Le récit autobiographique d’enfance et de jeunesse est la peau de banane que l’auteur dépose lui-même sous son pied, surtout si l’auteur en question n’a pas publié quinze romans à succès chez Galligrasseuil et, circonstance aggravante, s’il raconte des épisodes heureux.
Je me suis donc autocensuré pendant des décennies jusqu’au jour où, surpris d’atteindre ma sixième, j’ai réalisé qu’en matière d’édition, je n’étais plus soumis à l’obligation de résultat et que je pouvais donc désormais écrire et publier tout ce qui me passait par la tête, en particulier ces fameux souvenirs d’enfance réputés n’intéresser personne.
J’ai commencé à mettre en ligne sur ce blog un extrait du recueil dans lequel je décrivais l’environnement de mon enfance, ce qui m’a valu le commentaire émouvant d’un photographe que je connaissais un peu mais qui ne faisait pas partie de mon cercle d’amis proches. Il m’expliquait qu’il n’avait pas eu la même enfance que la mienne mais que le texte l’avait beaucoup touché. (On peut le lire aussi dans le premier tome de mes carnets, Prairie Journal, page 428).
Cette réaction inattendue m’a été non seulement agréable mais encore et surtout utile car elle a réveillé en moi une vieille intuition : l’enfance, souvent plus que toute autre période de la vie, est un roman, non pas parce qu’elle peut être romancée au moyen de libertés prises avec la vérité mais parce que son récit s’organise comme celui d’une fiction. C’est sans doute principalement pour cette raison que mon commentateur photographe a pu s’intéresser à l’épisode que je racontais et, de manière secondaire, parce qu’il n’a pas eu la même enfance que la mienne.
Le récit autobiographique d’enfance a bien des raisons propres à chacun de nous toucher s’il est bien écrit. L’une de celles qui me portent le plus vers ce genre est la plongée en ce passé à la fois proche et lointain où l’on observait le monde avant d’avoir compris que le corps est la prison, l’esprit le geôlier et les rêves et désirs les prisonniers.