J’ai lu plusieurs ouvrages de Nimrod. Des romans, des essais, des récits… Des récits, j’avoue que c’est le genre dans lequel j’affectionne lire l’écrivain tchadien. Si la première fois que j’ai entendu Nimrod, nous étions au printemps des poètes, en compagnie de Sylvie Kandé dans le cadre d’un événement de l’Observatoire de la diversité culturelle aux Lilas, je n’avais pas encore eu l’occasion de lire sa poésie...
Dans ce moment où l’homme de lettres s’exprimait sur son travail, certains éléments de son discours m'ont permis d’accéder plus facilement à son univers. Pour exemple, si je n’ai pas retenu le titre du recueil de poésie analysé par Fulvio Caccia à cette occasion, j’ai retenu une idée forte : le rapport du poète à la nature. L’évocation de l’impact du relief de l’environnement qu’il visite ou qu’il habite sur son état d’esprit m’a interpelé. Le poète disait que vivre dans un relief encaissé avait un impact sur son mental, lui qui avait grandi dans des espaces dégagés. En abordant pour la première fois sa poésie, je m’attendais à être confronté à cette sensibilité de l’artiste.
Le premier poème introduit une triple nostalgie de celui qui s’exprime. De celui qui est parti : celle de la mère éloignée, celle du pays laissé, celle de la langue maternelle.
« Je maternais ma nostalgie
loin de cette mère tant aimée »
p.9 - Nimrod, Petit éloge de la lumière nature (Ed. Obsidiane, Le Manteau & la Lyre)Depuis son lieu d'observation, « cloué que j’étais dans ces lits d’emprunt & d’exil », il constate « cette langue maternelle toujours prise en échec ». Mais déjà sur ce premier poème, je suis un peu perdu. Car quel est cet « espace nocturne » de l’échec de cette langue maternelle, alors que Nimrod dans une langue française châtiée déploie sa poésie. Quel est cet « espace nocturne » du corps détrempé du narrateur ? Quelle est l’utérine vérité de l’enfant prodigue ? La référence biblique d’un jeune homme qui solde l’héritage familial avant de revenir à sa source. Est-ce la démarche de Nimrod ?
L’ouvrage est décomposé en plusieurs livres : Petit éloge de la lumière nature, L’arbre qui marche, Paysages, Le baobab & la rose, Fortunes des eaux - Fortunes des ciels, Résidence sur le fleuve. Vous noterez rapidement dans ces titres, des thématiques portant sur l’environnement, la nature. Pourtant ce n’est pas forcément le cas. Le poème L’arbre-lumière évoque la réception, l’écoute d’une suite qui transporte, qui illumine l’auditeur.
« Cette peau mienne
si semblable au chêne
en son midi
accueille déesse lyrique
la lumière
en son volume
son espace d’aube
comme un chemin qui se cherche
sous la matière »
p.33 - Nimrod, Petit éloge de la lumière nature (Ed. Obsidiane, Le Manteau & la Lyre)
Nimrod nous rappelle que l’homme est un arbre qui marche. Ce qui n’est pas sans rappeler une pratique en Afrique centrale associant le placenta d’un nouveau né au plant d’un arbre qui va grandir avec l’individu. Peut-être que Sembène Ousmane pensait à la même symbolique en écrivant Les bouts de bois de Dieu. Bon, ma pensée erre…
Un poète m’a dit cette semaine que dans l’abord d’un recueil de poésie, c’est le ressenti qui importe. Alors, prenons ce poème dédié à Quetsie :
« Il me tarde de partir
Pour oublier des joies moisies
Le soir s’annonce au pied de l’arbre
Le soleil se retire
Quand se décante l’oubli
J’attends la révélation
Elle garrotte mon coeur
Et la nuit s’élance sur la traîne du jour
J’embrasserais volontiers
Mon enfance perdue
Si j’en avais le loisir
L’éclair du départ me foudroie »
p.49 - Nimrod, Petit éloge de la lumière nature (Ed. Obsidiane, Le Manteau & la Lyre)
Ce poème touche à la question du départ. Il est beaucoup moins énigmatique d’autres textes de ce recueil. Je vous laisse apprécier la force mais aussi la violence de certaines descriptions qui me rappellent combien Nimrod est entier dans ses prises de position. Il peut aussi partir d’un fruit, toujours dans Paysages, comme la grenade partir sur un saisissant parallèle entre le fruit andalou et l’arme de guerre.
« Mes ancêtres avaient moult termes pour traduire les frissons du fleuve, sa glaçure, ses frimas, son accalmie, son réchauffement, son attente, sa surdité, son écoute, sa nonchalance, son indifférence… Ils ne le personnifiaient en rien. Ils le considéraient juste comme un être vivant au même titre qu’eux »Cette observation est faite dans le texte poétique A l’orée de Mars du livre Résidence sur le fleuve. La référence, la relecture du fleuve de l’enfance au travers de la Seine nous renvoie à L’or des rivières, son récit où il évoque le deuil de son père. Cette enfance en lien avec la nature, habite son regard. Il y a de nombreux points à voir ou à approfondir pour comprendre ce recueil.
Nimrod, Petit éloge de la lumière NatureEditions Obsidiane (Le Manteau & la Lyre), 118 pages, première parution 2020