Quinze ans après la mort de l’auteur de "Bonjour tristesse", décédée d’une embolie pulmonaire le 24 septembre 2004 à Honfleur dans le Calvados, l’événement était resté secret jusqu'au dernier moment, cependant l’annonce de cette parution avait agité tout l’été le milieu littéraire parisien. On prévoyait même un tirage de 250.000 exemplaires, il n’y en eut que 70.000.
Denis Westhoff, fils de l’écrivain et de son deuxième mari l’Américain Robert James Westhoff dit Bob Westhoff, déclare dans la préface qu'il signe "J'ai trouvé ce texte et je me suis dit ce texte-là ne me rappelle rien". Et face à certaines interrogations, il précise qu’il ne l’a pas réécrit. "C’est un texte à 99,8% de Françoise Sagan. C'est un roman complètement inédit, c'était inachevé, pas publiable en l'état". Il ajoute d’ailleurs qu’il n’a fait que mettre "des petits mots qui manquaient" dans ce roman "saganesque, puisqu'il y est question d'amour et cela entre bourgeois".
Il faut dire que Jean-Marc Roberts, directeur des éditions Stock jusqu'à sa mort le 25 mars 2013, avait refusé de publier le manuscrit même s’il avait publié d’autres textes posthumes de Françoise Sagan. Il avait suggéré de le faire réécrire par un romancier ce que Denis Westhoff n'avait pas accepté.
Il pense que le manuscrit "dactylographié, avait été tellement photocopié que le contour des lettres n’était plus tout à fait net" se présentait en deux parties et avait été écrit en deux fois, vraisemblablement dans les années 1980 et au début des années 1990.
"Je ne garde à vrai dire, qu’un vague souvenir de la manière dont ce manuscrit vint à moi. Ce devait être deux ou trois ans après l’acceptation de la succession…". On sait qu’il avait accepté la succession de sa mère assortie d’une importante dette fiscale, pour l’honorer il a entrepris la réédition des oeuvres de Françoise Sagan.
Ingrid Méchoulam qui s’est occupée de l’écrivain à la fin de sa vie avait conservé une partie de ses papiers, aussi Denis Westhoff n’y a-t-il eu accès que beaucoup plus tard. Elle a d’ailleurs fait paraître le 24 octobre dernier chez Michel Lafon ‘‘Sous le soleil de Sagan’’, un livre de souvenirs et d'anecdotes où revit celle que François Mauriac appelait "le charmant petit monstre".
"Les quatre coins du cœur", un joli titre qui devait être à l’origine "Le Cœur battu" est tout naturellement une histoire d’amour dans un milieu bourgeois comme il y en a tant dans la plupart des romans de Françoise Sagan. Ludovic Cresson, fils d’un riche industriel dont la fortune repose sur les légumes, est marié à Marie-Laure "sophistiquée et sans culture". Un grave accident de voiture l’a plongé dans le coma, il en est sorti fort diminué. On ne peut penser naturellement qu’à celui qui avait failli emporter Françoise Sagan le 13 avril 1957. Le couple qui vit à la Cressonnade, leur demeure familiale de Tours, ne va pas très bien, Marie-Laure qui avait surtout été attirée par la fortune des Cresson, méprise Ludovic. Ils partagent cette demeure avec Henri Cresson, le père de Ludovic, et sa dernière épouse Sandra. Ils sont servis par le domestique Martin. Cette vie en apparence bien réglée va être bouleversée à l’arrivée de l’élégante Fanny, la mère de Marie-Laure, ex-assistante d'un grand couturier parisien, veuve de Quentin mort dans un accident d'avion. Ludovic que l’on imaginait réduit à l’état végétatif s’éprend de cette femme qui est sa belle-mère. Mais elle ne laisse pas non plus Henri indifférent. Lequel est rappelons-le, le père de Ludovic.
Au cours des 200 pages du roman, on retrouve parfois une certaine forme d’esprit, l'élégance et la vivacité de style qui ont fait tout le charme des écrits de Françoise Sagan. Ce qu’ont souligné quelques critiques dont celui de l’Express "Au-delà de l’intrigue et du marivaudage, c'est bien l’univers élégant et bohème de la romancière, partie il y a maintenant quinze ans, qui nous charme ici" ou celui du Nouveau Magazine littéraire "Les Quatre Coins du cœur, charmant vaudeville tourangeau, s’inscrit dans le droit fil du reste de l’œuvre de Sagan, dont il a l’élégance, la finesse psychologique et la causticité à la Truman Capote".
D’autres parlent au contraire de "fond de tiroir". Jérôme Garcin n’est guère tendre dans le L’Obs "Dans cet inédit, rédigé on ne sait quand, rafistolé on ne sait comment et sorti d’on ne sait où, Sagan ne se ressemble guère".
"Les quatre coins du" reste cependant d’une lecture agréable, on pourrait presque dire dépaysante, surtout en cette période où l’on est cloîtré chez soi… Et puis, à ceux qui ont avancé en âge, cela rappellera l’époque des succès littéraires de l’auteur, de ses frasques, en un mot leur jeunesse… Il ne faut donc pas s’en priver.
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