Il
est chiant cet éditeur, je me demande s'il connaît son boulot.
Tout
l'après-midi suivant, j'ai fait le tour de toutes les jardineries du
département.
J'ai eu de la chance, il faisait beau.
Il aurait plu
remarque, c'était pareil, parce que je dispose d'un véhicule de
transport autonome motorisé à carburant pétrolifère qui possède
la particularité de pouvoir vous transporter d'un endroit à un
autre, sans avoir besoin de marcher, et ce dans l'aisance la plus
totale, je sais pas si vous connaissez.
Moi
j'en ai un.
-Bonjour
Mademoiselle, excusez-moi de vous déranger mais il fait beau on a de
la chance j'ai un véhicule à carburant pétrolifère, est-ce que vous pourriez m'indiquer où se trouve le rayon
du terreau à rempoter ? Dans des sacs.
-Bien
sûr Monsieur, suivez-moi...Tenez voilà, vous avez toutes sortes de
terreaux différents.
-Excusez-moi,
j'ai pas dit s'il vous plaît, je ressors et on la refait.
-Mais
non c'est pas la peine Monsieur, et je suis très occupée vous savez.
-Oui
mais c'est pour un livre, il faut refaire la scène, faut que ce soit
carré pour aérer, déjà la lumière est bonne, le son est bon, on
y retourne, bougez pas. dès que je crie "Moteur action" vous bougez comme dans la vraie vie OK?
-Mais
non enfin, j'ai pas que ça à faire ! C'est pour quoi votre
terreau au juste ?
-Pour
rempoter.
-Ah,
du terreau de rempotage, c'est par ici. Et c'est pour rempoter quoi ?
-L'adhésion...j'ai
pas compris.
-Pardon ?
-Pour
de l'adhésion, c'est ce qu'on m'a dit, alors ça doit exister
j'imagine. Auprès du plus grand nombre qu'on m'a dit. C'est quoi le
plus grand nombre d'après vous ? Y faut que je rempote auprès
du plus grand nombre, vous trouvez pas que c'est un genre d'énigme
comme du père Fouras vous ?
-Je
ne comprends rien à ce que vous dites, je suis désolée.
-Moi
non plus je ne comprends rien, c'est mon éditeur qui m'a dit ça,
c'est lui qui veut que je fasse un livre c'est pas de ma faute, moi à
la base je suis dessinateur, je sais pas faire des livres, et lui il
m 'oblige à en faire un, avec des chapitres en plus, et vas-y
que chte donne des ordres, et vas-y qu' y faut faire des chapitres,
je sais pas comment lui dire non, à part lui dire non, mais c'est
trop simple, c'est la solution de facilité, c'est l'arme des
faibles. Je préfère de loin la circonlocution, j'en ai besoin, puis
je vais prendre deux pots de géraniums là-bas pendant que j'y suis,
merci, sinon.
-Oui
je...écoutez, très bien, je vous souhaite une bonne journée alors.
-Vous
êtes gonflée vous alors ! Il est déjà seize heures et
vous me souhaitez une très bonne journée ! Vous n'êtes pas
très commerçante vous alors!
C'est
un monde tous ces commerçants qui vous agressent.
On
jurerait qu'on les dérange.
C'est
que le monde a bien changé.
De par rapport aux périodes où il
changeait moins.
Je sais pas, quand j'étais tout petit, vers un ou
deux ans j'ai pas compté, je me souviens que je me disais que le
monde n'avait pas tellement changé, en un ou deux ans j'ai pas
compté.
J'avais peut-être un repère de temps différent tu me
diras.
Oui
tu me diras rien je sais, toi tu lis c'est tout. T'as le boulot le
plus fastoche. C'est toujours les mêmes.
C'est
vrai que je trouvais que le temps ne passait pas vite quand j'étais tout petit, je passais
devant une glace, je me voyais tout le temps en couche à quatre
pattes, un long filet de bave traînant derrière moi, j'étais
désespéré et inquiet car je ne voyais pas de progrès, je me
demandais si je n'avais pas un retard et ça m'angoissait.
Je me
disais que je n'allais pas pouvoir passer ma vie en couche à quatre
pattes comme ça, je me donnais généralement encore un mois ou deux
pour réagir et rebondir, me prendre en main et devenir un homme.
Et
je craignais de décevoir fortement mes parents qui avaient sûrement
dû avoir d'autres attentes me concernant, c'était légitime, eux
ils avaient fait un enfant pour qu'il fasse des études et ils se
retrouvaient avec un gros haricot rose avec une seule dent qui
mangeait les miettes sur la moquette et qui bavait.
J'imagine
la déception.
Dire
que pendant des années, j'ai poussé, mes parents croyaient que
j'avais envie de faire caca mais non, je poussais pour essayer de
grandir, je ne savais faire que ça à l'époque il faut bien
l'avouer, je ne connaissais que cette technique d'expression, mais ça
ne marchait pas.
Par contre je finissais par faire caca quand même.
Ce
fut un terrible apprentissage de la vie, un de ces trucs qui te font
devenir adulte, à un an et demi, toi t'es encore dans ton monde
imaginaire et tout à coup tu prends conscience.
Que la vie ce n'est
pas ce que tu imaginais.
Tu pousses en espérant qu'il en sortira
quelque chose de positif, de merveilleux, tu pousses parce que c'est
l'instinct qui te le dicte, c'est une loi universelle du haricot rose
qui débute dans la vie, tu as l'impression que tu es né pour
pousser et que ton avenir sera rose si tu pousses bien comme il faut.
Et puis non, tu pousses en croyant faire quelque chose de bien et ça
donne un truc complètement loufoque qui sent mauvais.
Ton idéal de
vie rêvée et ton génie créateur en prennent un sacré coup, et
pour finir tu te rends compte alors que tu n'es qu'un genre de bête
machine, un genre de bête moteur à trois temps, dont tu ignores la
finalité.
Tu
manges tu pousses tu dors.
Tu
manges tu pousses tu dors, tu manges tu pousses tu dors.
Tu
ne le sais pas encore, mais ça préfigure ta vie future.
Métro
boulot dodo.
Nous sommes configurés pour avoir une existence
mécanique, nous ne sommes que des robots de chair et d'os.
De la
viande rythmée oscillant à telle fréquence, du steak gigotant.
Quel est le sens de tout ça, sa finalité, son objectif, son
intrinsèque but ?
Faire
chier ses voisins.
À suivre...