J'ai découvert après sa mort que mon père avait été résistant. Un résistant de rien du tout, bien sûr. Il se trouvait que les résistants en chef avaient placé les jeunes résistants, ceux dont la vie ne comptait pas, derrière les Allemands en recul. Et que ceux ci, dans le cas de mon père, ont décidé de se rendre aux résistants, plutôt qu'aux Américains. A quelques kilomètres de là, à Tulle, ces mêmes Allemands ont décidé de massacrer la population. La vie tient parfois à des hasards.
Ce que je comprends maintenant est qu'être résistant n'était pas une question de maquis, mais d'état d'esprit. Mon père était quelqu'un de très calme, de très posé. Je ne l'ai jamais vu se mettre en colère. Il avait d'ailleurs un sens de la répartie étonnant. Je me souviens, par exemple, que mon grand père maternel parlait du gouvernement de l'époque, de sa mauvaise gestion de l'inflation, et de la crise de 29. Mon père lui avait répondu qu'en 29, il fallait des valises et des brouettes de billets pour faire ses courses, et que ce n'était manifestement pas le cas. Mon grand père s'était trouvé sans mots. (Tout cela est loin, et l'histoire est surtout juste par son esprit.)
Et pourtant cet homme posé et calme était un révolté, au sens de Camus. Il avait une réaction épidermique à l'injustice et à la manipulation. Il me semble que c'est cet esprit qu'a eu notre corps médical face à la détresse de la population. Et que c'est cet esprit qu'il faut que nous adoptions.