D’abord une petite précision, la première édition du livre date de 2013 mais toute cette campagne est née d’abord sur internet et sur des dépliants à l’occasion de la présidentielle de 2012. C’est en voyant le succès de ce premier effort d’information que ATD Quart Monde s’est dit : ce serait intéressant d’avoir un contenu un peu plus consistant et donc de faire un petit livre. Le succès de ce livre, 100 000 exemplaires toutes éditions confondues, signifie que les gens s’interrogent, qu’ils ne gobent pas tout cru les discussions de comptoir ou les sorties de personnalités publiques. C’est un premier indice que les gens sont dans cette démarche de creuser de plus en plus ce qu’on nous dit sur tous les sujets, y compris sur la pauvreté.
J’ai l’impression que les discours publics et politiques évoluent un peu. On est dans une société avec une pensée dominante néolibérale. Ce discours néolibéral a besoin de trouver des boucs émissaires pour détourner l’attention et il trouve chez les pauvres, les gens du voyage, les réfugiés, des boucs émissaires faciles. Mais on ose un peu moins s’en prendre directement aux personnes, on est davantage dans une critique des défauts du système. Mais cette critique du système est toujours une manière, plus ou moins indirecte, d’affirmer qu’il y a des gens qui en profitent, qui gagnent plus avec les aides sociales qu’en travaillant, que ceux qui travaillent paient des impôts qui servent à entretenir ceux qui ne veulent pas travailler, etc. Les préjugés visent davantage maintenant la protection sociale et ses soi-disant défauts que les personnes dans la précarité.
Un dernier signe que les choses bougent est que les campagnes contre les préjugés sont reprises par quantité d’associations de lutte contre la pauvreté. C’est très important car il y a aussi beaucoup de bénévoles des associations qui ont ces préjugés. Ils sont bénévoles dans ces structures tout en pensant dur comme fer que les gens qu’ils ont en face d’eux pourraient travailler s’ils faisaient un peu plus d’efforts ou qu’ils élèvent mal leurs enfants. J’entends parfois des gens au RSA dire qu’on peut s’en sortir mieux au RSA qu’en travaillant. Alors qu’en fait, en dehors de quelques exemples très rares, ce n’est pas vrai.
Dans quelle mesure le discours médiatique concoure-t-il à la production et à la diffusion des idées fausses sur la pauvreté ?
Je distinguerais deux types de discours médiatiques. D’abord, le discours médiatique qui s’aligne sur les intérêts économiques et financiers des puissants. Ce premier type de discours médiatique est un discours intéressé et qui est pensé, volontaire. Ensuite, on a un deuxième type de discours médiatique : un discours qui est plus ignorant des choses que volontairement faussé. Les journalistes et les rédactions ont de moins en moins de moyens pour faire du bon travail et pour prendre le temps, recueillir différents avis sur une question, peser le pour et le contre. Et puis surtout, il faut arriver à interroger correctement les gens qui sont dans la précarité et dans la pauvreté. C’est quand même très difficile pour un journaliste d’avoir en face de lui quelqu’un qui vit vraiment dans ces conditions-là et qui arrive quand même à prendre du recul et à s’exprimer sereinement. Le monde de la pauvreté est très fermé.
Donc ce manque de moyens et cette difficulté, c’est beaucoup plus difficile d’interroger un pauvre qu’un non pauvre, font que parfois le discours médiatique renforce les clichés, les idées fausses et les stéréotypes, plus par ignorance et maladresse que par volonté délibérée. Ceci dit, il y a des journalistes, et ils sont de plus en plus nombreux, qui ont une manière différente d’approcher les personnes en précarité, en prenant plus de temps, en reformulant leurs questions, et aussi en venant s’informer auprès d’associations solidaires avec les personnes en précarité. Ils arrivent à faire un travail qui va casser tous ces préjugés.
Quel est l'impact de la situation sanitaire actuelle sur les pauvres?
ATD Quart Monde fait tous les jours un point d’étape pour suivre ce qui nous remonte de nos groupes locaux et des personnes en précarité qu’on connaît. Pour savoir comment elles souffrent particulièrement du confinement ou de la maladie, et aussi pour savoir quelles actions originales sont lancées par les uns et les autres pour essayer de rester en lien malgré la situation.
De façon générale, ce sont les gens qui sont dans la plus grande précarité qui souffrent le plus des grandes crises sanitaires, écologiques, sociales. Ils ont moins de réserves et ils ont moins de liens que les autres pour changer de lieu ou pour faire des provisions, faire le dos rond pendant que la crise passe. Notre équipe à Atlanta l’a bien vu pendant l’ouragan Katrina. Notre équipe à Port-au-Prince l’a constaté pendant le séisme à Haïti. Les pauvres sont souvent très isolés, ils sont coupés des relations ordinaires qu’on peut normalement avoir avec ses voisins, sa famille, ses collègues.
Mais avec la situation actuelle, je pense qu’on va quand même finir par remettre en cause certains fonctionnements de notre économie, de notre système de santé, de notre société en général. Il faut absolument investir vraiment dans des choses qui créent du lien et qui permettent aux personnes de se protéger au mieux face aux divers chocs qui peuvent survenir.
Il semble que le président Macron ne veuille pas sortir de la rhétorique du vocabulaire guerrier. Et même si certains le lui reprochent, il n’a peut-être pas tort. En effet, si nous devions faire un comparatif des faits avec d’autres conflits, comme...