Un article découvert dans le Gil Blas du 18 août 1880.
Les mèches de cheveux de Richard Wagner.
Nous en apprenons de belles par les journaux italiens! A les entendre, de naïfs Allemands, fanatiques de Wagner, auraient été dupes d'une affreuse mystification.
Pendant que l'auteur du Lohengrin habitait Naples, son coiffeur ne put s'empêcher, un jour, d'annoncer à toute sa clientèle qu'il devait , le lendemain, couper les cheveux à l'hôte illustre du mont Pausilippe.
Dès que cette nouvelle se fut répandue, l'heureux coiffeur vit accourir chez lui plusieurs représentants de la colonie tudesque, qui lui retinrent, au prix de vingt francs pièce, toutes les mèches de cheveux de Wagner qu'il pourrait leur procurer !
C'était, comme on voit, une excellente aubaine, le maître ayant déclaré qu'il voulait essayer de porter les cheveux très courts, sur le conseil de son médecin, pour voir si ses douleurs de tête en seraient diminuées.
Le coiffeur se fit donner quelques centaines de francs d'arrhes, et partit joyeux pour le Pausilippe, muni de sa meilleure paire de ciseaux.
En le voyant entrer, Wagner ôta sa légendaire toque de velours vert, et l'opération commença.
Mais, ô terreur ! la première mèche se détachait à peine sous les ciseaux de notre coiffeur,quand une femme au visage expressif et distingué parut sur le seuil de la porte du salon, et s'écria : « Arrêtez ! arrêtez, sacrilège !!! »
C'était Mme Wagner. Elle portait un riche coffret d'ébène incrusté d'argent. A grands pas, elle marcha, vers le coiffeur ébahi, saisit la mèche de cheveux qu'il venait de couper, la plaça délicatement sur le bleu velours qui garnissait le fond de la cassette, puis, s'asseyant à côté de Wagner : « Maintenant, dit-elle à l'artiste capillaire, vous pouvez continuer ! »
Celui-ci passe à bon droit pour un coiffeur émérite, et pourtant les ciseaux tremblaient dans sa main nerveuse et singulièrement agitée.
— Qu'avez-vous donc? demanda Wagner impatienté.
— Moi ? rien ! seulement. quand je pense à l'honneur... de couper...
Et chaque mèche qui tombait était pieusement recueillie par Mme Wagner.
On pense dans quel état de désespoir notre homme sortit de chez l'auteur du Tannhäuser !...
Que faire? que devenir?... Que répondre à tous ces adorateurs du maître, qui allaient venir réclamer les reliques promises,... et à moitié payées ?...
Le malheureux coiffeur parlait déjà de se couper la gorge avec un de ses rasoirs, quand sa femme lui suggéra cette idée géniale :
— Imbécile ! au lieu de te lamenter inutilement, cours donc chez notre boucher. Il a des cheveux poivre et sel absolument semblables à ceux de Wagner. Coupe-les lui, de gré ou de force, et le tour sera joué ! ....
Le conseil fut suivi. Et voilà comment les bons Allemands ont mis sous globe, avec inscriptions en prose et en vers, les mèches de cheveux d'un obscur boucher napolitain !!!
Le commentaire de Munichandco
La présence de Wagner à Naples est bien attestée : la famille Wagner s'était installée en janvier 1880 à la villa Angri sur les hauteurs du Pausilippe. Parsifal est alors en phase de préparation active. C'est en mai 1880 que Wagner visite Ravello où, lors d'une visite des jardins du Palazzo Ruffolo, il déclare avoir trouvé le jardin enchanté de Klingsor.
Il est vrai aussi qu'à cette époque Wagner souffrait de douleurs faciales (érysipèle ou allergie) et que la famille Wagner quitta Naples au début du mois d'août 1880.
Un médecin a-t-il vraiment conseillé à Wagner de se faire couper les cheveux dans l'espoir d'apaiser ses douleurs faciales ? Et Cosima poussait-elle l'adulation du Maître jusqu'à recueillir pieusement les mèches de cheveux coupées par le coiffeur pour les placer dans un coffret-reliquaire ?
Se non è vero è bene trovato !...Pour plus de détails sur l'année 1880, visitez le site du Musée virtuel Richard Wagner. Et pour en savoir plus sur les problèmes de santé du Maître, consultez le livre de référence en la matière : Un patient nommé Wagner, du Dr Pascal Bouteldja, Président du Cercle Richard Wagner - Lyon.