Il y a un moment saisissant dans A portrait of the artist as a young man, de James Joyce. On est au début du siècle, en Irlande ultra catholique, lors d'une retraite d'étudiants. Un prêtre évoque l'enfer, ce qui tourmente l'artiste, qui est une grand pêcheur.
Ce qui est surprenant est la description qui est faite de l'enfer. C'est curieusement précis et terrestre. On y parle, à longueur de pages, de l'épaisseur des murs, de la température des flammes, de l'odeur. Comment a-t-on pu produire un tel délire ? Comment des gens particulièrement intelligents (on est chez les Jésuites) ont-ils pu croire à de telles fadaises, et les colporter avec le plus grand sérieux ?
Peut-être, à l'origine, y a-t-il une sorte de Dante. La fiction est peut-être bien plus souvent qu'on ne le croit, la source de notre réalité. D'ailleurs, peut-être que notre Dante anonyme s'est-il, simplement, demandé comment transmettre à son prochain l'horreur que doit susciter chez lui l'enfer ? Et il a trouvé les mots qu'il faut pour cela, comme le font les hommes de marketing, pour vous convaincre d'acheter leur quincaillerie ?
Mais pourquoi le croit-on ? Ne croit-on pas, nous aussi, des stupidités, sans pouvoir nous en détacher ? Il suffit d'aller à l'étranger pour comprendre que ce qui nous paraissait essentiel fait rire l'autre homme. Ce n'est pas pour autant que nous changeons d'avis. Nous subissons un méchant lavage de cerveau. Le propre de la raison, et de l'homme, est d'être propre à la manipulation ?