Gestion de Bouche

Publié le 22 avril 2020 par Hunterjones
Je vis quelque chose d'assez intense depuis le dimanche de Pâques. En marge de la Covid-19.
Je gère ma propre bouche 24 h sur 24. Je gère la douleur d'une bouche.
J'en ai pris conscience pleinement le lundi de Pâques. Je me suis réveillé le matin par ma bouche. Le côté gauche entier de ma bouche, les dents d'en bas comme les dents d'en haut, me faisaient un mal intense. Une irradiation constante de douleur pleinement nerveuse qui culminait si fort dans mes dents qu'on m'aurait dit que certaines dents finiraient par exploser que je l'aurais cru.

J'ai d'abord cru à une carie. J'ai la dent sucrée et ça ne m'aurait pas 100% étonné. J'ai donc tenté de vaincre le mal par brossage de dents. En vain. Je me suis fait saigner les gencives d'en haut. La douleur est cyclique. Je passe de longues heures tout à fait o.k., puis, je sens la douleur naître comme un soleil se détachant du nuage et qui peu a peu vous chauffe en plein après-midi. En soirée, j'ai souffert le martyr comme jamais. Les dents d'en haut surtout. Je ne me supportais plus. Je n'ai pas dormi de la nuit tellement ça tirait. Ma conjointe s'est inquiétée vivement et a placé un appel d'urgence chez le dentiste.

Le lendemain matin, j'ai été travailler et la douleur était encore terrible. La dentiste m'a appelé en fin de journée. Après beaucoup de souffrance cyclique. Elle m'a fait faire des tests en me faisant frapper sur les dents avec un ustensile, une par une, afin de tenter de déterminer laquelle était coupable. Aucune. C'est tout autour. Les nerfs on dirait.Je trouvais tant que ça puait le traitement de canal que je n'ai jamais oser l'évoquer avec elle.
Confinée, la dentiste m'a posé des milliers de questions, ne tenant pas à se déplacer pour rien et afin de tenter de bien diagnostiquer, à distance, le problème. En vain. Puisqu'en lui parlant, le mal est parti, elle m'a demandé d'être 100% à l'écoute des maux et se disait dispo, près de son téléphone en tout temps pour le prochain 48 heures pour que je la contacte au besoin.

Ce que j'ai été forcé de faire le lendemain vers midi. J'avais alors ingurgité 4 naproxen et 3 tylenols et le mal revenait toujours plus fort. Elle m'a posé encore des dizaines et des dizaines de questions. 13 de suite à un certain moment, sur mon téléphone. Tout m'agressait. Les opération de travail dans les rues de Montréal que je faisais en même temps, la douleur, ses questions. J'ai fini par lui dire qu'on devra se voir cet après-midi ou demain c'est trop insupportable. Elle a mis une équipe (confinée aussi) sur pieds et m'a donné rendez-vous à 14h30. J'ai dû couper ma journée de travail, encore.

On a radiographé au moins 8 fois. Rien n'y est tellement apparu sinon quelques indices de déchaussement.  On a joué dans la bouche, on a repris les séries de questions. On a même joué avec mon nez, car j'ai aussi remarqué que ça semblait bouger dans mon nez, en réaction avec mes dents.
Après de nombreuses questions qui n'en finissait plus et dont je n'avais pas toujours la réponse (je ne suis pas à l'écoute de mon corps à ce point) j'ai dû nommer mon menu des 5 derniers soupers, car c'est vers 19h que la torture est toujours plus intense. Elle ne semblait tellement pas savoir que j'en concluais deux choses: 1-j'ai un traitement de canal double (en haut et en bas) et elle n'ose pas m'en parler car ça coûtera la lune et ce seront des rénovations douloureuses ou 2- j'ai le cancer et ce n'est pas elle qui va m'en parler.
Je vous ai déjà parlé de ma dent manquante sur le côté droit. Ça fait 30 mois que je ne mange que sur le côté gauche. Je l'ai largement surtaxé. Raison 1 de la douleur.
J'ai une sinusite qui pousse vers la pression dentaire. Raison 2.
Je grincerais apparemment des dents, l'ayant fait quelques fois devant elle, probablement plus, la nuit, paraît-il. Raison 3.

Celle-là, j'en doute encore. Elle a justifié le déplacement en me limant les dents afin d'égaliser l'occlusion. Ça faisait très mal d'ouvrir la bouche ainsi. Après une première fois, où elle m'a dit "Que'est-ce que tu remarques cette fois en fermant les dents?" Je ne savais pas quoi répondre. Si je disait la vérité ("rien") je risquais de reprendre la bouche ouverte douloureuse qu'on venait de faire. Si je disais "ah c'est tellement mieux" je mentais. Comme j'ai hésité, et que mon "ah. oui" ne convainquait personne, pas même moi, elle m'a recouché et travaillé la bouche dans la douleur. Cette fois, à la même question, j'ai menti: "Aaaaaah! oui grosse différence!".

8 Advils rhume et sinus par jour, manger mou, vraiment mou, ne pas mastiquer pendant deux semaines, reposer le côté gauche le plus possible presque totalement. Se coucher la nuit, avec un "mouthpiece", cette gugusse de plastique qu'on se met dans la bouche. 339$. Ouch!   
(61$ finalement lorsqu'épongé par les assurances, ouf!)
Au moins deux semaines, peut-être plus. C'était il y a une semaine jour pour jour. Le jeudi a été moins pire. Bien que je me réveillait aux deux heures négociant ce mouthpiece inconfortable. Elle m'a rappelé, on en a jasé encore un peu. Le vendredi a été une torture. Je l'ai texté. Elle s'est inquiétée et m'a rappelée. Tellement maternelle cette dentiste que je me suis demandé si elle était certaine de son diagnostic. Peut-on totalement toujours l'être de toute manière? Dans sa diarrhée verbale, j'ai entendu le mot traitement de canal, "...on pense souvent que c'est un traitement de canal..."mais j'étais si fatigué, je n'ai pas eu l'agilité d'esprit de lui demander si le traitement de canal était évacué des possibilités de diagnostics. La nuit a été fameuse, je n'ai retiré le mouthpiece qu'une seule fois et pendant seulement une minute. J'ai quand même l'impression de dormir dans la douleur constante, appliquant du caoutchouc sur mes dents d'en bas en tout temps. 

De mon lever, jusqu'à 14h30, samedi, j'ai cycliquement souffert le parfait martyr. J'en aurais pleuré. L'amoureuse et moi installions les meubles autour de la piscine et travaillions sur le terrain et à toutes les vingt minutes, je devais partir, chauffer un sac de bines, et me le placer dans le cou, à gauche pour apaiser le tout. Ce qui me rassure car ça confirme aussi, un peu, sa théorie de muscles de la mâchoire salement flétris.
Vers 14h30, épuisé de tant souffrir, je suis tombé dans un divan du sous-sol et ai (ré)écouté L'Année Dernière à Marienbad d'Alain Resnais que j'avais récemment reçu.  1h34 sans douleurs. J'ai compris quelque chose. Ne parlant pas, je ne souffre plus. Avec l'amoureuse, j'avais discuté toute la matinée dehors. J'avais bougé la mâchoire.

Donc, ne plus mastiquer, mais ne plus parler non plus. Ne plus bouger mon hostie de mâchoire. J'ai passé une très agréable soirée en famille devant Sex Education saison 2, écrivant mes propos, acteur muet d'un cercle familial qui amusait les autres en parfait Harpo Marx. Je n'ai plus souffert avant la nuit. À cause du mouthpiece. Que je n'ai presque pas utilisé de la nuit, trouvant que ça réactivait un mal qui était, avant le dodo, inexistant.
Dans la nuit de dimanche j'ai dû prendre mes premières Advils autour de 4h48 du matin. Je me suis réveillé dans la douleur vers 8h00 et dû utiliser les compresses chaudes. Deux fois avant 10h00. Puis vers 11h00. Parfait bonheur. Parce qu'emprisonné dans le silence. Plus dur que ça n'y parait quand on est 4 sous le même toit. Et au travail.

Monkee, Punkee et l'amoureuse me supportent tous avec amour, se moquent de moi et s'amuse à penser que le langage des signes de toutes les conférences de presse du moment sont pour moi. Que je devrais apprendre le langage.
Depuis trois ans, je me dis toujours que l'année suivante ne pourra pas être pire que la dernière.
Et pourtant ces 4 premiers mois...
10ème jour de gestion de la douleur.