Roberto Juarroz – L’homme est revenu de son envers…

Par Stéphane Chabrières @schabrieres

L’homme est revenu de son envers.
Il conviendrait donc
qu’il mette son chapeau à l’envers,
ses gants, sa chemise
et surtout son cœur.
Il conviendrait aussi
qu’il retourne ses mots,
les regards qui s’effrangent au vent,
l’histoire de ses jours incolores,
les portes du silence,
le semblant de pensée dont il se targue
et l’inconduite obstinée de sa mort.

Et lorsque tout sera à l’envers
faire se retourner l’envers,
pour voir s’il découvre alors sa figure,
la figure d’homme qu’il n’a jamais rencontrée.

Parce que l’envers de l’envers n’est pas l’endroit,
Cette pauvre image qui ne nous sert pas davantage.

*

El hombre se ha vuelto del revés.
Convendría por eso
que usara el sombrero al revés,
los guantes, la camisa
y sobre todo el corazón al revés.

Y también convendría
que diera vuelta las palabras,
las miradas que se desflecan en el viento,
la historia de sus pálidos días,
las puertas del silencio,
el símil de pensar con que se yergue
y la inconducta terca de su muerte.

Y cuando esté todo al revés
volver a darlo vuelta del revés,
para ver si allí se encuentra su figura,
la figura de hombre que jamás encontró.

Porque el revés del revés no es el derecho,
esa mísera imagen que tampoco nos sirve.

***

Roberto Juarroz (1925-1995) – Duodécima poesía vertical (1991) – Douzième poésie verticale (Orphée/La Différence, 1993) – Traduit de l’espagnol par Fernand Verhesen.