles, autant de moments saisissants qui obscurcissent l'horizon. Parfois, cette noirceur colore de nombreuses existences, face à la menace sournoise d'un virus silencieux qui a déjà arraché à la vie tant de femmes et d'hommes, de pères et de mères, de frères et de sœurs, d'amis et de camarades. Le doute et la peur viennent ébranler nos rationalités, tandis que l'optimisme, consubstantiel à la vie, conduit à s'accrocher à chaque espérance naissante. Dans ce moment où l'impatience est la traduction du désir de vivre, il nous faut admettre une part d'ignorance et de tâtonnements, il nous faut reconnaître que les plaies de cette crise s'annoncent profondes et que les mots ne suffiront pas pour les panser.
Aujourd'hui, monsieur le Premier ministre, vous savez que vous ne gouvernez pas un phénomène qui nous domine et nous savons, mes chers collègues, que la pandémie est plus forte que n'importe laquelle de nos lois. Nulle manifestation d'impuissance, disant cela, seulement la conscience d'être rappelé au tragique de toute histoire individuelle ou collective, qui rend dérisoire toute vanité.
Puisse, mes chers collègues, cet ébranlement général nous apprendre à aborder les sujets dans toute leur profonde complexité, et non dans leur apparente simplicité. Cette responsabilité, nous la devons aux Français, puisque nous sommes la représentation nationale. Vous n'êtes pas seulement soixante-quinze députés dans cet hémicycle - un effectif exceptionnellement réduit afin de respecter les recommandations sanitaires. Je salue, bien entendu, tous nos collègues dont l'absence physique ne doit pas masquer le travail actif et la présence à distance. Vous n'êtes pas seulement soixante-quinze députés, vous représentez la République, dans sa riche diversité, avec ses sensibilités et ses conceptions politiques différentes. Vous n'êtes pas seulement soixante-quinze députés, vous portez l'attente et l'espérance de millions de Français qui nous regardent aujourd'hui, car l'histoire qui nous convoque est celle de la vie quotidienne de chacun et de notre destin collectif. Cette responsabilité, nous la devons aussi à tous ceux dont l'énergie et le courage forcent notre admiration : les soignants, les forces de sécurité et de secours, les fonctionnaires, les paysans, les ouvriers, les salariés, les parents, ainsi que les élus de tous les territoires, qui nous rappellent chaque jour que la France est diverse et que de généreuses initiatives solidaires font de la fraternité un ciment national face à la tempête et donne corps à ce mot de notre devise nationale.
Monsieur le Premier ministre, vous témoignez à l'Assemblée nationale un profond respect en choisissant de vous exprimer d'abord depuis cette tribune. Vous recevrez l'écoute attentive d'une assemblée habitée certes par l'esprit de concorde qu'impose le contexte national, mais aussi par la différence qui fonde notre démocratie. Nul doute que le riche débat qui va s'engager et le vote qui le clôturera permettront à chacun de s'exprimer et de s'engager devant les Françaises et les Français. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM, UDI-Agir et LT.)
Monsieur le Premier ministre, vous avez la parole.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, voici donc le moment où nous devons dire à la France comment notre vie va reprendre. Depuis le 17 mars, notre pays vit confiné. Qui aurait imaginé, il y a seulement trois mois, la place que ce mot allait prendre dans notre débat public ? Qui aurait pu envisager une France dans laquelle, subitement, les écoles, les universités, les cafés, les restaurants, une majorité d'entreprises, les bibliothèques, les librairies, les églises, les temples, les synagogues et les mosquées, les jardins publics et les plages, les théâtres, les stades, tous ces lieux communs - pour utiliser une formule qu'affectionne le président de l'Assemblée nationale - auraient été fermés ?
Jamais dans l'histoire de notre pays, nous n'avions connu une telle situation : ni pendant les guerres, ni pendant l'Occupation, ni pendant les précédentes épidémies. Jamais le pays n'avait été confiné, comme il l'est aujourd'hui. De toute évidence, il ne peut l'être durablement, car si le confinement a constitué une étape nécessaire, il pourrait, s'il durait trop longtemps, avoir des effets délétères.
Le confinement a été un instrument efficace pour lutter contre le virus, pour contenir la progression de l'épidémie, pour éviter la saturation des capacités hospitalières et, ce faisant, pour protéger les Français les plus fragiles. Depuis le 14 avril dernier, le nombre de cas de Covid-19 hospitalisés diminue : de plus de 32 000 patients hospitalisés, il est descendu à environ 28 000. Depuis le 8 avril, le nombre de cas en réanimation diminue : il dépassait 7 100 ; il est désormais de 4 600. La décrue est engagée. Elle est régulière - lente, j'y reviendrai, mais régulière. Selon une étude de l'École des hautes études en santé publique, le confinement aura permis d'éviter au moins 62 000 décès en un mois et 105 000 lits de réanimation auraient manqué en l'absence de confinement. Je ne crois pas que notre pays aurait supporté cela.
Toutefois, un instrument ne vaut que si ses effets positifs ne sont pas, dans la durée, dépassés par ses conséquences négatives. Or nous savons, par l'intuition ou par l'expérience, qu'un confinement prolongé au-delà du strict nécessaire aurait pour la nation des conséquences gravissimes. Nous sentons que l'arrêt prolongé de la production de pans entiers de notre économie, que la perturbation durable de la scolarisation d'un grand nombre d'enfants et d'adolescents, que l'interruption des investissements, publics ou privés, que la fermeture prolongée des frontières, que l'extrême limitation de la liberté d'aller et venir, de se réunir, de rendre visite à ses proches, à ses parents présenteraient pour le pays, non pas seulement l'inconvénient pénible du confinement, mais en vérité celui bien plus terrible du risque de l'écroulement.
Je n'emploie pas ce terme au hasard. On me reproche plus souvent d'user de la litote que de l'exagération. Il nous faut donc, progressivement, prudemment, mais résolument, procéder à un déconfinement aussi attendu que risqué et redouté. L'objectif du Gouvernement est de présenter à l'Assemblée nationale et, grâce à elle, aux Français, notre stratégie nationale, c'est-à-dire les objectifs que nous visons et la façon dont nous allons procéder pour les atteindre à compter du 11 mai prochain.
Toute stratégie repose sur des constats. Le premier est médical. Il tient en quelques mots simples, que tous les Français doivent avoir en tête : nous allons devoir vivre avec le virus. Dès lors qu'aucun vaccin n'est disponible à court terme, qu'aucun traitement n'a à ce jour démontré son efficacité et que nous sommes loin d'avoir atteint la fameuse immunité de groupe, le virus va continuer à circuler parmi nous. Ce n'est pas réjouissant, mais c'est un fait.
On peut espérer que le virus disparaisse de lui-même. Les spécialistes des épidémies s'accordent - du moins, certains d'entre eux - pour reconnaître que cela arrive, que les épidémies s'arrêtent parfois sans que l'on sache très bien pourquoi. On peut espérer que l'incroyable effort de recherche engagé dans le monde entier permettra de trouver sous peu un traitement et, d'ici douze à vingt-quatre mois, un vaccin, qui renverrait ce virus au rang des questions de santé résolues par l'intelligence et la technologie humaines.
On peut tout à fait espérer tout cela, mais fonder une politique publique et organiser la vie des Français autour d'hypothèses aussi incertaines n'est pas envisageable. Il nous faut donc apprendre à vivre avec le Covid-19 et à nous en protéger. Voilà la première contrainte - et le premier axe de notre stratégie.
Le deuxième constat est à la fois médical et politique. Il tient au risque de voir repartir l'épidémie.
La décision de confiner notre pays a permis de ralentir la circulation du virus. Elle a permis que jamais nos services de réanimation ou de soins intensifs ne soient saturés au point qu'ils n'auraient pu admettre de nouveaux patients. Elle a permis à l'engagement des soignants, à l'imagination des équipes hospitalières, à l'organisation logistique des soins de tenir, en dépit d'une pression considérable, jamais vue. Je le répète : notre système hospitalier a tenu - mais il l'a fait au prix d'une fatigue bien compréhensible des femmes et des hommes, au prix d'une consommation de médicaments de réanimation et de consommables jamais constatée jusqu'alors, au prix d'une déprogrammation des opérations chirurgicales non nécessaires à court terme, mais qui finiront par l'être.
Le risque d'une seconde vague, qui viendrait frapper un tissu hospitalier fragilisé, qui imposerait un re-confinement, lequel ruinerait les efforts et les sacrifices consentis au cours de ces huit semaines, est un risque sérieux - un risque qu'il faut prendre au sérieux. Ce risque impose de procéder avec prudence, progressivement, sûrement, en reprenant notre vie selon des modalités qui permettent, semaine après semaine, de vérifier que nous maîtrisons le rythme de circulation du virus.
Le deuxième axe de notre stratégie sera donc la progressivité.
Le troisième facteur à prendre en considération est géographique. Il tient là aussi en quelques mots : la circulation du virus n'est pas uniforme dans le pays. Certaines parties ont été durement touchées, certains territoires enregistrent encore, après six semaines de confinement, un nombre élevé de nouveaux cas quotidiens, mais dans d'autres, le virus est quasi absent.
Cette circulation hétérogène du virus crée, de fait, des différences entre les territoires. Pour tous ceux qui, comme moi, croient au bon sens, il n'est pas inutile - il paraît même nécessaire - de tenir compte de ces différences dans la façon dont le déconfinement doit être organisé. Il s'agit non seulement de ne pas appliquer le même schéma dans des endroits où la situation n'est objectivement pas la même, mais aussi de laisser aux autorités locales, notamment aux maires et aux préfets, la possibilité d'adapter la stratégie nationale en fonction des circonstances.
C'est d'ailleurs pour cela que le Président de la République et moi-même avons décidé de dire rapidement quelle était notre stratégie nationale, afin que ceux qui vont participer à sa mise en œuvre puissent prendre au plus tôt leurs dispositions. Avec plusieurs membres du Gouvernement, avec le coordinateur interministériel Jean Castex, je rencontrerai demain les associations d'élus locaux et les préfets, jeudi les partenaires sociaux, pour engager ce travail de concertation et d'adaptation du plan aux réalités de terrain.
Vivre avec le virus, agir progressivement, adapter localement : voilà les trois principes de notre stratégie nationale. À partir du 11 mai, sa mise en œuvre va reposer sur le triptyque " protéger, tester, isoler ".
Protéger, c'est éviter d'être infecté par le virus ou d'infecter les autres. Les médecins nous disent que la contagiosité de la maladie apparaît deux jours avant les premiers symptômes et disparaît plusieurs jours après. Ils disent également que des porteurs du virus en proportion non négligeable ne présentent aucun symptôme et ne savent pas qu'ils peuvent le transmettre. Dès lors, il est impératif que chacun puisse adopter les comportements qui permettent d'éviter la contamination. À partir du moment où nous ne serons plus en situation de confinement, où les occasions de contact augmenteront à nouveau - il faudra les limiter, mais elles resteront plus importantes qu'aujourd'hui -, le respect des gestes barrières et des mesures de distanciation sociale prendra encore plus d'importance.
Ces gestes barrières, tout le monde les connaît désormais : la distanciation physique et le lavage régulier des mains. À cela, il conviendra d'ajouter - je dis bien d'ajouter - le port du masque dans certaines situations. Je souhaite précisément revenir sur ce sujet, car cette question des masques a suscité l'incompréhension et la colère de nombreux Français : pourquoi n'y en avait-il pas pour tout le monde, fallait-il en porter, où les trouver ? Lorsque la crise a commencé, nous disposions d'un stock important de masques chirurgicaux - important au sens où il permettait de répondre à plus de vingt semaines de consommation normale des services hospitaliers. La production nationale était inférieure à cette consommation normale, mais complétée par des importations régulières. Avec l'apparition de l'épidémie en Chine, puis son arrivée en Italie, l'importation est devenue momentanément impossible et la consommation a augmenté dans des proportions incroyables.
Comme tous les pays européens, comme les États-Unis d'Amérique, la France a dû gérer le risque d'une pénurie de masques. Trois décisions ont donc été prises. D'abord, augmenter la production nationale de masques chirurgicaux, autant que faire se peut. Ce n'est pas simple, mais nous sommes en train d'y parvenir, en la doublant pour commencer, et en atteignant bientôt cinq fois son volume initial. Ensuite, réserver le stock existant aux personnels hospitaliers, pour garantir la fourniture de ces masques à ceux qui, en première ligne, auraient à soigner les malades. Il est arrivé que nous doutions de notre capacité à garantir cet approvisionnement dans la durée. Réserver les masques aux soignants, c'était, mécaniquement, refuser de les distribuer à d'autres : c'est un choix difficile ; c'est un choix contesté ; c'est un choix que j'ai estimé nécessaire. Enfin, nous avons lancé la production de masques en tissu pour compléter l'offre et ne pas dépendre des importations, dont nous ne savions pas si elles pourraient reprendre et, si elles reprenaient, pour combien de temps.
Les scientifiques eux-mêmes ont évolué. Au début, beaucoup nous disaient que le port général du masque n'était pas nécessaire, que le risque du mauvais usage était supérieur aux avantages espérés. Nous l'avons répété ; moi-même, je l'ai dit. Ils nous disent aujourd'hui - ce sont parfois les mêmes - qu'il est préférable, dans de nombreuses circonstances, de porter un masque plutôt que de ne pas en porter : il me revient donc de le dire, et de faire en sorte que cela soit possible. Pendant la phase de pénurie, l'outil des réquisitions a été fort utile. Depuis maintenant plusieurs semaines, depuis que nous sommes rassurés quant à notre capacité à fournir en masques les soignants, au sens large, nous incitons l'ensemble des acteurs à se procurer des masques. Les données des douanes le montrent d'ailleurs assez clairement : il entre dans notre pays bien plus de masques que n'en commande le Gouvernement. Et croyez-moi, il en commande ! Nous recevons désormais près de 100 millions de masques chirurgicaux par semaine ; nous recevrons près de 20 millions de masques grand public lavables à compter du mois de mai.
Nous avons incité les entreprises et les collectivités à se procurer également des masques ; certaines, d'ailleurs, n'avaient pas attendu que nous les y incitions. Nous soutiendrons financièrement les collectivités locales qui achètent à compter de ce jour des masques grand public, en prenant en charge 50 % du coût de ces masques dans la limite d'un prix de référence.
M. Maxime Minot. Et avant ?
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Vous l'avez probablement remarqué, nous avons récemment rouvert les boutiques de tissus et les ateliers de couture, et diffusé des guides pratiques de confection de masques, afin que chacun se mobilise pour en produire. Grâce à cette mobilisation de tous, il y aura assez de masques dans le pays pour faire face aux besoins à partir du 11 mai. Mais l'enjeu, la responsabilité des pouvoirs publics, notre responsabilité collective, c'est d'arriver, dans les prochaines semaines, à organiser cet effort pour éviter que certains n'aient en quelque sorte trop de masques, quand d'autres n'en auraient pas. Progressivement, nous parviendrons à une situation classique où les Français pourront, sans risque de pénurie, se procurer des masques grand public dans tous les commerces. En attendant, il faut que l'État, les collectivités territoriales, les entreprises, l'initiative privée, soient complémentaires et non concurrents. Le Président de la République l'a dit : nous nous appuierons sur les maires et sur les préfets, avec le concours de tous.
J'invite toutes les entreprises, quand leurs moyens le leur permettent, à veiller à équiper leurs salariés. C'est une condition de la reprise : elles le savent, elles le disent. Les régions et l'État mettront en place un appui aux très petites entreprises, les TPE, et aux travailleurs indépendants, au-delà des initiatives déjà prises par un certain nombre de branches ou d'organisations professionnelles. Une plateforme de e-commerce sera ouverte par la Poste à compter du 30 avril et distribuera chaque semaine à ceux qui en ont besoin plusieurs millions de masques grand public.
L'État et les collectivités locales assureront la protection de leurs personnels, en particulier ceux qui sont en contact avec le public. Les préfets disposeront d'une enveloppe locale pour soutenir, avec les départements et les régions, les plus petites collectivités. Les personnels de l'éducation et les élèves des collèges recevront également des masques. Les pharmacies et la grande distribution seront invitées à vendre, dans des conditions que nous définirons avec elles pour éviter les phénomènes de pénurie, des masques jetables ou lavables. Les particuliers sont bien sûr invités à se confectionner eux-mêmes des masques dans les conditions recommandées par l'AFNOR, l'Association française de la normalisation, et l'ANSM, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Enfin, nous réserverons une enveloppe hebdomadaire de 5 millions de masques lavables pour que les préfets organisent, avec les maires et les présidents de conseil départemental, la distribution à ceux de nos concitoyens qui se trouvent dans la plus grande précarité, par l'intermédiaire des centres communaux d'action sociale - CCAS - et des acteurs associatifs.
Protéger, donc. Tester, ensuite. Là encore, les recommandations scientifiques ont évolué. Après tout, sans doute est-ce normal face à un virus inconnu. Cette crise sanitaire renvoie décidément tout le monde à un devoir d'humilité.
La doctrine initiale consistait, dans ce que nous appelions la phase 1, à tester au maximum. Nous avons d'ailleurs beaucoup testé en phase 1. Lorsqu'un cas est apparu aux Contamines-Montjoie, et qu'il a fallu le circonscrire, nous avons testé massivement ceux qui s'étaient approchés, de près ou de loin, des malades identifiés. Mais la doctrine voulait qu'une fois l'épidémie passée en phase 3, on ne teste plus que les malades hospitalisés pour suspicion de Covid, les soignants symptomatiques et les premiers cas dans les établissements accueillant des publics fragiles. C'est ce que nous avons fait. Les temps ont changé ; la doctrine de l'OMS, l'Organisation mondiale de la santé, aussi.
À la sortie du confinement, nous serons en mesure de massifier nos tests. Nous nous sommes fixés l'objectif de réaliser au moins 700 000 tests virologiques par semaine à dater du 11 mai.
M. Patrick Hetzel. Les Allemands sont à 3 millions ! Quatre fois plus !
M. Maxime Minot. C'est hallucinant !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Pourquoi ce chiffre ? Parce que le Conseil scientifique nous dit qu'à ce stade, les modèles épidémiologiques prévoient entre 1 000 et 3 000 nouveaux cas par jour à partir du 11 mai. Parce qu'à chaque nouveau cas correspondra, en moyenne, le test d'au moins 20 à 25 personnes l'ayant croisé dans les jours précédents ; 3 000 fois 25 fois 7, cela donne 525 000 tests par semaine ; 700 000 nous procure la marge qui nous permettra, en plus de ces tests des chaînes de contamination, de mener des campagnes de dépistage, comme nous en avons déjà engagé notamment pour les EHPAD.
Pour atteindre cette cible, nous avons fait sauter les verrous qui empêchaient la participation des laboratoires de recherche et des laboratoires vétérinaires à cet effort collectif. La capacité à faire sauter ces verrous sur le terrain, pas seulement dans les discours, est un exercice qui incite aussi, je peux vous le dire, à une grande humilité. Nous avons engagé la mobilisation conjointe des laboratoires publics et privés, qui peuvent aujourd'hui monter en charge très rapidement. Cette mobilisation permettra de garantir dans tout le territoire un accès de proximité aux prélèvements. Nous allons enfin faire passer à 100 % la prise en charge de ces tests par l'assurance maladie. En un mot, tout doit être fait pour rendre la réalisation du test facile et rapide.
Dès lors que le résultat du test sera positif, nous engagerons un travail d'identification de tous ceux, symptomatiques ou non, qui auront été en contact rapproché avec la personne contaminée. Tous ces cas contacts seront testés et invités à s'isoler, compte tenu des incertitudes sur la durée d'incubation. Cette règle est simple à formuler. Mais elle exige, pour être appliquée de façon systématique partout en France, des moyens considérables. Nous ne pourrons réussir que grâce à la mobilisation des professionnels de santé libéraux, notamment des médecins généralistes et des infirmiers libéraux. Ils constitueront d'une certaine manière la première ligne dans cette recherche des cas contacts pour tout ce qui concerne la cellule familiale. Je sais qu'ils peuvent se mobiliser pour cette mission, et nous les accompagnerons. En appui, les équipes de l'assurance maladie s'occuperont de la démultiplication de cette démarche d'identification des cas contacts au-delà de la cellule familiale. Dans chaque département, nous constituerons des brigades chargées de remonter la liste des cas contacts, de les appeler, de les inviter à se faire tester en leur indiquant à quel endroit ils doivent se rendre, puis à vérifier que ces tests ont bien eu lieu et que leurs résultats donnent lieu à l'application correcte de la doctrine nationale.
Protéger d'abord, tester ensuite, isoler enfin. L'objectif final de cette politique ambitieuse de tests, c'est de permettre d'isoler au plus vite les porteurs du virus afin de casser les chaînes de transmission. Ll'isolement n'est pas une punition ni une sanction ; l'isolement est une mesure de précaution collective, une mise à l'abri. L'isolement doit être expliqué, consenti et accompagné. Notre politique repose, à cet égard, sur la responsabilité individuelle et sur la conscience que chacun doit avoir de ses devoirs à l'égard des autres. Nous prévoirons des dispositifs de contrôle, au cas où ils seraient nécessaires, mais notre objectif est de nous reposer largement sur le civisme de chacun. On observe d'ailleurs - les médecins le disent, ceux qui ont dû gérer des épidémies le disent - que la conscience individuelle, le respect civique des règles, lorsque l'on est déclaré positif, est souvent presque absolu.
Il reviendra aux préfets et aux collectivités territoriales de définir ensemble, avec les acteurs associatifs, les professionnels de santé, les acteurs de la prise en charge à domicile, le plan d'accompagnement des personnes placées dans cette situation d'isolement. Nous laisserons le choix à la personne contaminée de s'isoler chez elle, ce qui entraînera pour des raisons évidentes le confinement de tout le foyer pendant quatorze jours, ou dans un lieu mis à sa disposition, notamment dans des hôtels réquisitionnés.
Un mot encore sur ce sujet, mais un mot important. Pourrons-nous ou devrons-nous, afin d'être plus efficaces, nous appuyer sur les ressources extraordinaires des outils numériques ? Un consortium européen a lancé un travail devant permettre la création de l'application Stop Covid, dont l'utilité ne peut s'envisager qu'en complément des mesures que je viens de décrire. En complément, parce que les enquêtes sanitaires que j'ai évoquées, qu'elles soient physiques ou téléphoniques, sont vitales, mais présentent une faiblesse. Elles se heurtent parfois, dans les centres urbains, à l'impossibilité de reconstituer les chaînes de transmission dans les lieux les plus fréquentés, notamment dans les transports en commun. Difficile de prévenir celui qui a partagé votre rame de métro à sept heures quarante-six sur la ligne 12. Vous ne le connaissez pas, il ne vous connaît pas, et la RATP ne vous connaît ni l'un ni l'autre. C'est l'objet du projet Stop Covid, qui permettrait à ceux qui ont croisé une personne contaminée d'intégrer un parcours sanitaire, sans bien entendu avoir aucune information sur l'identité de la personne concernée.
------------------Cette partie de la séance est en cours de finalisation---------------------------------------------
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Nous avons choisi de réserver à l'Assemblée nationale ces annonces (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM) et, au-delà de ces annonces, la capacité de réagir, de critiquer bien sûr, d'interroger aussi le Gouvernement sur ce plan, qui, comme je l'ai déjà indiqué, a vocation à être complété par les autorités locales et les organisations syndicales et patronales. Enfin, chaque député aura la possibilité, par le vote, de dire sa position sur la stratégie que je viens d'exposer.
Ce choix repose sur plusieurs raisons. La première est la place évidemment éminente de cette assemblée dans notre démocratie. Inutile d'en dire beaucoup sur une conviction que nous partageons tous : en ces temps de démocratie médiatique, de réseaux pas très sociaux mais très colériques, d'immédiateté nerveuse, il est sans aucun doute utile de rappeler que les représentants du peuple siègent, délibèrent et se prononcent sur toutes les questions d'intérêt national. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Je souligne - et, ce faisant, je considère qu'il n'y a là que l'expression d'un devoir et, en aucune façon, celle d'une faveur -, que le gouvernement que j'ai l'honneur de diriger a systématiquement et évidemment répondu présent à toutes les demandes des députés et de leurs commissions, sur la crise que nous connaissons. Pendant le confinement, la mission d'information, les commissions permanentes et les questions au Gouvernement se sont poursuivies, et c'est tant mieux, car le Gouvernement en avait besoin.
Comme nous nous y sommes engagés, nous communiquons toutes les semaines à l'Assemblée et au Sénat l'ensemble des décisions qui sont prises dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, y compris celles qui ne relèvent en rien du domaine législatif. Face aux décisions que nous avions à prendre et que nous aurons encore à prendre, le contrôle du Parlement n'est pas un poids, c'est une chance.
Dire ici plutôt qu'ailleurs ce que je viens de dire répond à la volonté du Gouvernement de montrer qu'en dépit de l'état d'urgence sanitaire, en dépit des difficultés évidentes à exercer ses mandats dans une période de confinement, la démocratie parlementaire reste vivante, exigeante, parfois bruyante, mais indispensable toujours.
La seconde raison est qu'il nous paraît nécessaire de permettre à chaque député, qu'il soit présent dans l'hémicycle ou qu'il suive les débats à distance, de se prononcer sur cette stratégie, de dire s'il l'approuve et la soutient, de dire s'il la conteste et la rejette, ou de dire s'il s'abstient ; mais de prendre position, en responsabilité, comme il revient aux représentants de la nation qui ne peuvent pas, qui ne veulent pas et qui ne doivent pas être relégués au rang de commentateurs de la vie politique.
J'ai été frappé, depuis le début de cette crise, par le nombre de commentateurs ayant une vision parfaitement claire de ce qu'il aurait fallu faire selon eux à chaque instant. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.) La modernité les a souvent fait passer du café du commerce à certains plateaux de télévision. (Rires.) Les courbes d'audience y gagnent ce que la convivialité des bistrots y perd, mais cela ne grandit pas, je le crains, le débat public. (Sourires.)
Non, les députés ne commentent pas, ils votent et, ce faisant, ils prennent des positions politiques. C'est votre honneur, c'est votre mission et c'est ce que je vous invite à faire après le débat qui suivra cette déclaration.
Mesdames et messieurs les députés, la France traverse un de ces moments où ceux qui l'aiment et la servent doivent être à la hauteur. Nous devons protéger les Français sans immobiliser la France au point qu'elle s'effondrerait. C'est une ligne de crête délicate qu'il nous faut suivre. Un peu trop d'insouciance et c'est l'épidémie qui repart ; un peu trop de prudence et c'est l'ensemble du pays qui s'enfonce.
La stratégie que je viens d'énoncer a pour objet de nous permettre de tenir cette ligne de crête. Elle repose sur des choix que je viens de présenter. Elle repose sur l'action déterminée du Gouvernement et de l'État, sous l'autorité du Président de la République. Elle repose sur la confiance que nous plaçons dans les collectivités territoriales, les acteurs du monde économique et social et les associations. Elle repose aussi, et, au fond, avant tout, sur les Français, sur nos concitoyens, sur leur civisme et leur discipline.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est exact !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Aucun plan, aucune mesure aussi ambitieuse soit elle, ne permettra d'endiguer cette épidémie si les Français n'y croient pas ou ne les appliquent pas, si la chaîne virale n'est pas remplacée par une chaîne de solidarité. À partir du 11 mai, le succès reposera non pas sur la seule autorité de l'État mais sur le civisme des Français.
M. Jean-Luc Mélenchon. Eh oui ! Cela s'appelle le consentement démocratique.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. En juillet 2017, dans des circonstances bien différentes mais à cette même tribune, à l'occasion de ma première déclaration de politique générale, j'avais évoqué cette antique qualité dans laquelle les Romains puisaient leur force : la vertu, qui mêle la rectitude, l'honnêteté et le courage. J'étais loin d'imaginer alors combien cette qualité serait essentielle dans les semaines à venir pour préparer notre avenir, l'avenir de nos enfants, l'avenir de la France. (Mmes et MM. les députés des groupes LaREM et MODEM se lèvent et applaudissent longuement. - Mme Sophie Auconie et Mme Laure de La Raudière applaudissent également.)
Suspension et reprise de la séance
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt-cinq.)
Édouard Philippe, Premier Ministre, le mardi 28 avril 2020 à l'hémicycle.
Source : Assemblée Nationale.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20200428-discours-edouard-philippe.html