Guy Roux, ancien entraîneur emblématique de l’AJ Auxerre et chroniqueur sur la chaîne l’Équipe, s’exprime pour « La Marseillaise » sur l’éventuelle reprise de la saison, suspendue depuis la mi-mars en raison de la pandémie de Covid-19.
La Marseillaise : Quelle est votre position sur une éventuelle reprise du Championnat de France?
Guy Roux : Il y a un petit blanc avant que je vous réponde, non pas que je n’y aie pas réfléchi, au contraire, j’y réfléchis sans arrêt. On ne sait pas vraiment à quel animal on a affaire et je crains de plus en plus qu’en novembre, on soit dans le même état qu’aujourd’hui à coups de confinement et de déconfinement. Alors le football, là-dedans ! Prenons le maximum de précautions. On ne peut pas non plus faire tout le championnat à huis clos. Mais si on réintroduit le public, il ne faut pas reproduire la même histoire qu’en Italie. Il n’y a que des mauvaises solutions. C’est comme si vous m’aviez demandé d’organiser le championnat du Pas-de-Calais en janvier 1916. Moi, j’ai envie qu’on joue.
Vous pensez que le football est «secondaire » ?
G.R. : La ministre a dit ça du sport, mais elle voulait dire qu’on n’a pas le droit de favoriser les joueurs par rapport à des soins. Je suis footballeur à 300 % mais moi aussi, je pense ça. Si des footballeurs arrivent pour des soins en même temps que des instituteurs ou des paysans, on ne va pas choisir, on va les traiter à égalité. Je n’ai pas de réponse claire. Heureusement que ce n’est pas moi qui décide de la reprise du championnat. Mais on essaie de le finir. C’est aller au meurtre que de remettre du public. Le huis clos est une solution, si les gens sont plus raisonnables que pour le match PSG-Dortmund, où plus de 3 000 personnes s’étaient réunies en dehors du stade. Même les Marseillais, je suis persuadé qu’on pourrait les raisonner pour qu’ils ne viennent pas autour du Vélodrome !
Pourquoi les instances dirigeantes du foot hésitent encore?
G.R. : C’est le poids des droits TV dans le budget. Les clubs de division d’honneur sont un peu moins engagés par rapport à cela. Monsieur Le Graët est un bien diabolique président (rires), il défend sa Fédération, les droits TV de la finale de la Coupe de France, il a raison.
La reprise des entraînements après trois mois d’absence n’augmente-elle pas le risque de blessures comme l’avancent certaines personnalités du foot ?
G.R. : Cela fait maintenant dix ans que les principales équipes ont abandonné la préparation foncière. C’est-à-dire pendant 15 jours, des footings, de la musculation, le 15e jour 30 minutes de jeux contre une équipe beaucoup plus faible. Depuis maintenant dix ans, les joueurs arrivent, il y a un entraînement pour les photos de presse et le surlendemain, ils décollent. Alors me dire qu’ils ne seront pas capables de jouer au bout de 15 jours… Non. Là, les joueurs sont en vacances et je suis sûr qu’ils sont en meilleure santé. J’ai perdu trois kilos parce que je peux soigner mes menus, je fais des longueurs dans la piscine de mon jardin. Et j’ai 81 ans. Cet argument ne marche pas. Je pense qu’il faudrait donner la possibilité, au lieu d’introduire trois joueurs, d’en introduire six. Qu’on puisse faire des changements comme au basket aussi, sans arrêt de jeu, en plein match. Il faudrait trouver une formule et augmenter le nombre de joueurs qui peuvent participer au match. Auquel cas, l’argument de rejouer très vite tombe.
En cas d’arrêt du championnat, on garde le classement arrêté à la mi-mars ?
G.R. : Toutes les situations envisagées ont des logiques différentes. Ça dépend qui ça arrange. Je suis à Auxerre en 2e division à la onzième place, donc on s’en fout. Si j’étais le dictateur (rires), je dirais « on prend le classement tel qu’il est à la 28e journée que tout le monde a jouée, sauf Strasbourg-PSG. Pour la première place, ça ne change rien. Pour Strasbourg, on fera une moyenne, peut-être qu’on lui donnera un cachet pour les droits TV comme s’il avait gagné. »
Avez-vous déjà vécu une situation similaire durant votre carrière?
G.R. : J’ai vécu l’épidémie de grippe asiatique de 1957-1958, j’étais pion à Montmorillon, dans un collège. Il y avait 300 élèves, six dortoirs, l’infirmière, les cuisiniers, les profs et moi. Avec le prof d’EPS et le proviseur, on faisait un footing tous les matins, on prenait une aspirine et on a eu du pot, on est passé à travers. Le préfet a envoyé dans la cour du collège une roulante de l’armée qui nous a servi des gamelles. Les gamins avaient 40° de fièvre. Puis cette épidémie s’est arrêtée au bout de trois semaines. On ne faisait pas de décompte tous les jours. Je ne m’en suis pas rendu compte à ce moment-là mais je l’ai bien présente dans ma tête. Aujourd’hui, je perds des amis. Face au virus [Covid-19, Ndlr], je suis dans la situation d’une vache dans un couloir avec une mitrailleuse qui lui tire dessus. Si je l’attrape, c’est fini.
Pour le football post-confinement, vous restez optimiste ?
G.R. : Le football est une activité humaine très forte, chevillée dans le corps des hommes et maintenant des femmes et il se relèvera. Depuis que le football existe en France, on a eu la Guerre de 14, la Guerre de 40, le football s’est relevé. Donc le football mondial se relèvera et le football français aussi.