Ce soir, une conversation entre copines, un peu de légèreté sur un fond de vrai dilemme féminin! Et bien sûr, toujours un homme qui se promène, de nouvelles en nouvelles...
Nouveau départ
- « Allo, Isabelle, tu m’entends ? »
- Attends deux secondes, Virginie, je pose mes assiettes …
- Ah, excuse-moi, tu veux que je te rappelle ? Tu es toujours dans tes cartons ?
- Non, non, ça va, au contraire, tu me donnes une bonne raison pour faire une petite pause ! Je suis crevée ! Je suis effectivement encore en plein déménagement… ou plutôt emménagement ! Je ne me rappelais plus que j’avais mis tant de choses au garde-meuble il y a cinq ans !
- Déjà cinq ans que tu étais partie !
- Eh oui, le temps passe…Tu te souviens ? J’avais un peu peur à l’époque…
- Oui, ça je m’en rappelle très bien, j’étais même venue passer quelques jours avec toi avant ton départ !
- Oui, tu étais géniale…
- Normal, c’était le moins que je puisse faire pour ma meilleure amie !
- Avoue que j’étais quand même gonflée !
- Bon, c’est sûr que tu quitté une belle place dans l’orchestre, mais enfin, une telle offre, ça ne se refusait pas ! Je comprends que tu aies eu peur, pourtant… c’était vraiment sauter dans l’inconnu, mais aussi sacrément excitant, non ? Etre désirée par ce chef prestigieux !
- En tous cas, je ne regrette pas cette décision! Ah…zut !!!
- C’est quoi, ce bruit ? Qu’est-ce qu’il se passe?
- Je viens de casser deux assiettes ! C’est pas malin !
- Tu m’as l’air nerveuse, toi…
- Oui… non… enfin, un peu, et puis je suis fatiguée !
- Tu sais que si j’avais pu monter, je t’aurais aidée, mais Louis a 39° de fièvre et une grosse otite, résultat, il est tout le temps collé à moi !
- Ne t’en fais pas, je comprends ! C’est juste que c’est bizarre de se retrouver en train de ranger des casseroles dans des placards !
- C’est normal, tu as vécu comme une nomade ces dernières années, jamais deux soirs dans le même lit… pas souvent près des fourneaux !
- … oui, et j’aimais ça !
- Ne me dis pas que tu te poses déjà des questions ! Tu n’as quand même pas oublié ce que tu m’as dit au restaurant, la dernière fois que je suis venue t’écouter, à Berlin ?
- Non, non…
- Tu n’en pouvais plus, tu étais épuisée après votre tournée au Japon, tu voulais échanger ta vie avec la mienne, plan-plan …
- C’est juste - attends, je vais m’asseoir deux minutes sur ce carton, s’il est assez solide… - mais…
- … mais tu vas être bien, tu vas te faire un nid, tu vas pouvoir aller au cinéma, accepter des invitations à dîner, te faire des amis, être normale, quoi !
- J’étais normale, quand même…
- Oui, tu parles, on te disait de passer un week-end à la maison, et tu répondais « ok mais pas avant un mois car avant je joue à Bologne, Paris, Lisbonne, Athènes, et puis Rome, Genève, Bâle, sans oublier quelques jours à Londres et Glasgow. » Normale, vraiment ?
- C’est vrai, des avions, des bus, des hôtels, des théâtres, encore et toujours… les salles à découvrir, l’acoustique…
- Tu as l’air de dire ça avec envie et nostalgie ! C’est maintenant que c’est bien, des horaires réguliers, plus de sommeil ! Tu vas rajeunir !
- Hmmm ! Mon corps s’est habitué à ce rythme !
- Oh, dis donc, je crois que j’ai bien fait de t’appeler, c’est pas la grande forme !
- Tu as raison, plus je vide mes cartons, et plus je me pose de questions ! Et puis, je ressors tellement de vieilles choses, que je n’avais plus vues depuis des années… Cinq ans, ce n’est pas si long, mais quand on bouge, le temps ne passe pas de la même façon, et puis même avant, je n’étais déjà pas souvent chez moi, donc ces trucs, je ne m’en souviens même plus : des vases, des cadres… des lettres…
- Allez, allez, raconte-moi plutôt comment il est cet appartement… Je parie que c’est comme on les aime, Jérôme et moi, moulures, parquet et cheminée ?
- Ah lui, il est très bien : c’est tout à fait ça ! Et en plus d’ici, je peux aller au Conservatoire en vélo ou à pied! Et je suis tout près des Buttes…
- Ben tu vois, c’est pratique, tu vas t’acheter un panier, aller au marché, lire sur un banc au soleil, tout ce que tu soupirais ne jamais pouvoir faire !
- Tu sais bien qu’on n’a jamais ce qu’on veut !
- Oui, mais au moins, toi, tu auras eu les deux vies entre lesquelles on hésitait quand on était à la Juilliard.
- Enfin, on en reparlera dans quelques années… pour l’instant, c’est toi qui as eu la vie romantique, un mari formidable, Louis et Lisa qui sont à croquer…
- …et toi, les plus belles salles du monde, les concertos, les maestros, les fleurs… alors que moi, j’ai mes petits élèves qui massacrent Beethoven !
- … Hmmm, moi, j’ai eu les amours de passage, comment veux-tu t’investir dans une relation quand tu es tout le temps partie!
- En attendant, tu as quand même vécu de jolies histoires !
- C’est vrai… tu te souviens de Guillermo, le fou de Brahms ? Il était incroyable pour réussir à me faire passer des messages, des bouquets…
- Fou de toi, surtout ! Et tu croyais que c’était un vieil Argentin pris du démon de midi…
- C’est vrai que quand je l’ai vu, j’ai eu un choc, il ressemblait plus à un joueur de polo ! Qu’est-ce qu’il était beau !
- Et il voulait vivre avec toi… Tu te rends compte ! Si tu lui avais dit oui, aujourd’hui, tu monterais à cheval dans ton ranch avec plein de petits Guillermo…
- Oui… mais je me voyais mal tout abandonner pour lui !
- Bah, tu avais d’autres priorités à cette époque, il faut dire que si j’avais eu ton talent, j’aurais davantage hésité à dire oui à Jérôme…
- En tous cas, je ne suis pas très douée pour les histoires d’amour ! Je n’ai pas su saisir ma chance …
- … mais aujourd’hui, tout va changer !
- Oui, enfin, j’espère ! Maintenant, que je suis prête à me poser, tu vas voir que je ne vais rencontrer personne ! En plus, c’est moins séduisant une prof du Conservatoire qu’un premier violon sur la scène du Carnegie Hall !
- Ça dépend pour qui ! Tu ne vas plus provoquer de coup de foudre dans les premiers rangs, mais tu rencontreras le père d’un élève qui te fera craquer, à moins que ce ne soit l’élève lui-même ! Et puis tu es à Paris ! Ici, en province, ça serait plus difficile, je te l’accorde !
- Ces choses-là ne se décrètent pas ! On ne programme pas de tomber amoureuse et ce n’est pas moi qui vais aller me balader sur des réseaux de rencontres !
- Remarque, il y a peut-être des gens très bien, ça change des agences matrimoniales…
- Non, moi j’aime les rencontres fortuites. Donc, on verra ! Je ne peux rien forcer, mais au moins, je me donne une chance !
- Attends deux secondes, Louis m’appelle… je reviens…
- Pas de problème, je me fais un thé…
(…)
- Allo, me revoilà, tu m’entends ?
- Oui, oui, je t’ai mise sur le haut-parleur, je suis en train de me préparer un pu-er…
- Toi et tes thés ! Pauvre petit Louis, il ne trouvait plus son Doudou ! Tu l’aurais vu, les yeux pleins de larmes, le bout du nez rouge, il était si mignon !
- Il est adorable, ton fils ! Et ta Lisa aussi…
- Allez, allez, dès que tu as trouvé le père, tu nous mets quelques petits violonistes en route…
- Ouais… toi, tu as parlé à mon horloge biologique !
- Au fait, tu as rencontré tes nouveaux voisins ?
- Non, pas vraiment… mais si, je suis bête, j’ai rencontré le voisin du dessus, avant hier - soir…
- Et alors ? Comment ?
- Ben, je descendais l’escalier avec quelques cartons vides, pour débarrasser un peu…
- Tu n’as pas d’ascenseur ?
- Si, mais avec les cartons, ce n’est pas pratique, et puis je ne suis qu’au deuxième, et l’escalier est assez large, donc…
- Oui…
- Je ne voyais pas très bien où je mettais les pieds, c’était pas lourd mais très encombrant… et je suis tout droit entrée dans le voisin qui montait !
- Ah, ah… et puis ?
- Mes cartons ont dégringolé plus bas, et lui, il a fait tomber tous les DVD qu’il avait à la main !
- Quel genre ?
- Euh… je crois des comédies, et un film avec Piccoli, il me semble…
- Mais je ne te parle pas des films, voyons Isabelle, quel genre d’homme ?
- Ah… lui, bien, très bien même…
- Quel âge ?
- Bof, je dirais, trente-cinq, entre trente-cinq et quarante…
- Petit ? Blond ? Gros ? Raconte…
- Grand, brun, mince…
- Beau donc ! Habillé comment ?
- Tu m’en poses des questions, toi ! Je sais plus, je crois assez sport, un pull, un jean… tu sais, je ne l’ai pas trop regardé, il est descendu rassembler mes cartons… En tous cas, il est très serviable !
- Mais c’est très bien tout ça ! Très, très bien ! Vous vous êtes présentés ?
- Euh, non, même pas, ça s’est passé si vite…
- Dommage, tu avais une belle occasion, mais on va la rattraper, ne t’inquiète pas, rien n’est perdu ! Au fait, comment sais-tu qu’il habite là et qu’il ne venait pas juste rendre visite à quelqu’un ?
- Parce qu’il m’a dit qu’il fallait se méfier des escaliers qui étaient souvent glissants, donc, il doit bien les connaître, et comme il montait, pas besoin d’être Sherlock Holmes pour en déduire qu’il habite au-dessus !
- Je vois… et que comptes-tu faire maintenant ?
- Je vais finir de ranger ma chambre…
- Je veux dire avec lui…
- Ben, rien !
- Comment rien, il faut mettre une stratégie au point, ma copine !
- Je ne vais quand même pas le guetter tout le jour derrière mon Judas ?
- Evidemment pas, encore que… Non, il faut que tu utilises effectivement l’escalier, puisque lui-même a l’air d’aimer l’exercice. Monte ou descend tranquillement, prends ton temps, plus longtemps ça dure et plus de chances tu auras de le rencontrer… et surtout, la prochaine fois, dis-lui ton nom, comme ça, tu auras le sien, bavarde un peu… demande-lui s’il s’y connaît en électricité, invente un problème avec une prise…
- Tu devrais écrire des scénarios…
- Mais ma chère, la vie est encore plus belle que le cinéma, c’est pas Lelouch qui le dit toujours ?
- …oui, peut-être, en tous cas, elle est aussi pleine de rebondissements…
- Qu’est-ce qu’il y a ? Mr Right sonne chez toi ?
- Non, mais je suis en train de regarder dans la cour de l’immeuble et je viens de le voir passer avec une femme, très belle, en manteau rouge…
- Pfff… c’était peut-être juste une amie ?
- Je ne crois pas : elle l’attendait pendant qu’il allait jeter les poubelles, et ils viennent de sortir, main dans la main !
- Ça ne prouve pas que c’est sa femme… il faudrait juste que tu regardes les noms sur les boîtes aux lettres…
- … Virginie, écoute, on en reparle, je viens de voir un type entrer dans la cour, ça doit être le plombier qui vient installer la machine à laver…
- Il est comment ? Comme sur les pub ? Grand et musclé ?
- Chut… tu es incorrigible ! Il faut que je te laisse, je te rappelle…
- Oui, on se téléphone sans faute, j’ai une petite idée pour le voisin…
( in " Des nouvelles de lui", Géhess Editions, 2010 )