Confinement oblige, la deuxième édition du Gabès cinéma Fen s’est déroulée en ligne du 3 au 11 avril 2020 : réservées au public tunisien aux heures de projection prévues par le festival, les séances permettaient de voir les films à la maison et ensuite de participer aux débats avec les cinéastes. Avec une programmation exigeante sous la houlette du documentariste Sami Tlili, ce festival du Sud tunisien croit à l’intelligence du public et à son désir de découvertes, ce que confirme sa section art vidéo. Huit documentaires étaient présentés dans la compétition longs métrages sur les onze dont les droits avaient pu être négociés pour l’accès en ligne. Ils témoigne de la volonté du festival d’être en prise sur les réalités du monde.
Alors que le prix du meilleur long métrage est allé au magnifique Tlamess (Sortilège) d’Ala Eddine Slim, une radicale expérience de cinéma en liberté (cf. [critique n°14885]), une des trois mentions spéciales attribuées par le jury composé de Jilani Saadi (Tunisie), Suzy Gillet (Royaume Uni), Laura Klockner (Allemagne) et Rania Stephan (Liban) est allée à une autre merveille : Talking about Trees du Soudanais Suhaib Gasmelbari dont la réussite tient à sa construction ludique du réel permettant de toucher à l’essentiel, un dispositif documentaire qui affirme la force de l’art face à la barbarie (cf. [critique n°14826]).
Effectivement, « rien n’est filmé sans film », écrivait Jean-Louis Comolli. Un documentaire est un geste de création. Il implique des choix tant esthétiques que de montage, c’est-à-dire de tri en fonction d’un point de vue critique. Mais aussi et surtout, loin de l’illusion mimétique, une intention durant le tournage, même si l’œil est à l’écoute de ce qu’offre la réalité et de ses résistances.
Aucun des films présentés ne cherche à faire comme s’il n’y avait qu’à appuyer sur le bouton de la caméra. Tous ont une démarche, souvent une relation directe avec le sujet, et la volonté de rendre visible ce qui ne se donne pas en tant que tel.
Le Sentiment d’être surveillé (The feeling of being watched) d’Assia Boundaoui est à cet égard un cas d’école. Elle cite d’entrée Michel Foucault à propos des moyens de surveillance qui reprennent le principe du panoptique : « Le pouvoir disciplinaire s’exerce en se rendant invisible. Il impose à ceux qu’il soumet un principe de visibilité obligatoire. C’est le fait d’être vu sans cesse qui assure l’emprise du pouvoir qui s’exerce sur eux. » Constatant que la surveillance est continuelle, la journaliste Assia Boundaoui en vient à s’intéresser à une vaste enquête anti-terroriste du FBI nommée « Vulgar Betrayal » (« trahison de mauvais goût » !) menée avant le 11 septembre, sa famille ayant été concernée mais aussi tous leurs voisins dans le quartier arabo-américain de Chicago qu’ils habitent. Au fur et à mesure qu’elle avance, elle quitte la distance journalistique pour devenir toujours plus imopliquée, se rendant compte à quel point cette surveillance est une atteinte à son identité : pour échapper au soupçon et ne pas faire peur, « parler de moi implique de dire d’abord ce que je ne suis pas ». Cette suspicion de tout ce qui est musulman dans le pays enferme ces citoyens américains dans des stéréotypes dont ils ont du mal à se libérer : elle avoue être sensible à l’image qu’elle donne, cherchant à montrer qu’elle parle bien anglais et agit « normalement » !
Arrivant enfin grâce à une attaque en justice à obtenir ce qu’elle cherche, elle est confrontée à la même réponse que Robert Bilott dans Dark Waters de Todd Haynes (2019) : engloutie sous des milliers de documents quasi-impossibles à gérer. Mais elle ne lâche pas et encourage les gens du quartier à demander en justice la communication des enquêtes faites sur eux.
Lors d’une table-ronde sur le film dans le cadre des « Carthage talks » durant les Journées cinématographiques de Carthage 2019, le critique Ikbal Zelila notait le choix de la réalisatrice d’être en intimité avec les personnes par opposition aux caméras de surveillance qui cadrent de loin avant de se rapprocher – et donc de privilégier ainsi l’humanité des gens concernés. C’est donc bien un contre-regard, un regard de résistance, qu’Assia Boundaoui voulait construire pour, selon sa propre expression, « contribuer à réconcilier sa communauté avec sa propre image ». En accord avec Foucault et appliquant la maxime « je vous observe en train de m’observer », utilisant parfois les ficelles du film de contre-espionnage, elle rend visible la surveillance du FBI et analyse à travers sa propre réaction comment ce harcèlement rend paranoïaque. Cela ne vient pas en un jour : 200 heures de rush en cinq ans suivis d’une année de montage.
De ses propres mots, Assia Boundaoui visait « l’empathie plutôt que la solidarité ». Elle a diversifié son équipe pour qu’on la différencie des « Blancs d’âge moyen » du FBI. De même, elle a placé une femme à la caméra. Son point de vue a changé « en passant de l’analyse des faits à une tentative de les comprendre et d’en trouver la source ». Elle assume complètement d’avoir pour objectif de contrer les visées du FBI, de démontrer à sa communauté qu’il est possible de lui résister. Elle est souvent à l’écran, menant l’enquête, au centre de l’action, sans neutralité aucune, cherchant une complicité avec les habitants, en phase avec la rage de sa mère et soutenue par sa famille et l’équipe qui l’aide à démêler les documents. Le film scelle un front commun, auquel le spectateur est invité à adhérer.
Même clarté dans le cas d’Amussu de Nadir Bouhmouch (mention spéciale du jury du festival), tourné à l’oasis d’amandiers d’Imider dans le Sud-Est marocain, où les 400 habitants du village coupent depuis 2011 le pipe-line qui conduit leur eau vers une grosse mine d’argent, la septième du monde – un métal que sa conductivité rend essentiel en électronique mais aussi pour les cellules photovoltaïques ou l’électrification des voitures. Ils manifestent et occupent les lieux pour lutter contre la pollution au cyanure et la prédation des nappes d’eau souterraines et du réservoir local. Ici aussi, l’empathie avec la communauté est limpide. L’approche est par contre inverse : ce n’est pas une personne qui mène la danse mais une communauté qui s’organise. On en voit les assemblées générales où la parole circule, les délégations qui reviennent, le comité qui prépare les communiqués pour la presse, et surtout le quotidien des travaux collectifs. Les femmes échangent et chantent et dansent. Le sujet est « le mouvement de la route 96 », confronté à la répression mais qui tient bon, fort parce qu’uni et déterminé. On s’appelle « camarade » et les chants reprise en chœur sont revendicatifs. Un vieux retrace les luttes précédentes. Le drapeau amazigh est omniprésent et le générique en tamazigh : la lutte non-violente de ce village est aussi celle d’une culture.
Comme le photographe qui dit que son travail est important, le film est là pour soutenir la communication sur une lutte. Il transmet d’ailleurs avec brio la beauté des lieux et des personnes dont il épouse le rythme, attentif aussi aux lumières et à l’aridité des paysages. Il n’y a pas de commentaire mais souvent de la mise en scène et des dialogues qui sont là pour expliquer. Les femmes en train de pétrir le pain ou bien de couper les herbes pour les bêtes ont des discussions militantes… Ces scènes, à la limite de l’artificialité, concurrencent la spontanéité apparente du tournage et gomment les contradictions qui auraient pu émerger dans les débats sur les choix dans la lutte. De même, en assemblée générale, la parole est unanime – mais qui oserait devant tous une voix divergente ? Ce consensus de façade, sans surprise ni collision, n’est percé que par la souffrance face aux emprisonnements des jeunes.
Pour s’informer sur le contexte, on peut lire par exemple l’article bien documenté que Médiapart lui a consacré. Il est dommage que le film, au contact de ses acteurs, ne restaure pas davantage la complexité humaine et politique nous permettant d’adhérer à cette lutte exemplaire.
La relation avec un sujet contradictoire, c’est l’alchimie réussie de Mon cousin anglais que réalise Karim Sayad avec son cousin Fahed, qui a rêvé de s’exiler, y est parvenu, a galéré et rêve maintenant de retourner en Algérie pour soutenir sa mère et monter une affaire. « J’ai fini par détester leur façon de vivre », avoue-t-il. Il partage le quotidien d’autres ouvriers, alignant les boulots 50 heures par semaine de l’usine tôt le matin à un fast-food le soir. Divorcé de sa femme anglaise, à la recherche d’une âme sœur, il est confronté à l’incertitude de la quarantaine. Membre de la famille, Karim Sayad capte la parole de sa soeur qui s’inquiète pour lui lors de ses passages en Algérie, et le prévient des manipulations.
Si le sujet est contradictoire, le film n’est pas ambigu. Tourné en intimité sur la durée comme pouvait l’être Zaineb n’aime pas la neige de Kaouther Ben Hania, le film est bâti sur la relation entre Fahed et Karim. Celui-ci est pris à témoin, présent bien qu’absent de l’écran. A cela s’ajoutent les intertitres qui structurent le film et insistent sur la dimension sociale (« workingclass heroe », « le monde est divisé en deux catégories »…). Car malgré la générosité, la maladresse et la truculence de son personnage, Mon cousin anglais est une sombre peinture de la vie ouvrière contemporaine. « La vie devient compliquée », souligne un intertitre. Fahed ne trouve plus sa place, condamné à trimer dans un pays qui n’est pas le sien, malgré les manifestations contre Bouteflika qui redonnent espoir à l’Algérie.
Avec Western Arabs, Omar Shargawi voulait apaiser sa relation avec son père Munir : se réconcilier avec lui, et au passage avec lui-même. Pas simple : Munir, activiste palestinien exilé au Danemark, parfois joyeux et attachant mais aussi hostile ou rétracté. « Notre père le soldat a laissé la guerre entrer dans notre maison ». Effectivement, l’agressivité est de mise, jusque dans un tournage improvisé où le père sera amené à jouer sa propre mort. Touffu, édifiant, parfois énigmatique, le film compose aussi avec des moments méditatifs et une voix-off parlant de religion, de guerre et de haine. Il insère du matériel issu de précédents films d’action de l’auteur. Les problèmes de communication au sein de la famille grandissent au fur et à mesure qu’Omar et Munir luttent pour surmonter leur passé. Tout cela résonne pour marquer une incertitude que le voyage en Palestine ne résoudra pas : « Ce qui se passe dans le monde aujourd’hui nous conduit vers la fin du monde », dit Munir…
Le film qui a obtenu le prix du jury du festival commence par un extrait du célèbre discours d’Arafat aux Nations Unies en 1974 où il déclare vouloir un Etat démocratique où chrétiens, juifs et musulmans vivent en paix. Sanglant terroriste des années 70 et 80, Abou Nidal («le père de la lutte» en arabe), chef du Fatah-Conseil révolutionnaire (Fatah-CR), s’était violemment opposé à ce qu’il considérait comme une traîtrise, portant ses coups les plus durs à l’OLP en général, et à Yasser Arafat en particulier. Faire un film sur son père, Ibrahim Al Abed, qui l’avait servi comme comptable, n’est dès lors pas simple. C’est pourtant ce pari que réussit la documentariste palestinienne originaire de Damas Lina al Abed dans Ibrahim, un destin à définir. « Je me mens en m’imaginant en paix en ton absence », s’avoue-t-elle en voix-off. Pourtant, comme sa sœur aînée Najwa, comme sa mère Najat abandonnée avec ses cinq enfants, elle a le sentiment d’avoir été dupée. « Je ne peux pas m’emparer du passé mais comprendre tes choix ». Il s’agit dès lors d’une réparation à trois niveaux : l’image de son père, son histoire, sa relation avec lui. L’enjeu : apaiser cette mémoire trouble d’un père absent, vision floutée derrière une fenêtre à Damas. Traitre, corrompu, agent secret ? A la réflexion familiale s’ajoute une enquête quasi-policière qui la mène dans le village familial où il fut assassiné. Il en ressort une mosaïque complexe aux voix multiples où l’histoire singulière d’une famille traumatisée et la grande Histoire se mêlent inextricablement sans qu’aucune n’en sorte plus claire, si ce n’est qu’il était important pour Lina al Abed de la poser en images, et sans doute pour nous aussi de saisir combien un destin ne se laisse pas juger sans y voir de plus près.
Ibrahim a fate to define Trailer from Sak A Do production on Vimeo.
« N’oubliez pas de jeter un regard aux nuages argentés ». Les lettres de prison de Rosa Luxembourg fin 1917 forment la trame de Warda – une rose ouverte. En saisissant l’hiver à Berlin en de paisibles images et en faisant lire ses lettres en allemand et en arabe par deux femmes sans autre illustration pour en préserver l’écoute, Ghassan Salhab « tend la main » à Rosa Luxembourg. Il y a de quoi. Sans illusion sur la cruauté de la nature, elle en célèbre l’énergie. « Au milieu des ténèbres, je souris à la vie », telle une rose ouverte. Ses lettres sonnent comme des conclusions : « Nous sommes toujours au milieu d’un chemin ; les nomades sont toujours au milieu ; le monde ne pouvait que les bannir ». On entend les hélicoptères et les alarmes. Ce monde bruisse de menaces, mais « au fond, je me sens plus chez moi dans ce bout de jardin que dans un congrès du parti. Mon moi profond appartient plus à une mésange charbonnière qu’aux camarades. » Et de prévenir ceux qui voudraient y voir la béate illusion d’une beauté essentielle : « Ce n’est pas que je trouve dans la nature un refuge politique ou un asile comme c’est le cas pour tant d’hommes politiques intérieurement en ruines ».
Comme à son habitude, Ghassan Salhab marie l’image et le son en contrepoints signifiants. En superposant des éléments hétérogènes (visions contemporaines de Berlin, archives de la première guerre mondiale, chant de bataille du mouvement ouvrier, évocations de luttes, d’écrivains, etc.), en floutant le portrait de Rosa Luxembourg, il suggère la complexité d’une position qui ne se réduit à aucun préjugé. Non sans en illustrer l’impressionnante sérénité : « Plus l’infamie et les atrocités qui se produisent chaque jour dépassent toutes limites, et plus je deviens calme et ferme ». Jamais le film ne se fait didactique ou univoque. Sa polyphonie cultive au contraire le déséquilibre face à l’ordre imposé, et la conscience qu’il ne s’agit pas de lui substituer un ordre tout aussi répressif : « Nous cherchons le pouvoir à l’état solide, cela fait longtemps qu’il est liquide ou gazeux ». Lumineux !
En arabe, Malika est une reine. En voici une, assise, âgée, seule au bord de la route de Tamanrasset, à dix heures d’Alger, 143 rue du désert (mention spéciale du jury du festival), dans une masure en plein Sahara où elle sert le thé, le café ou une omelette aux chauffeurs routiers ou à de rares touristes. Entre vents de sable et canicule, « gardienne du vide », elle y finit sa vie : « J’accepte ce que Dieu me donne ». Sa vie, elle ne s’étend pas volontiers dessus. Il faut l’écoute d’Hassen Ferhani pour qu’elle la révèle peu à peu. Une écoute sans doute proche du temps passé à capter les incertitudes et les élans des ouvriers de l’abattoir de son précédent film, Dans ma tête un rond-point, pour saisir un souffle, l’esprit du lieu, en même temps que la condition ouvrière contemporaine. On retrouve la même sensation ici que l’écoute ouvre le réel. Le credo est cette fois que saisir ce temps qui passe donne épaisseur au temps passé. En livrant des bribes de sa vie, dans ses attitudes et sa détermination, femme face aux hommes, Malika est une métaphore de l’Algérie d’hier et d’aujourd’hui, une Algérie qui fut belle mais fut « trahie pour de l’argent ».
Il ne se passe pas grand-chose, mais l’intensité des échanges est fulgurante. La porte ouverte sur la route est une camera obscura. C’est l’Algérie qui franchit le pas, ces chauffeurs déprimés par la hausse du prix de l’essence, ce resto-café moderne qui s’installe à la station-service en face, ultime concurrence à la fraternité, et cet homme qui a perdu sa fille et cherche son frère. « Les gens mentent mais ils ne savent pas mentir », réagit Malika. Le passé ressurgit, ces accusations de ramener de l’alcool et des femmes, le rejet de sa différence et de sa liberté de ton.
Un accident sur la route ? La caméra reste distante, ne quitte pas l’ancrage de la masure de Malika. Elle laisse la réalité venir à elle. Pas de sensationnel, que de l’écoute. Des plans fixes. Pas de musique pour entendre le trafic et le vent, ou bien le silence, jusqu’à ce que la musique se déchaîne (“Qu’Ran” de Brian Eno and David Byrne), le temps d’une émotion, ou que le film se termine, soudain lyrique, sur le chant traditionnel amazigh a capela de Taos Amrouche.
Un homme (Chawki Amari, auteur du roman Nationale 1 qui a présenté Malika au réalisateur) joue avec le fenestron, comme si c’était le parloir d’une prison. « Vous m’avez laissé une place dans le monde, je suis ici », lâche Malika. Elle est au centre géographique de l’Algérie. Elle en est la mémoire fragmentée. Rien de précis : Malika gardera son mystère. Car l’enjeu n’est pas de savoir mais de ressentir. Car le monde de Malika est menacé et que quelque chose de profond va se perdre, que nous avons encore du mal à saisir. Car là-bas, dans ce relais routier au cœur du désert, se joue un peu de notre avenir.
Dans tous ces films, un dispositif est à l’œuvre pour aborder la réalité, qui passe par une esthétique et un rapport particulier au sujet. Captent-ils pour autant le réel, cette réalité qui échappe à la représentation et s’inscrit dans le film sans crier gare – et qui lui permet de faire ressentir ce qui ne se voit pas à l’œil nu, ce que Godard, dans Le Livre d’image, appelle « la réalité de la réalité » ? On a vu que capter le réel n’exclut pas la mise en scène, à condition qu’elle ne soit pas là pour imposer un sens mais au contraire pour le laisser émerger dans la tête du spectateur, souvent à la faveur d’un montage mettant en relation des éléments disparates que nous n’aurions pas forcément rapprochés. Ainsi, l’intention ne peut être que de se mettre au service du réel plus que de la réalité, sachant que le réel surgit là où on ne l’attendait pas, et donc est plutôt perturbant. Les films se laissent-ils bousculer par ce qu’il arrive à leur sujet ? Adaptent-ils ainsi leur orientation ? Ce pourrait être la caractéristique de la plupart des films évoqués, et bien sûr leur profonde qualité.
Courts métrages
Le prix du meilleur court-métrage est allé à Ahlou Al Kahef, de Fakhri El Ghezal. Le jury a indiqué : « Les images en noir et blanc, évanescentes, à la limite de l’effacement comme une mémoire encore vivante des lieux traversés par ses êtres en partance, l’écriture palimpseste du cinéaste toute en pudeur et fraternité, le remarquable travail du son traité comme la réminiscence d’un passé récent nous aurons profondément touchés ». Effectivement, le film est une sorte de lettre adressée par le réalisateur aux deux rappeurs Jojo M et Galâa, revenant sur leur périple clandestin depuis la ville de Redeyef dans le bassin minier tunisien jusqu’à Nantes en France. Son titre évoquer la sourate de la caverne (Al Kahf) : les jeunes qui s’y sont réfugiés n’entendent plus rien durant des années puis sont interrogés sur la durée de leur séjour. Comme Godard, Fakhri El Ghezal inscrit des mots à l’écran, sur des images à dominante grise, comme dans le brouillard de la traversée. L’épreuve de la caverne que fut leur errance a fait des deux rappeurs des fantômes. Même arrivés à Nantes, ils n’ont pour perspective, dans leur discours comme à l’image, que l’éternelle incertitude des brûleurs.
Documentaires ou fictions ? Les personnages des deux films sont réels. On sort de cette opposition si l’on sort de la théorie de la représentation. Ils travaillent tous deux, mais différemment, la distance et rendent compte d’une nouvelle façon d’aborder la réalité. C’est ce nouvel espace que proposait dans l’ensemble de sa programmation Gabès Cinema Fen 2020, ce qui augure pour des temps non-confinés de belles éditions.
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