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Antonya David-Prince : Pour une poétique de la vulnérabilité

Publié le 19 avril 2020 par Africultures @africultures

Avec son premier album, Vulnérâmes, sorti chez Asrafo Records, Antonya David Prince, propose une traversée intimiste ; amour au temps des réseaux sociaux et de la société de consommation, amitié, tendresse, arrachement, solitude, tourments et angoisses existentielles rythment ce 7 titres. Une plume inconditionnellement poétique avec des musiques qui nous embarquent dans une introspection résiliente. Rencontre avec une artiste qui dévoile une autre facette de ses talents créatifs.

Vous êtes consultante dans le domaine de la santé, vous avez aussi travaillé dans l’événementiel et le stylisme, nous vous connaissions notamment avec la marque Tiss’ame. Nous vous découvrons, avec Vulnérâmes, en poésie. Quelle place a la poésie dans votre vie, dans votre quotidien ?

La poésie m’accompagne depuis aussi longtemps que je me rappelle savoir lire et écrire. Je suis née au Sénégal, j’y ai vécu jusqu’à mes 7 ans, puis au Togo jusqu’à mes 16 ans, avant d’arriver en France. Le goût des mots m’est venu de mon papa, qui est un grand mélomane et adorait écouter Brel, Brassens, Cabrel, Aznavour, Reggiani… Je suis tombée amoureuse, artistiquement, de Solaar à l’adolescence. Et finalement j’ai toujours écrit, par nécessité, urgence aussi. J’ai toujours un carnet, ou mon téléphone portable maintenant.

J’avais une carrière toute tracée dans la santé. Mes parents sont médecins, j’ai étudié la biologie. A l’âge de 24 ans, je me suis dit que je n’avais pas forcément envie de faire cela mais plutôt d’explorer d’autres chose; J’ai accepté une proposition de travail dans l’événementiel à Londres pendant quelques années. Sur la fin de mon séjour, j’ai intégré un master en école de commerce en marketing et communication. Depuis plusieurs années maintenant, j’assume un parcours aux chemins multiples, je m’autorise à m’exprimer de toutes les façons possibles. J’ai lu un article il y a 3 ans sur la multipotentialité, il m’a réconcilié avec moi-même et m’a fait prendre conscience que parmi toutes mes activités, je n’avais pas besoin de les hiérarchiser, elles prennent leur place tout naturellement en fonction des envies.

C’est un premier album. Quel a été le cheminement pour sa production ?

L’écriture a toujours été là. J’ai découvert le slam, notamment grâce à un ami, Minus Niang, membre du collectif Vendredi Slam au Sénégal. Il m’a fait faire ma première scène au Downtown Café à Paris. J’ai enregistré, à partir de là beaucoup plus qu’avant des poèmes, textes, slams. Fin 2017, je suis allée au Togo. A cette époque il y avait des révoltes sociales. Dans cette urgence émotionnelle qui m’a accompagné à mon retour de Lomé j’ai écrit le texte qui est sur l’album, “Silence”. Je l’ai partagé à quelques amis dont Elom20ce, qui me connaissait jusque-là par ma première aventure artistique avec la marque de vêtements Tiss’âme. Il m’a proposé de poser sur son album, je n’y croyais pas du tout. Et pourtant quelques mois plus tard on se retrouve à Lomé, en studio. Nous devions enregistrer pour son album et finalement les conditions n’étaient pas réunies ce jour là donc il m’a proposé d’enregistrer mes textes. Je ne les avais pas sur moi, lui oui. Il m’a clairement poussé et c’est comme ça qu’ont vu le jour les premiers titres de Vulnérâmes. Pour lui nous avions déjà un début de projet, mais je n’y croyais pas encore. Et c’est encore lui qui, quelques mois plus tard, alors qu’il était de passage à Paris, m’a donné de nouveau rendez-vous pour enregistrer. Le projet a alors vraiment pris forme. C’est une belle aventure, une histoire de rencontres, des moments de vie.

Antonya David-Prince : Pour une poétique de la vulnérabilité
Comme le titre l’indique c’est un album intimiste, vous abordez les vulnérabilités avec poésie. Vous parlez de l’amour au temps des réseaux sociaux, de la solitude, de fausses-couche… C’est un album très personnel et d’ailleurs vous vous présentez sur vos réseaux sociaux comme “artiste hypersensible”.

J’écris dans une urgence, dans une nécessité. Je pense que je suis hypersensible comme un cinquième de la population mondiale. J’ai appris à lâcher prise dans mon écriture car c’est aussi thérapeutique. J’aime les mots alors j’essaie toujours d’être au plus juste dans l’expression de mes sentiments. J’ai fait de ma sensibilité une force. Quand j’ai découvert le concept de l’hypersensibilité, ça m’a beaucoup aidé pour mettre en perspective la vision que je pouvais avoir sur le monde et ma manière d’aborder mes émotions. Je voulais pouvoir partager cela avec le plus grand nombre ; nous sommes tous vulnérables. Nous vivons dans un contexte où on valorise beaucoup la performance, alors même que l’on constate de plus en plus de burn-out ou de syndromes dépressifs. Ne pourrions-nous pas valoriser l’acceptation de ses vulnérabilités, prendre le temps de vivre avec ? Cela permettrait de savoir prendre davantage de recul, être plus flexible par rapport aux événements, être plus souple dans la manière de réagir face à l’adversité. J’avais envie de partager cela. En ce moment par exemple on n’a pas le choix, nous sommes vulnérables à l’échelle de l’humanité toute entière, que fait-on de cela ?

La spiritualité est très présente dans ce premier album. Dans “A mon acte manqué”, vous faites appel à des références religieuses.

Je suis quelqu’un de très spirituelle. J’ai reçu une éducation religieuse catholique, j’ai grandi au Sénégal dans un pays musulman. Je suis plus spirituelle que religieuse, et ça prend beaucoup de place dans ma vie et mes textes en sont imprégnés. Être spirituelle c’est aussi savoir que pour vivre apaisée, il faut essayer de vivre en confiance, habiter pleinement le présent, vivre en cohérence. Je pratique aussi beaucoup la méditation. Et donc l’album c’est vraiment ma personnalité, ce que je vis, et ressens. C’est l’expression de mon chemin de vie et qui est aussi celui de beaucoup de mes contemporains. Il rencontre en tout cas je le sens les chemins d’autres personnes.

La musique emporte votre poésie. Quel a été le processus créatif avec les musicien.nes ?

Dans le processus créatif, nous avons d’abord posé les voix pour qu’ensuite les musicien.nes s’approprient les textes à leur manière, qu’ils choisissent les textes qui leur parlent le plus. Quand j’écris je recherche beaucoup le rythme des mots, j’écris à l’oreille presque. Et la musique donne aussi cette ambiance intimiste et de partage. J’avais quelques idées pour certains morceaux comme pour “Respire”, j’aurai aimé qu’il y ait une kora, car il est question de souffle. C’est l’instrument des djinns. Finalement c’est un guitariste mais qui est vraiment dans cet élan, qui accompagne le souffle et le rythme des mots. Je savais aussi que je rêvais de travailler avec Nathalie Ahadji, l’une des premières femmes saxophonistes, qui est aussi togolaise, que je regardais à la télé quand j’étais plus jeune.

Vous avez présenté votre album à Lomé, aussi à Abidjan notamment lors de concerts littéraires. Quel est le principe ?

Une fois qu’il est sorti cet album ne m’appartenait déjà plus. Le plus important pour moi est d’utiliser la poésie et la musique pour créer des conversations qu’on n’a pas très souvent, dont certaines peuvent rester taboues. Notamment dans les sociétés de la diaspora africaine : on n’y parle pas de vulnérabilités, d’amour, de fausse couche… Alors que la parole est ancrée dans les cultures noires, certaines expressions sont finalement bridées. Donc après l’album, j’ai donné un premier concert à Lomé à l’Institut français du Togo qui intercalait des morceaux avec des temps de talks avec le public. J’ai fait la même chose à Abidjan avec des talks sur la vulnérabilité. Et de fait, j’ai eu beaucoup de conversations très intimes, avec des femmes et des hommes, notamment sur le titre « Sade » à propos des fausses couches. J’ai senti qu’il y avait un besoin de libérer la parole.

Comment vivez-vous cette période de crise sanitaire et de confinement depuis Paris où vous êtes installé ?

C’est une période bouleversante. Après, de mon côté, j’ai toujours une activité professionnelle qui prend de la place, j’ai l’habitude de faire du télétravail. Cela reste une période globalement avec beaucoup d’anxiété, d’incertitudes, de tensions, mais je suis persuadée qu’on va tous se réinventer, peut-être pas pendant cette crise, mais j’imagine qu’au sortir de la crise il va se passer de belles choses.

Entretien de Anne Bocandé avec Antonya David-Prince.. Avril 2020

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