Qu'est-ce que c'est que ce titre provocateur ? Les entreprises, le storytelling qu'elles peuvent écrire aussi (leur histoire, leur avenir) sont en souffrance en cette période de coronavirus.
Il y a certes des entreprises qui, par la force des choses, ont vu leur situation s'améliorer de manière inattendue depuis le début de l'épidémie. C'est un peu comme les marchands de canons ou d'acier en temps de guerre, l'honneur en plus. Mais pour la très grande majorité des entreprises, cet épisode est une tragédie. Est-ce à dire que les tragédies sont de belles histoires ? Bien écrites sans aucun doute, pour certaines d'entre elles, mais de là à être belles...
Les entreprises ne sont pas sur un pied storytelling d'égalité :
D'autant que t outes les entreprises dans le monde ne peuvent pas se féliciter de pouvoir bénéficier d'aides importantes comme Fnac-Darty. Dans bon nombre de pays, les entreprises sont invitées à se débrouiller toutes seules.
Une tactique storytelling :
Certaines entreprises ou marques utilisent ce moment pour tenter d' exister tout en restant elles-mêmes, comme la marque de vêtements russe Medooza à laquelle j'ai consacré deux articles. Dans ces mêmes entreprises, on va jusqu'à créer des éditions limitées de vêtements spéciaux Covid-19, ou des visuels utilisés dans les médias sociaux, ou alors on remet en avant des modèles qui existaient déjà mais qui se trouvent être au coeur de l'actualité (exemple : la marque Volchok avec sa ligne "Warning : information overload zone"). Et même des masques, comme l'a fait Yunost, avec son modèle "I'm not a virus" !
Attention : ce n'est pas juste pour surfer sur la vague, les vêtements et/ou les visuels comportent de vrais messages engagés, en connexion avec l'esprit, les valeurs des marques.
Désolé de mettre encore une fois en avant des marques de vêtements russes, mais j'étais en démarche achat ciblé streetwear russe ces derniers temps, donc j'ai pas mal de références de ce côté actuellement ! Et en même temps, c'est typique de la culture russe, d'afficher une normalité quand tout va mal. Certains Russes, ça les énerve, d'ailleurs, ce trait de caractère national.
Une autre tactique storytelling :
Un autre type de belle histoire est de nature à entrer dans la légende, notamment auprès des publics internes de la marque, l'entreprise.
Parce que l'entreprise sera sortie des sentiers battus de ses activités pour investir d'autres terrains d'activités. Et plus l'activité investie sera éloignée de son créneau habituel, plus le potentiel légendaire sera grand.
On pense à LVMH qui s'est lancé dans la fabrication de gel hydroalcoolique, l'exemple le plus connu. Mais le potentiel n'est pas moins grand, et peut-être même qu'il l'est davantage dans de plus petites entreprises. Dans mon environnement proche, j'ai entendu parler d'une entreprise spécialisée dans la fabrication de condiment (type moutarde). Face à la pénurie de contenants pour le gel hydroalcoolique, elle a en urgence reconverti en les adaptant ses "flacons" de condiments. Et il y a plein d'autres exemples comme ceux-ci. Je donne une liste par types d'activités ci-dessous.
Cette faculté à "thinking out of the box", à innover à partir de l'existant a de quoi être mémorable pour l'entreprise. Elle peut nourrir de futures démarches d'innovation, et de manière générale un esprit d'innovation. Une culture d'adaptation aussi.
- AirBnB, qui déploie un programme pour loger les personnels soignants. Ce n'est pas hyper innovant, mais c'est une extension de l'offre habituelle qui véhicule une valeur de souplesse. Pour ma part, j'ai aussi entendu parler d'un opérateur de bateaux de croisières fluviales qui a mis a disposition de personnels soignants des cabines sur ses bateaux de toute manière immobilisés dans leurs ports d'attache
- Une entreprise américaine a développé en un week-end un système de téléconsultation médicale ne nécessitant aucune installation de software par les patients ni matériel vidéo pour les médecins. Gratuité aussi, dans ce cas. Là aussi, cette entreprise, accuRx, n'est pas trop sortie de son créneau habituel, mais elle s'est très certainement écartée de ses méthodes de travail et commerciales habituelles
- C'est aussi Dyson, oui les aspirateurs, qui a conçu en un temps record, un modèle de respirateur à partir de ses produits courants, en collaboration avec le milieu médical. Action conjointe entre deux mondes qui ne travaillent pas habituellement ensemble, transculturel en action !
- Une compagnie de taxi tunisienne, devenue temporairement compagnie de livraison de produits alimentaires à domicile (service payant)
- Le Departement for Transport britannique qui explore la livraison de médicaments par drones
- Une agence d'événementiel qui se lance dans l'e-événement : un escape game digital, virtuel pour explorer le monde, qui plus est !
- Une entreprise canadienne qui fabriquait des outils et autres produits techniques adaptés aux enfants, fabrique maintenant des équipements de protection pour personnels soignants, et recrute même 100 nouveaux employés pour cela !
Je ne parle même pas des nombreux propriétaires (individuels ou entreprises) d'imprimantes 3D fabriquant des masques de protection et autres fournitures indispensables. On a même vu des enfants se lancer sur ce créneau.
La tactique "construire une nouvelle histoire collective" de l'entreprise :
Bon, ne nous voilons pas la face, cette tactique-là n'est pas vraiment un choix. C'est plus une obligation qu'autre chose. On en a l'opportunité, ou plutôt la nécessité; quand l'entreprise est menacée de disparition. Ce qui est assez courant en ces temps de confinement et d'épidémie.
L'exemple de Gravity Payments :Je vais prendre l'exemple d'une entreprise américaine, et aussi celui d'une entreprise française.
Gravity Payments est une entreprise du secteur de la Tech, basée à Seattle. Du fait du coronavirus, le licenciement de 40 employés était dans l'air (sur un total de 210). Il faut dire que le chiffre d'affaires a brutalement chuté de 50% ! Le CEO envisageait la cessation d'activités sous 4 à 6 mois sans échappatoire. A moins que... chacun dans l'entreprise soit prêt à faire des sacrifices financiers. Tous se sont déclarés prêts à en faire. Mais tous n'étaient pas dans la même situation financière, même le salaire minimum dans l'entreprise est de 70 000 $ annuels. Certains avaient des dettes (immobilier, études des enfants...).
Chaque employé a donc reçu un formulaire à remplir, indiquant dans quelle proportion (si tant est qu'ils le pouvaient) ils accepteraient leur salaire d'être réduit. Une procédure individuelle plutôt qu'une décision collective uniforme.
Résultat : 6 employés ont répondu via leur formulaire qu'ils étaient prêts à abandonner la totalité de leur salaire pendant plusieurs mois si cela pouvait garantir zéro licenciements. 24 étaient prêts à diviser leur salaire par deux. Et même ceux qui avaient de gros engagements financiers par ailleurs ont accepté de réduire un peu leurs émoluments.
Résultat bis : l'entreprise a décidé que personne ne réduirait son salaire de plus de 50% et en moyenne, la diminution a été de 20%. La survie de l'entreprise est ainsi assurée pour 9 à 12 mois. Avec une réévaluation de la situation tous les mois.
Avoir une telle histoire en commun est de nature à avoir une dimension fondatrice au niveau d'une communauté de personnes -ce qu'est une entreprise, au fond.
L'entreprise, spécialisée dans les technologies vidéo, était déjà en grande difficulté avant la crise du coronavirus. Face à elle, le patron a déjà décidé de s'appliquer une baisse de 25% de sa rémunération et a demandé à son comité exécutif de porter l'effort de ses membres à 20%. Dans la foulée, il a aussi demandé aux salariés de consentir à un effort, sur la base du volontariat. A savoir : l'entreprise procède tout de même à du chômage partiel et des "licenciements temporaires" (je ne connais pas ce concept !). A l'heure où j'écris cet article, je ne sais pas encore quelle réponse les salariés apporteront à la demande leur patron. A suivre. Mais quelque chose me dit que ça va être très différent de l'histoire américaine...
Quelle histoire stratégique suivre dans cette période :
Plutôt que de résumer - reprendre ce qui est très bien dit ailleurs, je vais plutôt poster des liens vers des institutions très sérieuses qui prodiguent leurs conseils aux entreprises en souffrance actuellement :
- La démarche proposée par Q Markets
Il y a donc des possibilités de construire et vivre de belles histoires, paradoxalement, dans cette période on ne peut plus complexe pour les entreprises et l'économie. L'important est ici de ne pas considérer le storytelling comme une technique de communication - une histoire à raconter- mais comme le moyen de vivre une histoire ou de réorienter une histoire que l'on vit mal ou que l'on sait aller vers le "mal-vivre". Oui, le storytelling est bien plus qu'un outil de communication : c'est une démarche qui vise au bien vivre de l'histoire de chacun. Et c'est ce que je dis sans cesse, même quand je travaille avec des entreprises, sur Storytellingfrance.