Le Transsibérien n'a cessé d'inspirer les écrivains tout au long du siècle en s'imposant progressivement comme un vecteur d'imaginaire, d'exotisme et d'aventures.
Dès 1913, Blaise Cendrars publie " La prose du Transsibérien et de la Petite Jehanne de France ", poésie épique du voyage et de la modernité. Entre le 28 mai et 14 juin 2010, seize écrivains français avaient alors été invités à bord du train Blaise-Cendrars, destination Vladivostok. A leur retour, ils ont publié des récits de voyage, des romans, des rêveries intimistes, tous hantés par cette inépuisable terre d'inspiration, révélée pour certains, renouvelée pour d'autres. Parmi eux, on trouve Maylis de Kerangal ( Tangente vers l'est), Sylvie Germain ( Le Monde sans vous), Olivier Rolin ( Sibérie), Dominique Fernandez ( Transsibérien), Mathias Enard (L'Alcool et la Nostalgie), ou encore Danièle Sallenave ( Sibir). Ce train symbolise à la fois la victoire technique de l'homme sur les immensités eurasiennes et la conquête des grands espaces sauvages, recouverts par la neige et bloqués par la glace durant les mois d'hiver. Alors que défilent sous ses yeux de magnifiques paysages de déserts, de montagnes ou de taïgas, le voyageur découvre, au sein de wagons colorés, un monde typiquement russe, dont la chaleur et la sociabilité s'ordonnent autour de l'incontournable samovar. Comme son homologue du Far-West, le transsibérien n'est pas né avec un objectif purement touristique. Il est un des éléments clé de la conquête par l'empire russe, puis par l'Union Soviétique des vastes étendues sibériennes.
Du projet à la construction.
L'intérêt des tsars pour la Sibérie remonte à la fin du XVIème siècle, lorsque les cosaques mettent la main, pour le compte du tsar, sur le bassin de l'Ob où les animaux à fourrure sont massacrés en quelques dizaines d'années. Qu'importe ! Les trappeurs poussent à l'est vers le bassin de l'Ienisseï puis de la Lena. Chaque année, des centaines de milliers de peaux transitent par la foire de Leipzig. Par milliers, trappeurs, serfs en fuite, ou aventuriers, franchissent l'Oural. Le gigantesque espace sibérien passe sous la domination des Russes qui atteignent le " Grand Océan " en 1649. " Alors que les colons d'Amérique du Nord n'ont pas encore franchi les Appalaches, voici les Russes sur le Pacifique. "Derrière les chasseurs et les marchands, l'État russe perçoit l'iassak (impôt) sur les populations autochtones tandis que se met en place une puissante " bureaucratie de la fourrure ". Sous le règne de Pierre le Grand, et bien avant des personnages comme Hitler ou Staline, les terres sibériennes sont utilisées comme camps de travaux forcés pour les prisonniers de l'empire. En ce temps-là, la route n'allait pas plus loin que Irkoutsk et le cheminement des hommes et des informations prenait plusieurs semaines. Au fil des années, celle-ci fut empruntée à son tour par des caravanes marchandes, mais rien n'avait encore été envisagé afin d'améliorer cet axe de communication même quand Voltaire, un grand russophile, et proche de l'empereur lui écrivait : " ... Il est tout à fait envisageable de se rendre de Saint-Pétersbourg à Pékin par la terre en ne traversant qu'un nombre restreint de montagnes et de fleuves... ". Vers le milieu du XIXème siècle, le comte Mouraiev-Amourski, gouverneur de la Sibérie Orientale, fut l'instigateur du projet d'une voie reliant la Volga à l'Amour en essayant de faire comprendre à la cour du tsar Alexandre II l'importance d'une liaison à travers tout le pays et les retombées économiques qui pourraient en résulter. Pendant 30 ans, ce projet fut oublié par la cour mais pas par sa patrie. Le peuple sibérien tenait à faire entendre au tsar son sentiment d'abandon, il en fut de même pour les marchands réguliers arpentant la route menant à l'est. De son côté l'ouest de l'empire développait considérablement son réseau de chemin de fer et dans le monde la conquête de l'ouest faisait rage aux États-Unis. En juillet 1890, Saint-Pétersbourg est frappé de stupeur par les nouvelles alarmantes selon lesquelles la Chine avait commencé à construire un chemin de fer à la périphérie de l'Extrême-Orient russe. L'isolement de ses territoires asiatiques est la raison pour laquelle Saint-Pétersbourg prit peur quand on apprit les plans de la Chine visant à construire un chemin de fer à la périphérie de l'Extrême-Orient russe. La Chine, avec l'aide d'ingénieurs anglais, avait commencé à poser son chemin de fer depuis Pékin vers le nord, en direction de la Mandchourie puis vers la ville de Hunchun, située à la jonction de trois pays : la Chine, la Russie et la Corée, à seulement 100 kilomètres de Vladivostok.
À cette époque, la Chine comptait 400 millions d'habitants et les régions russes bordant le pays avaient une population inférieure à 2 millions de personnes. En août 1890, le ministre des Affaires étrangères de l'Empire russe, Nikolaï Guirs, déclare que la construction du chemin de fer Transsibérien était " d'une importance capitale ".
La géopolitique a vaincu les considérations financières, et Alexandre III charge le Prince héritier Nicolas de superviser personnellement la construction du chemin de fer à Vladivostok. La construction de " la grande route sibérienne ", comme le chemin de fer transsibérien, était alors appelé, commence le 31 mai 1891.
La conquête du Far-Est.
Le Transsibérien se construisit simultanément à l'est et à l'ouest du pays, mais dès les premiers mois, sa construction se heurta aux difficultés climatiques du territoire russe. Une grande partie de la voie devait traverser des zones inhabitées ou très faiblement peuplées, des forêts denses et de grands marécages, des fleuves immenses et puissants, des lacs profonds et des terres gelées tout au long de l'année et le plus souvent très accidentées. La section du lac Baïkal fut une des plus dures à achever car, il fallut construire plusieurs tunnels et infrastructures de protection, briser d'énormes rochers afin de permettre l'ouverture d'une voie sécurisée. Très vite, les administrations se rendirent compte que le budget initial allait être dépassé et durent commencer une campagne de réduction des coûts. La partie occidentale du projet, étant plus à même de répondre à cette exigence, dut diminuer la hauteur des remblais, raccourcir les traverses, diminuer le nombre de gares et augmenter la distance entre chacune d'elle (environ 60 km, ce qui était le double de l'époque). Les moyens modernes d'infrastructures furent conservés pour l'érection de ponts au-dessus des principaux fleuves. Ceux concernant les cours les plus faibles seraient érigés en bois.
En 1904, les travaux n'étaient pas tout à fait achevés : il manquait une portion de la ligne aux alentours du lac Baïkal, posant d'énormes problèmes logistiques pendant la guerre russo-japonaise de 1904-1905. À la voie trop légère fut substituée une voie plus lourde, de façon à pouvoir augmenter la vitesse. Jusqu'au lac Baïkal la traction se faisait par des machines de type articulé Mallet, avec quatre essieux couplés et un essieu porteur à l'avant pour les trains de voyageurs et avec six essieux couplés pour les trains de marchandises. Au-delà, circulaient des locomotives compound à deux cylindres extérieurs et à cinq essieux, dont quatre couplés. Avant la construction de la voie ferrée qui contourne le lac Baïkal par sa côte sud (terminée en 1904), la traversée du lac se faisait en bac et il fallait l'aide d'un brise-glace en hiver.
Le Transsibérien traverse alors la Mandchourie en empruntant le chemin de fer de l'Est chinois. Mais, avec la perte de ce territoire par l'Empire russe en 1907, l'exploitation de la voie ferrée était devenue problématique. Le gouvernement a alors décidé de construire une voie qui passe plus au nord par le territoire russe (via la ville de Khabarovsk). La construction de cette œuvre magistrale fut terminée en 1916 avec l'ouverture du pont sur l'Amour à Khabarovsk. Elle passe désormais entièrement par le territoire russe et permit de relier l'est et l'ouest de la Russie. Les point de départ à Moscou se situent à la gare de Kazan et à la gare de Iaroslavl.
Tout au long de sa réalisation, jusqu'à 90.000 personnes ont œuvrés à l'aide de pelles et de pioches, dans des conditions de travail extrêmes. Ces travailleurs issus de tous horizons : bagnards, ouvriers de l'est et de l'ouest, soldats, savants et ingénieurs, peuple autochtone, mongoles, chinois. Tous travaillant, plus de 15h par jour, avec des moyens rudimentaires, en sous-alimentation et avec presque rien sur le dos, réussirent à progresser à plus de 620 km par an soit 1,5 fois la vitesse du Transocéanique en Amérique et sur un terrain bien plus inhospitalier. Le Transsibérien s'est vraiment construit de sueur et de sang. On déplore des milliers de morts durant ces douze années de labeur qui permirent l'ouverture de 7500 km de voie reliant la Sibérie à la Russie Occidentale en 1904 après avoir déplacé plus de 100 millions de mètres cubes de terres et de gravas, construit plus de 12 millions de logements de fortunes pour les travailleurs, posé plus d'1 million de tonnes de rails, réalisé près de 100 km de ponts, de tunnels et de galeries de protection. Sous la domination soviétique, le réseau du Transsibérien continua de se développer et de faire prospérer les régions qu'il traverse. Le lancement du projet Baïkal-Amour- Magistral (BAM) débuta afin d'éloigner le trafic marchand des frontières chinoises encore trop dangereuses. L'organisation stricte et militaire du régime en place fait des cheminots et des chefs de gares les pièces maîtresses d'une immense zone d'échange d'hommes et de marchandises où l'ordre et la ponctualité doivent régner. Sur tout le réseau les trains circulent à l'heure de Moscou. Cordon ombilical eurasien convoyant les nombreuses ressources naturelles sibériennes, il engrangea l'émergence de nouvelles grandes villes comme Novossibirsk ou Krasnoïarsk. De plus la découverte des gisements de gaz et de pétrole dans le Nord de la Sibérie dans les années 1950 relança l'économie régionale et la population qui passa de 10 millions en 1910 à plus de 23 millions d'habitants en 1960 au dépend des autochtones ne représentant, aujourd'hui, pas plus de 3% de la population. En parallèle, un processus de remplacement des vieux rails par de nouveaux en acier renforcé s'exécuta, le lancement de la campagne d'électrification des voies débuta et des ouvrages métalliques se substituèrent aux vieux ponts en bois des premières années de la ligne. Durant la Seconde guerre mondiale, Staline délocalisa les grandes industries militaires loin dans l'Oural, hors de la portée de l'aviation allemande, permettant en retour de faire acheminer des hommes et des ressources nécessaires pour le front.
Le Transsibérien aujourd'hui.
Le développement du tourisme en Russie est possible grâce aux transformations sociales et spatiales que connaît le pays depuis la chute de l'Union Soviétique en 1991. Depuis la fin du régime communiste, les grandes villes russes se trouvent au centre de transformations économiques et sociales, avec l'affirmation d'une société de consommation associée à une sphère des loisirs. Depuis le début des années 1990, les touristes étrangers et russes réinvestissent les régions touristiques présentant un intérêt historique et culturel, comme les villes de Moscou, de Saint-Pétersbourg et celles de l'Anneau d'Or (Vladimir, Souzdal, Iaroslavl, etc.) L'organisation de voyages portant le nom " Transsibérien " destinés principalement à la clientèle étrangère commence après la chute du Rideau de fer au début des années 1990. Le Transsibérien n'est pas seulement une voie reliant Moscou à l'Asie orientale sur 9288 kilomètres ou une ligne traversant 20 entités régionales, 5 régions et plus de 990 gares parmi lesquelles se trouvent de grandes villes comme Iaroslavl, Ekaterinbourg, Novossibirsk, Krasnoïarsk, Oulan-Bator, Khabarovsk, Pékin, Vladivostok (Chemins de fer russes, 2013). Le Transsibérien est un élément important de l'économie de la Russie, de son système de transport, ainsi qu'un acteur important de l'histoire du pays. Ce chemin de fer représente aussi une particularité unique en son genre du point de vue touristique.
Pour en savoir plus :
Claude Mossé, Le Transsibérien : un train dans l'Histoire, Paris, Plon, 2001
Roman :
Blaise Cendrars, La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France (1913)
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