Il se trouve que je possède l'intégrale de : "Toutes les œuvres charitables" de Philibert Guybert.
Je cherchais avant tout à me procurer sa "Méthode pour faire par artifice que les fruits du jardin à savoir les herbes, racines, raisins, vins, chairs et autres purgeront tout doucement, et sans aucune peine ni dégoût" avec la partie "des vins médicinaux" ... et j'ai donc acheté l'ensemble de l’œuvre.
Bien m'en a pris.
Au XVIIème siècle, Philibert Guybert était Docteur régent en la Faculté de Médecine de Paris et grand ami de Guy Patin qui en fut le doyen en 1650 et 1651.
J'ai évoqué Guy Patin dans un de mes billets : celui qui traitait de "L'affaire des pains à la Reine", une controverse violente grâce à laquelle Patin s'est révélé un farouche adversaire de la levure :
"notre sentiment touchant la levure ou écume de bière que les boulangers de Paris mettent dans leur pain depuis le commencement du siècle courant, estimons que non seulement elle n'est ni utile ni nécessaire pour faire du pain, mais même si on la considère tant en soi que pour ses effets, elle blesse la santé et est préjudiciable au corps humain"et :
"dire, comme ceux qui la défendent, qu'on n'a vu aucune personne qui soit morte ou tombée sur le champ malade pour avoir mangé de ce pain n'est pas un bon moyen pour l'affranchir des blâmes dont on le charge. Il en est comme du sucre affiné avec la chaux et de l'alun, des viandes dures salées, poivrées et épicées, et des vins où l'on jette de la chaux, de la colle de poisson ou d'autres choses de soi-même mauvaises, que les hommes qui ont soin de leur santé évitent, quoiqu'aucune de ces choses ne fasse perdre la vie, ni la santé le jour même où on la prend"
Oui : les héritiers spirituels de Patin sont, aujourd'hui, très présents sur Facebook.
Patin s'inscrivait dans la droite lignée de la théorie des humeurs (la saignée, y a que çà de vrai, il suffit de savoir où la faire !) n'a pas eu besoin des réseaux sociaux pour se faire connaître par ses attaques incessantes tant contre la modernité que contre les médecins formés à Montpellier, ce qui était un peu la même chose !
Sur ce point voir par exemple les relations exécrables entre Patin et Renaudot.
En conséquence de quoi au delà des levures (qui furent la cause de mon premier intérêt pour Patin) et des montpelliérains il s'opposa fermement à la théorie qui voudrait que le sang circule dans l'organisme humain, ainsi qu'aux apothicaires ... et tout particulièrement au vin émétique (ce vin est mon second point d'entrée vers Patin, sa vie, son œuvre). Le vin émétique était un vin additionné d'antimoine et utilisé comme vomitoire et purgatif. Au grand regret de Patin, cela va sans dire.
Nota : la très relative ouverture d'esprit de Guy Patin lui vaut d'être très probablement le modèle de Thomas Diafoirus, dans "Le Malade imaginaire".
Philibert Guybert fut en quelque sorte le porte flingue de Patin, en effet dans ses "œuvres charitables", entamées en 1623, on trouve tout d'abord "le médecin charitable" écrit à l'occasion du conflit entre apothicaires et Patin.
D'emblée Guybert y énonce clairement son objectif :
« Ami lecteur, je vous ai écrit familièrement en ce livre la manière de faire et préparer en votre maison les remèdes qui se pratiquent journellement par les bons et fidèles Médecins pour toutes sortes de maladies, lesquels pourrez faire facilement vous-même, ou si vous n’en voulez prendre la peine, les pourrez faire faire par votre serviteur ou servante, comme il se pratique tous les jours en plusieurs bonnes maisons de cette ville de Paris, et ailleurs. Que si vous trouvez quelque difficulté en la préparation d'iceux, votre Médecin ordinaire vous éclaircira ; même en moins de deux heures vous apprendra à faire tous les dits remèdes et autres semblables. ».
En d'autres termes il s'agit de rien moins que priver les apothicaires de leur clientèle ! Deux ans plus tard il enfonce le clou en ajoutant : "le Prix et Valeur des Médicaments" et "L’Apothicaire charitable".Car comme chacun sait les apothicaires sont des brigands pratiquant des marges d'usurier pour vendre des préparations sans effet thérapeutique.
Ambiance ...
Divers traités s'ajoutent au cours du temps, jusqu'à l'édition de 1633 qui accueille en particulier : "le Discours de la peste et de la manière de s’en préserver", c'est à dire : "l'Avis sur la peste" écrit par Nicolas Ellain en 1606 et annoté par ... Guy Patin.
Or c'est "le discours de la peste et de la manière de s'en préserver" qui m'intéresse ici, car je m'y suis replongé afin d'y chercher des échos à l'actuelle crise du coronavirus.
A l'époque cette épidémie, cette pandémie, aurait en effet été qualifié de peste, car peste était une appellation recouvrant diverses maladies contagieuses dont, bien sur la peste, mais pas seulement.
Sur cette dernière on pourra aller faire un tour sur le blog de Catherine di Costanzo qui vient de publier un intéressant billet sur la peste noire de 1348. Entre autres questions elle y aborde ses conséquences sur Bordeaux et son vignoble.
C'est bien que Catherine l'ait fait car ce qui m'intéresse ici n'est pas l'aspect historique et économique de la peste mais ce qui l'entoure : la prévention, la médecine, la communication.
Sur ce sujet lire aussi "Histoire des peurs alimentaires : du Moyen-Age à l'aube du XXème siècle" de Madeleine Ferrières.
Dans le "Discours de la peste" j'ai dès le début de ma lecture été frappé par l'actualité du propos :
"Le bruit qui court de la Peste, plus grand jusqu'à présent que le mal, a donné à beaucoup de personnes grand étonnement. Ce que l'on doit soigneusement éviter, et principalement en toutes constitutions pestilentes. Pource que les afflictions de l'âme troublent le sang, épuisent et consomment les esprits; de façon que cette force divine, qui gouverne les humeurs, s'affaiblit. Eux, ne pouvant plus être régiset comme abandonnés de leur gouvernance, se corrompent et acquièrent vite une mauvaise qualité.
Comme il n'est pas raisonnable d'épouvanter le peuple sans sujet, et lui donner des frayeurs paniques, aussi ne le faut-il pas légèrement apeurer, que sous une confiance mal fondée il se laisse surprendre au mal. Il est bon d'user de prévoyance, l'avertir doucement du mal qui le menace, par même moyen lui donner des préceptes politiques et remèdes salutaires pour le conserver et préserver d'une maladie si funeste.
C'est un bel oeuvre de guérir les malades, mais il est beaucoup plus excellent et plus certain de conserver les sains, et les garantir de maladies. Comme il est plus honorable et plus sûr au pilote et patron de navire de surmonter toutes les mauvaises rencontres de la mer, et conduire sa charge à bon port, que de se sauver sur un ais [une planche de bois] après que son bateau aurait été fracassé par la tempête."
Bref : il faut faire peur mais ni trop ni trop peu mais, surtout : il faut informer et prévenir.
Cependant en ce qui concerne la prévention, le lecteur actuel comprendra aisément qu'au vu de ce que sont alors les signes avant-courreurs c'est pas gagné.
Quoique ...
"Nous avons dit que la Peste, de quelque cause qu'elle vienne, est inconnue par ses signes et propres accidents qui l'accompagnent. Celle qui vient de la corruption de l'air, ou de la contagion, a souvent quelques signes avant-coureurs par lesquels on peut être averti de sa venue entre lesquels on conte les conjonctions des planètes malfaisantes, les étoiles que l'on n'a point accoutumé de voir, les comètes, les grandes éclipses, les tremblemements de terre, l'an bisextile, la peste qui afflige les contrées voisines et autres semblables, chacun desquels signes à part ne fait que des conjnectures bien légères et tous ensemble n'apportent aucune necessité si toutefois nous en exceptions deux : savoir est la mauvaise constellation que l'on a observé faire un grand dégat, et la Peste aux régions voisines qui vraisemblablement peut apporter grand mal par contagion."
Vient ensuite une analyse critiques des soit disant signes, démontant la plupart d'entre eux, à quelques exceptions près :
"La peste qui afflige les contrées voisines est avec bonne raison contée entre les signes avant-coureurs de la Peste pour ce qu'elle peut facilement être communiquée par le commerce que nous avons avec elles et que les modernes ont écrit qu'au temps même que l'air est corrompu il en meurt plus par contagion que par l'infection de l'air."
Puis, plus loin :
"C'est pourquoi sur les menaces, qui se présentent, d'un mal si pernicieux je conseillerais au peuple de pourvoir à sa sureté, se munir contre tous mauvais accidents et à cette fin se recommander à Dieu, obéir au magistrat et garder soigneusement ce qui lui sera ordonné pour la précaution de cette maladie et la conservation de sa santé."ensuite on trouve :
"les remèdes aussi, et principalement de la précaution, que nous avons dit être plus excellente que la guérison dépendent en partie de magistrats auxquels la garde du peuple est commise, en partie de chaque particulier qui par raison naturelle doit avoir soin de sa conservation.
.../...
Il serait nécessaire d'avoir deux maisons en deux faubourgs de la ville, en lieux commodes, choisis par l'avis des Médecins pour retirer les pauves malades de la peste. Il est trop désavantageux à la santé publique que les pauves malades soient logés au grand Hotel-Dieu, assis près la grande Eglise, au milieu de la ville, d'où il faut transporter ceux qui sont décédés par la dite ville au cimetière de la Trinité."
Suivent quelques directives simples et de bon sens sur le port de vêtements de protection par les soignants, et les fondements d'une quarantaine bien gérée pour "ceux qui ont commodité de se faire traiter en leurs maisons".
De même : "A cet exemple [L'utilisation du contenu de maisons infectées] on devrait brûler tous les meubles qui ont servi aux malades de la peste et par leur porosité reçu le mauvais air".
En outre :
"Quant à ce qui appartient au devoir des particuliers, je voudrais que chacun se rendit aussi diligent à obéir aux règlements que font Messieurs de la Police, comme ils sont soigneux de les ordonner.
Chacun doit être averti de se tenir nettement en sa maison, et autant au large que sa commodité le pourra porter. .../... Fuir la compagnie des malades de peste, de ceux qui les assistent et le maniement des choses infectées.".
Et :
"Le dormir soit mesuré à la nature et à la coutume d'un chacun. Les veilles excessives sont nuisibles.
Les exercices sont modérés et surtout il se faut garder de se trop échauffer afin de n'avoir point nécessité d'attirer beaucoup d'air.D'ailleurs :
Il faut éviter toutes passions et perturbations de l'esprit et spécialement la colère, la tristesse et la frayeur. Ce qu enous avons dit au commencmeent de ce discours. Comme le vin qui est exposé au solel pendant la canicule se tourne et s'aigrit aisément pource que la lie attirée par la grande chaleur se mêle avec le vin. Ainsi advient il que par la tristesse, par la frayeur, par la mélancolie, ou telles autres perturbations et agitations de l'âme, la lie du sang sort de sa place, se mêle avec les bonnes humeurs, les trouble, les corrompt et les dispose à cette mauvaise pourriture."
"Par cela nous entendons que nous devons vivre doucement et gaiement. Car par ce moyen nous pouvons fortifier nos âmes et nos corps pour plus aisément résister à cette maladie . Des plaisirs veneriens je dirai seulement que je prie le lecteur de se souvenir de la réponse qui fut faite à celui qui demandait quand il fallait chercher la compagnie des femmes : toutes et quantesfois [toutes les fois et autant de fois] que tu voudras t’affaiblir. Or notre but ici doit être la conservation des forces."
Pas de plaisir vénérien pendant la durée de l'épidémie afin de conserver vos forces vitales !! Et ce afin d'assurer la conservation des forces !
J'en finirai donc avec ce conseil de bon sens, dont je ne doute pas que mes lecteurs confinés l'appliqueront à la lettre, ce qui m'évite d'avoir à traiter des médicaments évoqués dans ce petit traité ...
Sans doute cette omission est elle regrettable puisqu'elle occulte de multiples propositions de traitements contre la peste, chacun étant vanté - par son promoteur - pour ses incontestables mérites ... et naturellement dénigré - par les autres - pour les évidents dangers qu'il fait courir à la santé publique (revenez au sous-titre qui annonce le propos : "avec la censure de quelques drogues que les charlatans ont mis en usage").
Faut-il commenter cette récurrence ?
(comme d'habitude je peux faire des copies de tel ou tel passage aux lecteurs qui en feraient la demande.
Une copie intégrale est toutefois exclue : l'ouvrage fait près de 800 pages et, de plus, sa reliure ayant souffert des 4 derniers siècles j'évite de trop le manipuler tant qu'une restauration n'a pas été faite)