Au démarrage, nous sommes à l’indicatif. Mais qu’indique-t-il, ce mode habituellement réservé aux affirmations ? Des traces, sans doute, comme on dit en Français usuel pour signifier qu’il en reste tout de même un petit (doute). Bref, admettons : il y a des traces, mais de quoi ? C’est là, passé le troisième mot, que le doute se déplace et s’accentue d’un peut-être : Il y eut peut-être des arènes.
Sur la même page, dès le deuxième paragraphe, la caméra devient subjective (on ne sait pas encore que Wim Wenders et ses anges défroqués Peter Falk et Bruno Ganz seront plus loin convoqués) : même s’il s’agit de morceaux du monde, ce sont des vues, comme des « choses vues », dirait le grand Victor. Puis de la mémoire, et de l’oubli. Reste, toujours, malgré l’introduction du conditionnel, ce contact avec le monde qui fait jaillir la surprise. C’est toujours de « l’improbable », eût dit Bonnefoy.
Deuxième page de texte : le conditionnel assure l’unité du ton. Cependant, quelque chose a changé : nous ne sommes plus dans l’interprétation, mais dans l’adoucissement de ce que, pourtant, « on veut ». Puis un autre glissement s’opère : on passe de la volonté, assumée par celui qui écrit, à la fiction, avec ses personnages, elle et lui. Et le futur, et les origines, et tout le temps qui passe sur les êtres. Cette fois, tout est campé. Le décor, ensuite, pourra changer, les acteurs varieront de l’auteur (auquel le lecteur ou la lectrice sont discrètement invités à s’identifier, comme s’il était Monsieur ou Madame Tout-le-Monde) à il et elle, c’est selon.
Face à l’objectif des photos de Léa Dumayet, dont les sujets vont de l’échafaudage à un objet spongieux, indéterminé par le quidam que je suis, le texte de Philippe Longchamp apparaît comme unifiant le fond, le faisant plus discret (le mot apparaît à plusieurs reprises), plus hypothétique, accrochant de manière ténue telle ou telle part du paysage proposé (près du voilier, on ira, nous aussi, vers le rivage) pour l’intégrer à une narration à la fois réaliste, subjective, onirique, merveilleuse (dans les deux sens) cosignée par le poète et la photographe, et par le lecteur appelé à y frayer son chemin.
Peut-être, pendant une poignée de jours et de nuit, elle et lui, les sens à l’affût et curieux des fissures dans les certitudes majuscules, auraient approché des choses discrètes sur le versant modeste et délicat, et fragile, de notre monde.
Cette belle création, petit « livre d’images » que chacun peut feuilleter sur internet, nous amène à saluer au passage l’équipe du site Cela.paris qui permet à des artistes (à chaque fois un ou une écrivain-e- et un ou une artiste visuel-le) de collaborer pendant deux semaines « dans un mouvement de conversation spontané ». Le travail graphique y est remarquable, au service du texte et de l’image. Un usage d’internet à défriser la « sensure ».
Elle et Lui, de Philippe Longchamp et Léa Dumayet, Cela.paris, 2019, 14p., gratuit (lecture par internet)
Yves Jouan