Julie et Naomi sont amies. Julie est une jeune Québécoise, Naomi est Innue. En langue innue, les sons « j » et « l » n’existent pas, c’est donc à Shuni que Naomi écrit. Elle lui raconte la vie de son peuple, dans la réserve, un peuple qui n’a rien puisque tout est à l’État. Un peuple qu’elle n’idéalise pas, mais qu’elle aime avec ses bons côtés, ses défauts. Ce n’est pas un bloc, ce n’est pas un groupe de gens tournés vers le passé, figés sur des traditions. Elle-même enseigne le français et s’étonne quand, à Vincennes, une femme lui reproche d’avoir abandonné sa culture au prétexte qu’elle n’est pas vêtue de peaux tannées… Elle répond et, en écrivant à son amie, précise que les Innus ne sont pas hostiles à la modernité, ne sont pas hostiles à la découverte des autres, qu’avant d’être contraints de demeurer dans les réserves (il y avait des clôtures !), ils parcouraient la terre, leur terre, ignorant à ce moment que cette terre contenait des sous-sols que les colonisateurs leur enviaient, et leur ont pris. Pour présenter les siens, elle cite sa mère, ses soeurs, son grand-père, son père mort trop tôt, cet homme qui reprend des études à cinquante ans, cette femme qui élève l’enfant de sa voisine, une organisation sociale. C’est une lettre qu’elle adresse à une amie et, le temps de la lecture, on se sent soi-même un peu comme un ami qui serait accueilli à Uashat. Elle nous invite à prendre le temps de l’écouter. Elle parle de cet homme qui, à la radio, traduisait « littéralement le mot horloge : tipaipishimuan, le compteur de lunes. Il a ajouté en riant : On est très loin de la seconde. » Le temps n’est pas le même. Et la vie est un cercle. « Ce qu’il y a de rassurant avec le cercle, c’est qu’on peut revenir au même endroit autant de fois qu’on en a besoin. Reprendre le cours de ses études, un travail trop exigeant, une relation brisée. Revenir et être persuadé que cette lune-ci sera la bonne. »