Selon la relation qui en est faite, c'est un véritable exploit qui a été rendu possible par la mise en œuvre de la technologie de la singapourienne dltledgers. Qu'on en juge : grâce à la blockchain, il n'aura fallu que 5 jours (contre près d'un mois habituellement) à deux géants de l'agro-alimentaire, Cargill et Agrocorp, et leurs différents intermédiaires (dont les transporteurs) pour conclure la vente et le transfert d'une cargaison de blé d'une valeur de 12 millions de dollars entre l'Amérique du Nord et l'Indonésie.
La blockchain serait donc à elle seule la baguette magique qui parvient subitement à mettre en relation les entreprises, à leur permettre d'échanger des documents en toute sécurité, à autoriser le suivi et le pilotage en quasi temps réel de leurs opérations, à éviter toute polémique sur la propriété des données, à réduire les coûts des transactions et à diviser par cinq les temps de traitement (administratifs et autres) ? L'initiative de Rabobank et ses compères révèle une nouvelle fois l'extraordinaire naïveté de ceux qui croient à ce fantasme tenace… et le cynisme des pourvoyeurs de chimères…
En effet, il suffit d'analyser en détail ce qui rend la solution, dans sa globalité, particulièrement efficace (ses bénéfices étant incontestables) pour comprendre que la blockchain, en tant qu'outil, n'y joue aucun rôle. En réalité, nous avons ici affaire à la simple démonstration de l'intérêt de rationaliser et numériser un processus complexe multi-participants : le principal facteur responsable de la performance est l'acceptation par tous les intervenants de recourir à une plate-forme commune afin d'orchestrer l'ensemble de leurs actions sous une forme entièrement dématérialisée. Quelle surprise !
Et qu'on ne vienne pas me chanter la célèbre berceuse de la confiance, qui serait prétendument assurée par le caractère décentralisé, consensuel et immuable de la blockchain, puisque rien dans l'implémentation qui nous est proposée ici ne permet de garantir la qualité de ce que chaque contributeur introduit dans le système et que tous, en revanche, accordent implicitement leur confiance au fournisseur du logiciel sur lequel il repose : quelle est alors la différence avec une approche plus classique ?
Si l'argument technologique n'était employé que dans le but de convaincre les parties prenantes de collaborer à la « digitalisation » de leurs pratiques préhistoriques, l'artifice serait admissible. Malheureusement, les résultats ne sont guère au rendez-vous : d'une part, la blockchain possède ses propres inefficacités et frictions (pour n'en citer qu'une, pensons au déficit de compétences) et, d'autre part, la nouveauté qu'elle représente génère des réticences qui font que ses déploiements ne dépassent toujours pas le stade expérimental, alors qu'une démarche traditionnelle aurait déjà abouti en production.